
PE pour Pascal Essertel, de PE Organisation. Voici un artiste dans l'ombre qui met en lumière les musiciens, les murs ou les comédiens. Directeur technique de la Ville de Saint-Etienne de 2001 à 2005, il parle franchement de son expérience, du mal stéphanois et de ses faits d'armes : la Biennale de la Ville, la Fête du Livre, Festi' Mômes, les Roches Celtiques...
Bon, j'me présente c'est ça ? Alors, Pascal Essertel, mon métier : technicien du spectacle depuis 92 mais avant tout homme de spectacle, depuis que je suis gamin. J'ai toujours adoré ça, aller voir des pièces de théâtre ou les faire, jouer en tant que comédien amateur. C'est pour ça qu'en 85, j'ai engagé des études d'économie, ce qui n'a strictement rien à voir. Et puis j'en ai eu marre, je suis entré dans un magasin de photographie à Saint-Etienne et j'ai basculé dans l'artistique, plutôt que de rester dans l'économie froide. Ceci dit, mes études m'ont beaucoup servi par la suite.
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Donc j'ai appris à faire de la photo et de la vidéo de spectacle et c'est à ce moment que j'ai rencontré les gens du Théâtre de Poche, à la grande époque. Comme souvent dans ce métier, j'ai profité d'une opportunité, celle d'une tournée de deux mois et demi en Asie avec un comédien, Jean-Claude Mourlevat. Vous connaissez Mourlevat ? Non ? C'est un type intéressant à rencontrer, un artiste local que j'aime bien. A l'époque il était clown et son spectacle c'était « Parlez-moi d'amour ». Après, il s'est mis à l'écriture et c'est une des plus grosses ventes de littérature Jeune Public ; la Balafre, la Rivière à l'envers... des succès.
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Et votre tournée asiatique ? Comment le projet est-il né ?
Et votre tournée asiatique ? Comment le projet est-il né ?
J'étais le régisseur de Jean-Claude et puis on a fait Avignon, sur la péniche de la FOL 42. Et là , y'a quelqu'un qui est venu nous voir et qui nous a dit : votre spectacle est sympa et j'ai un projet pour vous, le truc c'est que vous avez beaucoup de matériel et c'est un peu embêtant. Nous on n'a pas compris tout de suite que la tournée ne se ferait pas en Alsace mais au Népal. Donc on s'est débrouillé pour ranger tout le matériel dans deux malles et puis on est partis...
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(Crédit photo: Bony, maya-press.com)
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Dans quel cadre ?
Celui du réseau des Alliances Françaises. C'est un réseau très touchant qui malheureusement est en train de se casser un peu la gueule faute de financements. Très touchant parce que ce sont des gens, des étrangers, en l'occurrence des Népalais, Bengladis, Sri Lankais etc. qui aiment la culture française et qui demandent au gouvernement, via la ministère de l'intérieur (et non pas celui de la culture) des financements pour installer une alliance française. Et le gouvernement délègue un prof. puis deux ou plus selon les lieux, des profs donc qui enseignent le Français et la culture française avec elle. Nous sommes partis au sein de ce réseau et on a joué 25 fois « Parlez-moi d'amour ». C'est l'histoire d'un clown muet qui reçoit un jour une lettre d'amour anonyme. Et il part en voyage...
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Vous avez joué pour quel type de public ?
Vous avez joué pour quel type de public ?
Tous publics, toutes générations, que des populations locales. A une exception, au Kashmir où on a joué pour des Français qui construisaient un barrage, dans une zone particulièrement dangereuse. Là on a un peu flippé.
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Et la pièce a été bien accueillie ?
Accueil fantastique ! C'est vrai que la pièce est transculturelle à tout point de vue. Elle parle d'amour donc ça parle à tout le monde, mais les Indiens c'est vrai sont un peuple particulièrement sensible et généreux, ils donnent beaucoup. Quand ils rient, ils rient très fort et quand ils pleurent, ils pleurent vraiment. Cette expérience m'a donné une foi immense.
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C'est à dire ?
Dans le sens où j'ai compris, et pour un technicien c'est pas rien, qu'une pièce pouvait se jouer dans n'importe quelles conditions. Ce fut pour moi le début, véritablement. Avant ça, je bricolais ; après, je m'y suis mis vraiment. Alors j'ai commencé à faire des créations de lumières à la régie de la Comédie de Saint-Etienne, puis avec des compagnies. J'ai vu qu'il y avait des problèmes d'organisation et là mon passé universitaire, structuré, m'a servi. Je me suis mis à faire de la régie générale puis j'ai glissé vers la direction technique en faisant un stage en 98. Je savais déjà que c'était un vrai métier mais j'ai réalisé qu'il y avait des règles très précises, surtout dans le domaine de la sécu et de l'organisation.
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La Nouvelle Babylone (Cinéma en plein air, Transurbaines)
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Et ensuite la Ville de Saint-Etienne...
Voilà , en qualité de directeur technique des événements, de 2001 à 2005 : la fête de la Musique.
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Justement, quel principe ou quelle idée directrice s'il y en avait une - j'en sais rien - vous animait concernant la fête de la Musique par exemple ?
La fête de la Musique, c'est un très gros travail, on est amené à travailler avec des amateurs. Je me suis acharné à la structurer du mieux qu'on pouvait, en ne perdant pas de vue le fait que c'est le seul événement où on a le même public devant et sur la scène. Et puis que c'est le seul moment où de nombreux groupes amateurs et bénévoles peuvent avoir à leur disposition des moyens techniques professionnels pour s'exprimer. Voilà l'idée, mettre des moyens à disposition, structurer mais sans brider non plus. Je ne sais pas si nous y sommes arrivé, je pense que oui.
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Et concrètement, sur le terrain ?
Concrètement, on a commencé par essayer de rationaliser l'usage de l'espace public. De faire en sorte, sur de grosses places comme celle de l'Hôtel de Ville par exemple, de mettre à dispo des groupes une scène digne de ce nom, avec du bon matériel et un technicien lumières. Il y avait au moins cinq ou six scènes d'une qualité irréprochable plus les autres qu'on aidait avec le courant etc. On a essayé de faire un programme équilibré et équitable, un roulement des groupes une année sur l'autre, pour que chacun ait l'occasion de s'exprimer sur une bonne scène au moins une fois.
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Quoi d'autres ?
Les Roches Celtiques. Une ambiance sympathique, une bonne programmation, gratuit. En tant que professionnel, je regrette de ne plus pouvoir y travailler, petit pincement au coeur. Et puis aussi Festi'Mômes dont je suis assez fier, qui est passé d'une « animation de Noël », (avec ce côté un peu péjoratif) à un vrai festival jeune public. En plein hiver, il n' y a pas d'équivalent en Rhône-Alpes. Mais personne ne le sait, c'est le problème avec Saint-Etienne, on fait de très bonnes choses mais personne ne le sait jamais.
Les Roches Celtiques. Une ambiance sympathique, une bonne programmation, gratuit. En tant que professionnel, je regrette de ne plus pouvoir y travailler, petit pincement au coeur. Et puis aussi Festi'Mômes dont je suis assez fier, qui est passé d'une « animation de Noël », (avec ce côté un peu péjoratif) à un vrai festival jeune public. En plein hiver, il n' y a pas d'équivalent en Rhône-Alpes. Mais personne ne le sait, c'est le problème avec Saint-Etienne, on fait de très bonnes choses mais personne ne le sait jamais.
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La Fête du Livre aussi ?
Oui, dans un autre genre. Plus sensible politiquement parce que très importante et d'une ambition nationale. Avec la Fête de la Musique, j'étais un peu à cheval entre l'artistique et la technique; avec la Fête du Livre, je jouais uniquement mon rôle de technicien : établir le planning, gérer le budget technique, passer les commandes de chapiteaux, veiller à la sécu...
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Quel est le budget technique pour la Fête du Livre ?
Le dernier dont je je me suis occupé, c'était 222 000 euros TTC, en 2004. Il comprend le son, la lumière, le gardiennage, etc.
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Et combien de personnes à coordonner pour la Fête du Livre ?
Environ 130 personnes des services municipaux + 30 environ des entreprises associées.
(...)
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Montée des Verts en L1
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Et puis tout le reste : la Sainte-Barbe, le TGV pièces jaunes, la montée des Verts en D1... Donc voilà , tout ça jusqu'à l'arrivée des Transurbaines en 2005. Bon c'est vrai, je ne le cache pas, j'étais pas très à l'aise dans la fonction publique territoriale. C'est un milieu un peu... particulier, où on est très lié aux intérêts politiques, électoraux. Avec la Biennale de la Ville, j'ai eu l'occasion de partir dans de bonnes conditions, de passer d'un contrat de droit public à un contrat de droit privé (pour le côté pratique des choses) mais surtout de participer à ce grand projet qui pouvait donner de Saint-Etienne une vision extraordinaire.
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C'est vrai que je suis extrêmement attaché à cette ville, c'est une ville ouvrière qui n'a pas encore totalement perdu son âme. Je trouve qu'on a un environnement superbe, les Gorges de la Loire, le Pilat à 15 minutes du centre-ville ! Et puis il y a tellement de compagnies de théâtre, de groupes de musique, je rend hommage au passage à Archam Sivaciyan, le délégué à la musique vivante. Donc voilà , pour toutes ces raisons, même si je suis très agacé parfois par le comportement des Stéphanois, j'étais vraiment enthousiasmé par les Transurbaines. Le problème, le très gros problème, c'est que Saint-Etienne a des atouts qu'elle ne sait pas faire valoir, tantôt à l'extérieur, tantôt dans ses propres murs.
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Dans ses murs d'abord, les Transurbaines...
Bien évidemment, la Biennale de la Ville a bénéficié d'une remarquable campagne de promotion au niveau national mais au niveau local : le bide. Et ça je le dis clairement, ce n'est d'ailleurs un secret pour personne, ce fiasco local est dû à l'ancienne directrice de la Comm. Tout le temps qu'on a perdu à se battre sur la communication, on est passé à côté de la manifestation proprement dite, par exemple au détriment de la journée jaune qui aurait mérité un supplément d'âme pour la booster un peu. A l'arrivée, les gens sont venus voir la journée jaune. Le principe de base, c'était qu'ils viennent en jaune, qu'ils crèent l'événement eux-mêmes, qu'ils soient acteurs et non spectateurs.
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Plan de bataille pour " l'opération Llorenç Barber "...
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Et le concert de Barber ?
Pareil, ça relève de la même logique. La majorité des habitants n'était même pas au courant, et ceux qui l'étaient ne savaient pas exactement comment ça allait se dérouler. Le déficit en communication, sur cette affaire, a été dramatique.
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Avant Waterloo...
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Vous ne raisonnez ici qu'en terme de communication. Vous pensez qu'avec une bonne comm. tout se serait bien mieux passé. Vous ne croyez pas, je sais pas moi, que l'événement n'intéressait pas les Stéphanois tout simplement, pour x ou x raisons.
C'est vrai que les Stéphanois ont une mentalité de râleurs mais je crois pas qu'ils soient plus cons que les autres. A partir du moment où on leur explique, où on leur parle, il n'y a pas de raisons pour que ça foire. J'ai monté beaucoup d'évènements, non je suis sûr que ça aurait été différent si on s'y était pris comme il faut. Alors après, je veux bien prendre une part de responsabilité, et je pense aussi, par exemple, que Llorenç Barber a un peu exagéré durant sa partition pendant la nuit. Mais si on avait eu plus de temps, on aurait pu corriger le tir. Ce n'est pas que la comm. proprement dite, c'est aussi tout ce qu'elle a induit, par ricochets. Sur la journée jaune, on a négligé la réalisation...
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Après y'en aura toujours pour dire que Saint-Etienne n'avait pas besoin de ça etc. Ben si ! Saint-Etienne a besoin de ce genre d'événements. Et en terme de presse nationale, gérée par Opus, le succès a été immense. On a vu la différence avec d'autres événements ! Par exemple, prenez la Biennale du Design d'il y a deux ans ; il y avait un n° « spécial design » de Télérama, je me suis rué dessus, résultat des courses : 12 lignes ! Biennale de la ville maintenant : couverture de Télérama + 8 pages ! Bein, je m'excuse mais ça n'a pas le même impact. Sans parler de Libération, du Figaro, de la Gazette... La fête du Livre, en comparaison, n'a presque aucun retentissement national. C'est pourtant, en terme d'affluence, une des toutes premières de France.
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Oui donc à l'extérieur maintenant, qu'est-ce qui ne fonctionne pas ?
Oui donc à l'extérieur maintenant, qu'est-ce qui ne fonctionne pas ?
C'est la grande question. Ce qui m'agace, c'est que les Stéphanois sont les premiers détracteurs de leur ville. Et pourtant, il se passe à Saint-Etienne des milliers de choses en permanence. Mais black-out. C'est marrant d'ailleurs, moins on n'en parle et plus on en fait. Je suppose qu'il y a quelque part un complexe d'infériorité qui vient de l'histoire de la ville. Je ne suis pas sociologue mais y'a un peu de ça, certainement. Une anecdote : il y a eu il y a quelques années un théma spécial sur Arte consacré au tramway. Toutes les villes, Lyon, Nantes, toutes les villes françaises y étaient. Sauf Saint-Etienne, rien ! La seule ville qui n'a jamais abandonné son tram depuis les origines n'était pas dans l'émission, c'est incroyable non ?
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Inauguration du Musée d'Art et d'Industrie (crédit photo: Ville de Saint-Etienne)
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L'inauguration du Musée d'art et d'Industrie nouvelle version ? Rien ! Aucun retentissement ou si peu. Vous connaissez Groupe F ? Ce sont les artificiers qui ont enflammé la Tour Eiffel au passage de l'an 2000, LE feu d'artifice, des cracks vraiment, d'une très grande renommée. Ils sont venus en 2001 ; pour les 10 ans du Musée de la Mine ils ont créé un spectacle unique, rien qu'à cette occasion. Et ben rien, personne ne connaît. Je ne suis même pas sûr que les 2000 personnes qui ont vu les crassiers en flamme se souviennent de leur nom.
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La proximité de Lyon ne joue pas en notre faveur
Oui alors ? Faut y arrêter avec cette histoire de proximité. On s'en fout!
Oui alors ? Faut y arrêter avec cette histoire de proximité. On s'en fout!
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On s'en fout certes mais s'il y a un complexe stéphanois, on peut penser aussi que les journalistes, les Parisiens surtout ne voient que Lyon, c'est ce que je veux dire. Pour Paris, la province...
C'est un grand magma diffus, oui c'est vrai aussi... Mais le problème vient d'abord des Stéphanois. Finalement, ils ne connaissent pas grand chose à leur ville. Ils ne savent pas, par exemple, que jusqu'à une époque récente, la Comédie de Saint-Etienne était le premier CDN de France en terme d'abonnés, etc.
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Et Saint-Etienne Capitale Européenne de la Culture, vous y croyez vous ?
Bein... il il va falloir y mettre les moyens. Pas se contenter d'effets d'annonces, prendre de grands noms et leur donner les moyens. Et s'y prendre à l'avance, pas à l'avant-veille... Lille a réussi, c'est une référence culturelle. J'attends de voir. En tout cas, cette ville en a besoin. Bilbao était un catastrophe. Avec Guggenheim, elle est devenue une référence. Saint-Etienne a besoin de culture, toujours plus...
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Et maintenant ?
Et maintenant ?
Maintenant, PE Organisation, en cours de fondation. Organisation d'événements et de spectacles. Mon métier en deux mots ? Passeur et Traducteur. Je réalise techniquement les rêves des metteurs en scène. Et je relie, en m'adaptant au sein d'un réseau complexe, des éléments différents (SDIS, Préfecture, metteur en scène...) pour à l'arrivée créer l'événement. C'est ce que je sais faire.