Friday, December 01, 2023
Toutes les caméras devraient être là , à  Saint-Etienne, capitale de la dèche industrielle, de tous les " dégraissages ".
Daniel Mermet, France Inter,
Carnets de routes Là -bas si j'y suis, 24 décembre 1997
 
"Nous voulons être utiles !" En 1997, ces mots étaient écrits sur une banderole affichée rue Papin, au fronton d'une maison squattée par un collectif de SDF stéphanois. Cette aventure qui défraya la chronique et qui continue aujourd'hui du côté du stade, à  la « Maison de Vie Josipe », a été racontée dans un bouquin passionnant : Nous voulons être utiles ! Ce château planté sur les nuages. L'exemplaire que j'ai en main est dédicacé par Hervé P. : "A André, une des premières personnes que j'ai rencontré à  Saint-Etienne. En souvenirs de bons moments passés à  l'ASCL et surtout de l'aide énorme qu'il m'a apporté. Merci, Amicalement." Le destinataire c'est André Piat, connu surtout pour son engagement multiforme en faveur des exclus. Actuellement, il l'est aussi pour son dernier livre qui raconte ses déboires de contractuel de la fonction publique à  l'Université, sur le site Papin.
 
Auriez-vous l'amabilité de vous présenter ?

- Je suis Stéphanois, j'ai 55 ans. Bon, mon parcours professionnel: alors j'ai travaillé dans une douzaine d'entreprises dont Manufrance pendant pas mal d'années ; j'ai travaillé comme animateur dans un foyer de jeunes, j'ai tenu un bistrot dans la plaine à  Saint-Cyprien. J'ai bossé cinq ans à  l'Université de Sainté en CES puis CEC. Actuellement, je suis demandeur d'emploi parce que l'Université n'a pas voulu renouveler mon contrat mais à  55 ans, c'est pas gagné...

Dans quels secteurs recherchez-vous un emploi ?

- Un peu dans tous les secteurs, animation ou autres. A l
'Université j'étais technicien-audiovisuel mais bon, si je ne trouve pas, je vais partir en saisons pour être serveur par exemple. Je vais essayer de partir deux ou trois mois.

Un mot sur votre travail à  Manufrance ?


- J'ai commencé aux arrivages des marchandises; on étiquetait suivant les rayons. Après j'ai fait le magasin de vente où j'étais responsable du rayon Cycles, après à  Molina dans la nouvelle usine où j'étais affecté aux expéditions des marchandises. J'y suis resté au total près de cinq ans. Je suis parti avant les gros problèmes. J'ai connu « la valse des PDG », c'était le début de la fin ; sept PDG se sont succédés si j'ai bonne mémoire.
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Dont Tapie

- Dont Tapie qui n
'était pas vraiment PDG. C'est à  dire que lui il s'est bien démerdé. Il a acheté Manufrance au moment où ça valait pas grand chose et il a gardé « Le Chasseur français » qui marchait bien, et il l'a revendu. Ce qui a toujours été sa manière de faire, pour le fric. Mais il n'a pas dirigé Manufrance. Je crois d'ailleurs qu'il n'est jamais venu pour ça à  Saint-Etienne, ou alors en catimini.

Et votre engagement militant ?

- J' ai créé l' Association Solidaire Chômeurs Loire en 1984. A partir de 1985 et pendant trois ans, j'ai été responsable des Restaurants du Coeur du département. Dans les années 87 et 88, j'étais responsable du dépôt du Macadam Journal. A cette époque les journaux de rue démarraient et ça marchait relativement bien. J'ai participé aussi à  la fondation de la Banque Alimentaire.

Où est né le Macadam Journal ?

- En Belgique. Il y a eu Sans Abris puis Réverbère, Macadam Journal... C'était une idée très bonne mais qui aujourd'hui marche beaucoup moins bien à  Saint-Etienne. Il faut dire aussi que depuis il y a eu des avancées sociales. Un journal de rue, c'est avant tout un palliatif à  la manche ; le fait de vendre quelque chose au lieu de tendre la main. C'est pas grand chose mais c'est très important pour la dignité des gens en grosse galère. Les vendeurs n'aiment pas trop que les gens donnent quelque chose sans prendre le journal. En général, ce sont des rmistes.

Racontez-nous un peu l'histoire de l' ASCL
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- J'avais passé une annonce et j'ai réuni une vingtaine de demandeurs d'emploi. C'était pas difficile, il y en avait 40 000 dans la Loire début 85. On a écrit les statuts, trouvé un local et rapidement l'assos a compté une centaine de membres. Le but premier de l'assos, qui a un peu évolué depuis sa création, était d'unir, aider et défendre les demandeurs d'emploi. L'idée partait d'un constat simple, toujours actuelle d'ailleurs, à  savoir qu'on ne donne jamais la paroles aux chômeurs. Ce sont toujours les autres qui parlent à  leur place : les politiciens, les syndicalistes, les ANPE, les assistantes sociales... Au passage, il y a en ce moment des ANPE qui brûlent, une chose qui ne s'était jamais vue. Je pense qu'on est allé trop loin dans la culpabilisation des chômeurs. Les gens qui venaient nous voir n'avaient pas en face d'eux des fonctionnaires, des employés de l'ANPE qui vivent du chômage des autres.
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En mars, on était dans la rue pour une manif, une première ! Le truc marrant, c'est qu'à  l'époque c'est la droite qui dirigeait la ville et le gouvernement était de gauche. Pour la Municipalité, le chômage c'était la faute du gouvernement et elle nous soutenait. Ce qui fait qu'on n'a pas eu de bons rapports avec la CGT puisqu'on était soit disant « les amis du Maire ». Par contre on avait de bons rapports avec la CFDT.

En avril 85, on a organisé un « Forum pour l
'Emploi » sans la CGT ni FO ; pour cette dernière nous étions soit disant « coupés du monde du travail »; ce qui était faux dans la mesure où certains de nos adhérents avaient un emploi ; on a vu le sectarisme, l'intolérance, la politique sous son « plus beau visage ». En octobre, seconde manifestation : nous sommes 300 à  défiler. Il faut savoir quand même qu'à  l'époque il y avait 18 000 chômeurs non-indemnisés dans la Loire ! C'est l'époque aussi où Bruce Springsteen offre un chèque pour les chômeurs; où Manufrance se casse la gueule; où des exclus font la grève de la faim... Notre action a permis de faire bouger les choses.
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Note : L'ASCL se trouve au 27, rue Léon Nautin, près de l'église Saint Louis.

Et les Restos du Coeur ?

- Les restos c'est pareil; c'était pas fait pour durer. On s'appuie sur des bénévoles. C'est bien qu'il y ait des bénévoles mais bon, si les pouvoirs publics se défilent derrière... Je trouve que les restos, on leur demande toujours plus mais les pouvoirs publics n'assument pas. Tout au début à  Sainté, on était rue Nautin, dans les locaux de l'assos des chômeurs, dans une cave, après à  Tardy. C'est l'ASCL qui a pris en charge la première antenne stéphanoise des Restos pour une raison très simple : parmi toutes les assos, nous étions la seule volontaire. Coluche aujourd'hui tout le monde l'encense mais à  l'époque c'était un peu le comique à  abattre.

Note : les Restos sont aujourd'hui rue de la Croix-Courette, en face des Pompiers.
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On va évoquer votre dernier « coup de gueule » à  propos de l'Université mais un mot d'abord sur votre livre sur le Vélodrome

- Oui, bein ce livre c'est mon « coup de coeur ». Je n'ai pas connu le Vélodrome de Sainté mais comme je travaillais sur le site Papin, construit à  l'emplacement du Vélodrome et que j'aime beaucoup le cyclisme, je me suis penché sur le sujet. Je suis étonné que personne n'ait pris l'initiative de l'écrire avant moi. Je suis aussi un peu chagriné que le Musée d'art et d'Industrie ne le propose pas à  la vente. Ils proposent d'autres livres sur l'histoire locale, des livres sur le cyclisme mais le mien, ils ne veulent pas. Je ne sais pas trop pourquoi. J'ai l'impression qu'il y a une sorte de serail de la mémoire locale à  Saint-Etienne. Je crois que ça les dérange un peu que je ne sois pas un universitaire. J'avais contacté Jacques Plaine aussi pour faire RCF et évoquer mon livre. Je n'ai jamais reçu de réponse. C'est dommage. Le bouquin aurait pu être beaucoup mieux, avec plus de photos et d'infos mais voilà , personne n'était très emballé pour m'aider.

Bon, et ce Vélodrome alors...

- Le Vélodrome, il a été détruit. Il était mal entretenu et souffrait de défauts de construction. Le truc c'est que les politiques avaient promis de le reconstruire, une promesse jamais tenue. Sous la municipalité Sanguedolce, un projet fut envisagé à  la Plaine Achille, c'était encore jouable mais ça ne s'est pas fait. Plus plausible aurait été un projet sur Andrézieux sous la municipalité Mazoyer mais il s'est tué en voiture, bon du coup, c'était fini, plus de Vélodrome. Il faut être réaliste aussi, il a fermé ses portes en 61, l' ASSE commençait à  arriver sérieusement. La mentalité évoluait et le vélo s'essouflait un peu sur Sainté. Ceci dit, le Vélodrome ce n'était pas que le vélo. Il y avait des spectacles, des messes, des expos, des foires, des fêtes, des tournois de pétanque... C'était un lieu de rencontre extraordinaire, beaucoup plus que le stade. Au niveau du vélo, le grand événement c'était les Six Jours. Pendant six jours, c'était la fête, les buvettes, les orchestres, les coureurs se relayaient pendant six jours non stop. Il faut savoir aussi, un fait unique en Europe, que la piste était en bois d'érable. Hormis celui de Paris, le Vélodrome stéphanois n'avait pas de concurrent en France. Tous les grands coureurs y sont passés.
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Si vous désirez acheter ces livres, vous pouvez contacter André Piat au 128, cours Fauriel à  Saint-Etienne
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Et maintenant le « coup de gueule »

- C'est une histoire qui avait bien commencé et qui s'est très mal terminée. J'avais été recruté en CES pour travailler à  l'Université sur le site Papin où se trouve notamment l'Université Pour Tous et Médecine. Ensuite je suis passé en CEC (Contrat Emploi Consolidé, ndlr). Je m'occupais, entre autres, de tout le matériel audio-visuel dans l'amphi. J'ai découvert les conférences de l'UPT et c'était passionnant. Je faisais bien mon travail et tout le monde était content; aucun problème comme le montrent les lettres de soutien que j'ai publié en annexes de mon bouquin, sans parler des 840 signatures de la pétition en ma faveur. Jusqu'au jour où est arrivée une nouvelle Secrétaire Générale...

Un mot de la hiérarchie de l
'Université, vous parlez de président, directeurs...


- Et bien justement, l'Université moi je ne connaissais pas et d'ailleurs c'est passionnant;j'ai beaucoup appris.  Je ne veux pas cracher dans la soupe mais il se trouve que c'est un milieu très très hiérarchisé et cloisonné. Il y a un Président à  la tête, après il y a un ou une Secrétaire Général(e) nommé(e) par le Président et ensuite tous les directeurs des différents services. Et ensuite les responsables administratifs, etc.
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Qu
'est ce qui est d'après vous à  l'origine de vos ennuis ?


- Un jour j
'ai décidé de repeindre tout le grand amphi. Je n'avais rien à  faire alors plutôt que de me rouler les pouces, j'ai refais l'amphi. Il faut savoir que faute de moyens financiers, l'amphi était dégueulasse. Tout le reste était bien, très bien même mais l'amphi était dégueulasse. A la rentrée, tout le monde était content mais bon voilà , faute professionnelle : « On ne vous l'avais pas demandé ». Et puis on m'a reproché d'autres choses, par exemple d'avoir vendu mon livre sur le Vélodrome sur le site. Ce qui est marrant c'est que le Directeur de l'UPT avait lui-même fait de la pub pour mon livre, livre en main, avant une conférence. Toujours est-il qu'on ne m'a pas renouvelé mon contrat.

Mais vous aviez demandé l'autorisation avant de repeindre l'amphi ?

- Bien sûr ! J'ai demandé au Directeur de l'UPT et la responsable de Médecine qui utilisent l'amphi.
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Vous ne pensez pas en avoir trop fait durant vos cinq ans ?

- J'ai dérangé, forcément. Parce que je prenais des initiatives. J'ai payé des choses de ma poche, des pendules par exemple, j'ai aménagé le hall d'entrée, etc. Dans un système où tout est hiérarchisé, où il ne faut surtout pas déranger les habitudes, c'est mal vu. Il faut faire son boulot mais surtout pas plus, le minimum en somme. Peyrefite résume cette mentalité dans le Mal français : "L'initiative privée est à  priori suspecte ; on ne la tolère que soumise, encadrée et contrôlée."

J
'ai travaillé 20 ans dans le privé, ce que j'ai vu dans le public m'a stupéfié, c'est un autre monde.

Autre chose, je n'ai pas écrit le bouquin par vengeance, parce qu'on ne m'a pas renouvelé mon contrat, malgré qu'on m'ait dit et redit qu'on me garderait parce que je faisais de l'excellent travail. Mais parce qu'on m'a dit aussi que toute façon il n'y avait pas de finances pour me garder et que c'est un employé interne qui allait me remplacer. Or, c'est l'Université qui me paie mes idemnités de chômage : 80 % de mon salaire à  ne rien faire. Et ils ont recruté quelqu'un de l'extérieur ! Sans commentaire.

Mais au delà  de mon expérience malheureuse, y
'a en marre des contrats précaires, le type qu'on embauche 1 mois, qu'on jette et qu'on rappelle trois mois après. Et une semaine avant le terme des trois mois on lui sort : « Ah ben peut-être bien qu'on va vous garder, mais peut-être pas ». C'est à  devenir fou...

Un dernier mot concernant l'aventure de l'assos « Main dans la main » brièvement évoquée en intro et dont vous devez, pour certains, vous souvenir. Elle débute en 1996 quand un SDF stéphanois meurt de froid dans un sas de banque le jour de l'an. Quelques potes SDF qui n'ont pas envie de subir le même sort, aidés de quelques personnes motivées, dont André Piat, prennent possession de la clinique du rond-Point à  Fauriel. Délogés, il réitèrent rue Papin où commence un feuilleton à  la fois rocambolesque et tragique mettant en scène le collectif, la police, la municipalité, les journalistes et une partie de l'opinion stéphanoise.

En attendant je ne peux m'empêcher de mettre en ligne ce passage savoureux :


"Anne:
Je me souviens du manteau de fourrure de Nicole P.* c
'est bizarre, une femme qui vient en manteau de fourrure chez des SDF. Elle avait osé dire, parce qu'ils voulaient changer de maison, qu'ils avaient des goûts de luxe ! Dire ça en manteau de fourrure !"
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* Nicole Peycelon, Adjointe à  la Solidarité

photos et visuels/dr