
Un artiste
L’étude de la biographie de Jean Rouppert dévoile un homme discret, proche de la nature, ne reniant pas ses origines du monde ouvrier, explorant de nombreuses techniques artistiques : le dessin au crayon et à la plume souvent coloré à l’aquarelle, rehaussé de gouache...
Il naît le 15 août 1887 à Custines, près de Nancy. Très jeune, il manifeste des dons pour le dessin et l’on retrouve des portraits et des caricatures dessinés dès l’âge de 14 ans. Il en effectuera tout au long de sa vie, saisissant toutes les expressions humaines, y compris en Afrique où il séjourna comme engagé volontaire, de 1908 à 1910. Observant la nature, il exécute de nombreuses planches de plantes et de fleurs ainsi que des études d’animaux. C’est avec ce dossier d’autodidacte que, de retour à Nancy, il est admis aux ateliers Emile Gallé, en 1913, dans lesquels il se formera comme dessinateur professionnel.

L'artiste (1969)
En 1915, il rend compte dans une lettre adressée à Madeleine Labouré, une institutrice à Roanne qu'il a épousée quelques mois plus tôt de l'ambiance qui règne dans ces prestigieux ateliers:
“Que de jolies choses il y a, ma petite Mad, en cet atelier. Là les mauves s’irradient sur une rose transparente, des glycines fleurissent sur un fond d’or, des ombelles jaunes se tordent sur du rubis. Ici des nénuphars s’échevèlent sur un vert délicieux, des arbres se dressent sur une perspective montagneuse et violette. Des cygnes se prélassent en des pièces d’eau, des libellules volent au-dessus de merveilleux iris, des hirondelles se poursuivent sur le pourtour d’abat-jour sanguins. On voit toute la symphonie des couleurs et la diversité des verres. Dans l’atelier du dessous, on travaille le bois et des ouvriers sculptent des meubles délicieux. Des guirlandes en marqueterie mettent du charme partout et rivalisent avec les carrelures les plus délicates. L’atelier ressemble à une serre. devant les fenêtres, il y a des pots emplis de fleurs. Et chaque matin, ceux qui ont des fleurs les arrosent. L’atelier ressemble aussi à une volière. Les oiseaux étant muets sur les vases, ce sont les hommes qui sifflent, chantent, et plus souvent braillent pour eux. Au deuxième étage, il y a encore un atelier de décors. Une quarantaine de femmes et de demoiselles y travaillent et leurs romances répondent à nos couplets.”

Jean en permission et Madeleine Rouppert
La guerre interrompt et sa romance avec Mad et son travail chez Gallé. Mobilisé le 31 juillet 1914 comme réserviste au 6e Régiment d’artillerie à Toul, il est engagé par la suite sur différents fronts et notamment dans la Meuse, la Somme, Verdun et puis la Lorraine. En janvier 1915, il écrit cette lettre à son épouse: “Chère Mady, ne soit pas inquiète sur mon emploi, je suis bien prudent et puis on ne meurt pas avec tant de facilité. D’ailleurs, il n’est que passager et, sans doute, je prendrai poste à l’ambulance en seconde ligne d’ici peu, d’après ce que l’on dit. Je te donnerai plus tard des renseignements sur mon cantonnement (-). (-) Sais-tu à quoi j’occupe mes loisirs présentement ? J’ai pris un morceau de noyer dans un bois de lit, détruit par les obus et je te sculpte une petite statuette, une dame, avec un bourrichon et un grand manteau moderne avec d’affreuses emmanchures à la mode. Ce sera pour toi, en souvenir. En y travaillant, j’ai tout l’esprit si occupé ma petite Mady, que les heures passent sans lassitude.
Ton Jean.”

"Une dame, avec un bourrichon et un grand manteau moderne avec d’affreuses emmanchures à la mode..."
II ne sera démobilisé que le 10 avril 1919 après avoir, de plus, réchappé à la grippe espagnole. De cette guerre, il reviendra aussi avec des croquis effectués dans les tranchées dont il tirera ensuite de nombreux dessins à l’encre noire, d’une grande force qui constituent une critique sans concession de la guerre. Jusqu'en 1924, il reprend son travail chez Gallé. Il quitte ensuite les ateliers Gallé où il était devenu responsable artistique, pour s’installer à Lyon.
Il se fait apprécier des fabricants de soieries pour ses dessins et son style «Arts décoratifs». Dans son atelier personnel, il développe son oeuvre de sculpteur sur bois. Il expose également ses peintures au Salon d’automne, à Lyon, de 1925 à 1934.

Dans son atelier (1935)
En 1932, il se retire avec son épouse dans le Roannais, à Saint-Alban-les-Eaux où il installe son atelier. Les paysages alentours lui inspirent bon nombre de ses aquarelles, gouaches ou lavis. Disposant d’un atelier plus grand, il peut s’adonner davantage à la sculpture, en taille directe, produisant aussi bien des bustes grandeur nature que de fines statuettes de danseuses ou de personnages humoristiques, ou encore des animaux stylisés et toujours de nombreux visages expressifs de personnages connus ou imaginaires. Il continue à dessiner et laisse notamment des illustrations de contes et légendes, des personnages et animaux fantastiques, et toujours de nombreuses têtes d’expression et des caricatures colorées, reflet de l’oeil attentif et amusé qu’il porte sur ses semblables.
Durant cette période et jusqu’en 1958, il met en vente des oeuvres dans plus de quarante galeries et présente des sculptures au Salon de la Société des Beaux-Arts de Lyon, qui lui attribue une médaille en 1938. Il participe régulièrement aux Salons des Amis des Arts de Roanne avec des peintures et des sculptures, à partir de 1940.
Jean Rouppert meurt à 91 ans à Bussières, petit village des Montagnes du matin le 25 août 1979, un an après le décès de sa femme. Il repose à Saint-Alban-les-Eaux.
Une oeuvre protéiforme marquée par l'expérience de la vie
Jean Rouppert a toujours été proche de la nature. ll fréquente la vie en campagne et les animaux. En tant qu’artiste, cela l’a amené à considérer la nature comme “l’artiste suprême” et l’unique base sérieuse pour la création artistique. La création d’expression animalière de Jean Rouppert, à travers son oeuvre, présente des dessins au crayon ou à l’encre, des tableaux souvent de technique mixte aquarelle et gouache et des sculptures de bois en taille directe. Des animaux “de chez nous” cotoient des exotiques, mais aussi ceux de la caricature, des contes et d’un monde satirique ou fantastique. S’intéressant également à la botanique, il exécute très tôt de nombreuses planches de toutes sortes de variétés de plantes et de fleurs. C’est avec ce dossier qu’il fut admis en 1913 comme dessinateur aux ateliers de la verrerie Emile Gallé à Nancy. Entre 1913 et 1924, Jean Rouppert a exécuté de nombreux dessins comportant des plantes et des animaux. Il s’agit là plus particulièrement d’oiseaux et d’insectes d’influence japonaise, comme le furent par ailleurs ses dessins du monde végétal. Pour lui-même, dans son atelier, il peindra dans les années 1920 et 1930 de nombreux tableaux d’animaux de style «Art Nouveau» puis «Art Déco». Par ailleurs il expérimenta le dessin illustrant des contes pour enfants où l’animal tient un rôle prépondérant : «le loup et le petit chaperon rouge», «la chèvre de monsieur Seguin», «les musiciens de Brême» ou «le périple imaginaire de Souriquet».

"Merlin, l'homme sauvage" (1923)
Technique mixte
Après son installation dans la Loire, il saisira aussi le monde rural. A partir de ce moment en effet, il dispose de plus de place, ce qui lui permet de s’adonner davantage à la sculpture, notamment à la taille directe de grosses pièces. A cette époque, il se détache des arts décoratifs, tout en restant proche de la source intarissable qu’est la nature. Les paysages, caricatures, scultptures présentent des formes plus figuratives et «classiques». Il retourne peindre sur le terrain et plus particulièrement dans le Roannais, le Bourbonnais, le long de la Loire et plus largement en Rhône-Alpes. De nombreuses aquarelles présentent des villages, des paysages champêtres. Ceci l’amène aussi à peindre des personnages du monde rural comme par exemple le laboureur, le sabotier, le vigneron, le maquignon, la bergère.

"Porteurs de fagots en hiver" (1932)
gravure aquarellée
Son oeuvre artistique pour sa période de guerre est conditionnée d’une part, par l’influence d’Emile Gallé et d’autre part, par les moyens rudimentaires pour produire les oeuvres, dessins et caricatures, statuettes et objets décoratifs. Cette production se fait sur le front, à l’hôpital à trois reprises, en permission ou en convalescence. Tout en faisant son devoir de soldat, Jean Rouppert a besoin de continuer à s’exprimer en tant qu’homme gardant sa liberté de pensée et en tant qu’artiste. Dans les tranchées, il exécute divers objets (statuettes à partir du bois provenant des charpentes des maisons bombardées, service à thé embouti dans du cuivre jaune pris dans des douilles de vieux clairons, obus de 58 cm en laiton décoré de libellules et de cornouillers, coffret en noyer orné d’un dragon menaçant...). Ces dernières oeuvres sont marquées par le style «Art Nouveau» de l’École de Nancy. Sur le front, dans son «gourbi» ou à l’arrière, il fait des croquis et des dessins de ses camarades au crayon et parfois à l’encre de Chine.

"Le fusillé" (1918) porte cette inscription:
"La guerre est faite de toutes les faiblesses et n'en admet aucune"
Rappelons que parmi les martyrs de Vingré on compte deux habitants d'Ambierle, près de Roanne.
Puis, entre 1919 et 1924, notamment à partir de croquis du front, il dessine de nombreuses caricatures critique de la guerre. Plus que les scènes de combat, il exprime d’une manière réflexive, par des thèmes forts et symboliques, l’atrocité de la guerre (la condition dans les tranchées, à l’hôpital), la bêtise humaine (se tuer réciproquement), les fantasmes des poilus sur ce qui se passe à l’arrière (les civils, la légèreté, les femmes, la mode, l’amusement), les intérêts inavoués des uns et des autres et des éléments contextuels de cette période de guerre (le commerce de l’armement, le progrès, la presse, les dirigeants, Dieu, les religieux), puis l’après-guerre (la gloire, les bénéficiaires, les ruines, les infirmités, la paix, la justice, la famille, la reconstruction). Ces dessins sont rassemblés en deux albums: « La Hache et le Calumet » et «Au Temps des Vieilles Noix ». Au bas de chaque dessin figure un commentaire bref et interpellant.

"Le hibou"
En sculpture (surtout entre 1935 et 1945), beaucoup de sa production est influencée par l’Art Déco. Les pièces sculptées représentant des animaux sont nombreuses et variées ; des panthères, éléphants, bisons côtoient des lérots, écureuils, chats ou autres poissons. En cette production, Jean Rouppert se situe dans le courant de l’art animalier qui a pris un essor avec notamment Barye, sculpteur et aquarelliste. Cet art décoratif est encore perçu comme inférieur au milieu du 19e siècle. Cela change vers la fin du siècle et se maintiendra jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Le champ d’investigation animalier est très large ; dans l’eau, sur terre et dans les airs, la variété est riche. Toutefois, on peut noter le succès indéniable des félidés (lion, tigre, panthère, chat, etc.) créés par les Bugatti, Pompon, Jouve ou Nam. Chez ces artistes, comme chez Jean Rouppert, la palette d’expression animalière va de la puissance à la fragilité en passant parfois par une touche humoristique, comme par exemple pour le coq déplumé de Pompon. A partir des années 1950, l’expression animalière chez l'artiste se concrétise plus particulièrement à travers de nombreux dessins regroupés dans des albums nommés « L’Arche », « Chiens », « Parentèle », « Bestiaire ». Parmi les dessins faits tardivement se trouvent aussi des animaux sortant du monde fantastique. L’oeuvre animalière de Jean Rouppert est important et s’étend sur toute sa trajectoire d’artiste.
Durant toute sa vie d’artiste, Jean Rouppert s’est exprimé aussi à travers la caricature satirique ou humoristique, s'intéressant à la physionomie du visage et développant des portraits de charge et des têtes d’expression, des caricatures de situation, dans laquelle des personnages typés mettent en relief le comportement ou la pensée d’une époque.
Après 1945 et jusqu’en 1977, de nombreux visages (plus d’un millier) d’ici (de tous les milieux sociaux) et d’ailleurs (plus particulièrement influencés par son séjour au Sénégal entre 1908 et 1910), contemporains (reflétant la modernité) comme historiques (rois, personnages de la bible), témoignent de son intérêt pour l’étude de l’expression humaine (la joie, la tristesse, la souffrance, la passion, la fierté,...). Il arrive que les visages se transforment en figures homme-animal ou animal-homme et font penser à l’art animalier. Les caricatures de situation représentent des citoyens qui échangent plus particulièrement sur l’art ou sur la vie politique et sociale, le dessin est alors accompagné d’une légende.

"Jeune garçon à la mèche" (1951)
Crayon, lavis, gouache
Dans la période des années 1950, Jean Rouppert sculpte, sur bois, des caricatures marquant l’exagération des caractères physiques et narguant des pratiques du monde populaire comme aller promener son chien. Cette technique plastique est plutôt rare dans le milieu de la caricature. La posture de regard critique de Jean Rouppert se retrouve aussi dans ses écrits, dans des lettres comme dans des essais sur l’art ou sur la laideur. Comme dans la littérature sur la caricature, il est opportun d’utiliser des termes différents pour la représenter et la décrire. Dans la production de Jean Rouppert, nous pouvons observer un éventail de styles allant «du coup de crayon» destiné à des journaux et des illustrés humoristiques pour le grand public à l’oeuvre aboutie destinée aux différentes manifestations artistiques.
Il s’inscrit ainsi autant dans le type de publications du début du 20e siècle comme par exemple « L’assiette au beurre » en France ou « Simplicissimus » en Allemagne que dans la lignée des oeuvres des Callot, Doré, Daumier, Gogol, Hugo, Rops, Heine ou autre Kubin.
L’étude de la biographie de Jean Rouppert dévoile un homme discret, proche de la nature, ne reniant pas ses origines du monde ouvrier, explorant de nombreuses techniques artistiques : le dessin au crayon et à la plume souvent coloré à l’aquarelle, rehaussé de gouache...
Il naît le 15 août 1887 à Custines, près de Nancy. Très jeune, il manifeste des dons pour le dessin et l’on retrouve des portraits et des caricatures dessinés dès l’âge de 14 ans. Il en effectuera tout au long de sa vie, saisissant toutes les expressions humaines, y compris en Afrique où il séjourna comme engagé volontaire, de 1908 à 1910. Observant la nature, il exécute de nombreuses planches de plantes et de fleurs ainsi que des études d’animaux. C’est avec ce dossier d’autodidacte que, de retour à Nancy, il est admis aux ateliers Emile Gallé, en 1913, dans lesquels il se formera comme dessinateur professionnel.

L'artiste (1969)
En 1915, il rend compte dans une lettre adressée à Madeleine Labouré, une institutrice à Roanne qu'il a épousée quelques mois plus tôt de l'ambiance qui règne dans ces prestigieux ateliers:
“Que de jolies choses il y a, ma petite Mad, en cet atelier. Là les mauves s’irradient sur une rose transparente, des glycines fleurissent sur un fond d’or, des ombelles jaunes se tordent sur du rubis. Ici des nénuphars s’échevèlent sur un vert délicieux, des arbres se dressent sur une perspective montagneuse et violette. Des cygnes se prélassent en des pièces d’eau, des libellules volent au-dessus de merveilleux iris, des hirondelles se poursuivent sur le pourtour d’abat-jour sanguins. On voit toute la symphonie des couleurs et la diversité des verres. Dans l’atelier du dessous, on travaille le bois et des ouvriers sculptent des meubles délicieux. Des guirlandes en marqueterie mettent du charme partout et rivalisent avec les carrelures les plus délicates. L’atelier ressemble à une serre. devant les fenêtres, il y a des pots emplis de fleurs. Et chaque matin, ceux qui ont des fleurs les arrosent. L’atelier ressemble aussi à une volière. Les oiseaux étant muets sur les vases, ce sont les hommes qui sifflent, chantent, et plus souvent braillent pour eux. Au deuxième étage, il y a encore un atelier de décors. Une quarantaine de femmes et de demoiselles y travaillent et leurs romances répondent à nos couplets.”

Jean en permission et Madeleine Rouppert
La guerre interrompt et sa romance avec Mad et son travail chez Gallé. Mobilisé le 31 juillet 1914 comme réserviste au 6e Régiment d’artillerie à Toul, il est engagé par la suite sur différents fronts et notamment dans la Meuse, la Somme, Verdun et puis la Lorraine. En janvier 1915, il écrit cette lettre à son épouse: “Chère Mady, ne soit pas inquiète sur mon emploi, je suis bien prudent et puis on ne meurt pas avec tant de facilité. D’ailleurs, il n’est que passager et, sans doute, je prendrai poste à l’ambulance en seconde ligne d’ici peu, d’après ce que l’on dit. Je te donnerai plus tard des renseignements sur mon cantonnement (-). (-) Sais-tu à quoi j’occupe mes loisirs présentement ? J’ai pris un morceau de noyer dans un bois de lit, détruit par les obus et je te sculpte une petite statuette, une dame, avec un bourrichon et un grand manteau moderne avec d’affreuses emmanchures à la mode. Ce sera pour toi, en souvenir. En y travaillant, j’ai tout l’esprit si occupé ma petite Mady, que les heures passent sans lassitude.
Ton Jean.”

"Une dame, avec un bourrichon et un grand manteau moderne avec d’affreuses emmanchures à la mode..."
II ne sera démobilisé que le 10 avril 1919 après avoir, de plus, réchappé à la grippe espagnole. De cette guerre, il reviendra aussi avec des croquis effectués dans les tranchées dont il tirera ensuite de nombreux dessins à l’encre noire, d’une grande force qui constituent une critique sans concession de la guerre. Jusqu'en 1924, il reprend son travail chez Gallé. Il quitte ensuite les ateliers Gallé où il était devenu responsable artistique, pour s’installer à Lyon.
Il se fait apprécier des fabricants de soieries pour ses dessins et son style «Arts décoratifs». Dans son atelier personnel, il développe son oeuvre de sculpteur sur bois. Il expose également ses peintures au Salon d’automne, à Lyon, de 1925 à 1934.

Dans son atelier (1935)
En 1932, il se retire avec son épouse dans le Roannais, à Saint-Alban-les-Eaux où il installe son atelier. Les paysages alentours lui inspirent bon nombre de ses aquarelles, gouaches ou lavis. Disposant d’un atelier plus grand, il peut s’adonner davantage à la sculpture, en taille directe, produisant aussi bien des bustes grandeur nature que de fines statuettes de danseuses ou de personnages humoristiques, ou encore des animaux stylisés et toujours de nombreux visages expressifs de personnages connus ou imaginaires. Il continue à dessiner et laisse notamment des illustrations de contes et légendes, des personnages et animaux fantastiques, et toujours de nombreuses têtes d’expression et des caricatures colorées, reflet de l’oeil attentif et amusé qu’il porte sur ses semblables.
Durant cette période et jusqu’en 1958, il met en vente des oeuvres dans plus de quarante galeries et présente des sculptures au Salon de la Société des Beaux-Arts de Lyon, qui lui attribue une médaille en 1938. Il participe régulièrement aux Salons des Amis des Arts de Roanne avec des peintures et des sculptures, à partir de 1940.
Jean Rouppert meurt à 91 ans à Bussières, petit village des Montagnes du matin le 25 août 1979, un an après le décès de sa femme. Il repose à Saint-Alban-les-Eaux.
Une oeuvre protéiforme marquée par l'expérience de la vie
Jean Rouppert a toujours été proche de la nature. ll fréquente la vie en campagne et les animaux. En tant qu’artiste, cela l’a amené à considérer la nature comme “l’artiste suprême” et l’unique base sérieuse pour la création artistique. La création d’expression animalière de Jean Rouppert, à travers son oeuvre, présente des dessins au crayon ou à l’encre, des tableaux souvent de technique mixte aquarelle et gouache et des sculptures de bois en taille directe. Des animaux “de chez nous” cotoient des exotiques, mais aussi ceux de la caricature, des contes et d’un monde satirique ou fantastique. S’intéressant également à la botanique, il exécute très tôt de nombreuses planches de toutes sortes de variétés de plantes et de fleurs. C’est avec ce dossier qu’il fut admis en 1913 comme dessinateur aux ateliers de la verrerie Emile Gallé à Nancy. Entre 1913 et 1924, Jean Rouppert a exécuté de nombreux dessins comportant des plantes et des animaux. Il s’agit là plus particulièrement d’oiseaux et d’insectes d’influence japonaise, comme le furent par ailleurs ses dessins du monde végétal. Pour lui-même, dans son atelier, il peindra dans les années 1920 et 1930 de nombreux tableaux d’animaux de style «Art Nouveau» puis «Art Déco». Par ailleurs il expérimenta le dessin illustrant des contes pour enfants où l’animal tient un rôle prépondérant : «le loup et le petit chaperon rouge», «la chèvre de monsieur Seguin», «les musiciens de Brême» ou «le périple imaginaire de Souriquet».

"Merlin, l'homme sauvage" (1923)
Technique mixte
Après son installation dans la Loire, il saisira aussi le monde rural. A partir de ce moment en effet, il dispose de plus de place, ce qui lui permet de s’adonner davantage à la sculpture, notamment à la taille directe de grosses pièces. A cette époque, il se détache des arts décoratifs, tout en restant proche de la source intarissable qu’est la nature. Les paysages, caricatures, scultptures présentent des formes plus figuratives et «classiques». Il retourne peindre sur le terrain et plus particulièrement dans le Roannais, le Bourbonnais, le long de la Loire et plus largement en Rhône-Alpes. De nombreuses aquarelles présentent des villages, des paysages champêtres. Ceci l’amène aussi à peindre des personnages du monde rural comme par exemple le laboureur, le sabotier, le vigneron, le maquignon, la bergère.

"Porteurs de fagots en hiver" (1932)
gravure aquarellée
Son oeuvre artistique pour sa période de guerre est conditionnée d’une part, par l’influence d’Emile Gallé et d’autre part, par les moyens rudimentaires pour produire les oeuvres, dessins et caricatures, statuettes et objets décoratifs. Cette production se fait sur le front, à l’hôpital à trois reprises, en permission ou en convalescence. Tout en faisant son devoir de soldat, Jean Rouppert a besoin de continuer à s’exprimer en tant qu’homme gardant sa liberté de pensée et en tant qu’artiste. Dans les tranchées, il exécute divers objets (statuettes à partir du bois provenant des charpentes des maisons bombardées, service à thé embouti dans du cuivre jaune pris dans des douilles de vieux clairons, obus de 58 cm en laiton décoré de libellules et de cornouillers, coffret en noyer orné d’un dragon menaçant...). Ces dernières oeuvres sont marquées par le style «Art Nouveau» de l’École de Nancy. Sur le front, dans son «gourbi» ou à l’arrière, il fait des croquis et des dessins de ses camarades au crayon et parfois à l’encre de Chine.

"Le fusillé" (1918) porte cette inscription:
"La guerre est faite de toutes les faiblesses et n'en admet aucune"
Rappelons que parmi les martyrs de Vingré on compte deux habitants d'Ambierle, près de Roanne.
Puis, entre 1919 et 1924, notamment à partir de croquis du front, il dessine de nombreuses caricatures critique de la guerre. Plus que les scènes de combat, il exprime d’une manière réflexive, par des thèmes forts et symboliques, l’atrocité de la guerre (la condition dans les tranchées, à l’hôpital), la bêtise humaine (se tuer réciproquement), les fantasmes des poilus sur ce qui se passe à l’arrière (les civils, la légèreté, les femmes, la mode, l’amusement), les intérêts inavoués des uns et des autres et des éléments contextuels de cette période de guerre (le commerce de l’armement, le progrès, la presse, les dirigeants, Dieu, les religieux), puis l’après-guerre (la gloire, les bénéficiaires, les ruines, les infirmités, la paix, la justice, la famille, la reconstruction). Ces dessins sont rassemblés en deux albums: « La Hache et le Calumet » et «Au Temps des Vieilles Noix ». Au bas de chaque dessin figure un commentaire bref et interpellant.

"Le hibou"
En sculpture (surtout entre 1935 et 1945), beaucoup de sa production est influencée par l’Art Déco. Les pièces sculptées représentant des animaux sont nombreuses et variées ; des panthères, éléphants, bisons côtoient des lérots, écureuils, chats ou autres poissons. En cette production, Jean Rouppert se situe dans le courant de l’art animalier qui a pris un essor avec notamment Barye, sculpteur et aquarelliste. Cet art décoratif est encore perçu comme inférieur au milieu du 19e siècle. Cela change vers la fin du siècle et se maintiendra jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Le champ d’investigation animalier est très large ; dans l’eau, sur terre et dans les airs, la variété est riche. Toutefois, on peut noter le succès indéniable des félidés (lion, tigre, panthère, chat, etc.) créés par les Bugatti, Pompon, Jouve ou Nam. Chez ces artistes, comme chez Jean Rouppert, la palette d’expression animalière va de la puissance à la fragilité en passant parfois par une touche humoristique, comme par exemple pour le coq déplumé de Pompon. A partir des années 1950, l’expression animalière chez l'artiste se concrétise plus particulièrement à travers de nombreux dessins regroupés dans des albums nommés « L’Arche », « Chiens », « Parentèle », « Bestiaire ». Parmi les dessins faits tardivement se trouvent aussi des animaux sortant du monde fantastique. L’oeuvre animalière de Jean Rouppert est important et s’étend sur toute sa trajectoire d’artiste.
Durant toute sa vie d’artiste, Jean Rouppert s’est exprimé aussi à travers la caricature satirique ou humoristique, s'intéressant à la physionomie du visage et développant des portraits de charge et des têtes d’expression, des caricatures de situation, dans laquelle des personnages typés mettent en relief le comportement ou la pensée d’une époque.

"Tête-Etude" (1930)
Après 1945 et jusqu’en 1977, de nombreux visages (plus d’un millier) d’ici (de tous les milieux sociaux) et d’ailleurs (plus particulièrement influencés par son séjour au Sénégal entre 1908 et 1910), contemporains (reflétant la modernité) comme historiques (rois, personnages de la bible), témoignent de son intérêt pour l’étude de l’expression humaine (la joie, la tristesse, la souffrance, la passion, la fierté,...). Il arrive que les visages se transforment en figures homme-animal ou animal-homme et font penser à l’art animalier. Les caricatures de situation représentent des citoyens qui échangent plus particulièrement sur l’art ou sur la vie politique et sociale, le dessin est alors accompagné d’une légende.

"Jeune garçon à la mèche" (1951)
Crayon, lavis, gouache
Dans la période des années 1950, Jean Rouppert sculpte, sur bois, des caricatures marquant l’exagération des caractères physiques et narguant des pratiques du monde populaire comme aller promener son chien. Cette technique plastique est plutôt rare dans le milieu de la caricature. La posture de regard critique de Jean Rouppert se retrouve aussi dans ses écrits, dans des lettres comme dans des essais sur l’art ou sur la laideur. Comme dans la littérature sur la caricature, il est opportun d’utiliser des termes différents pour la représenter et la décrire. Dans la production de Jean Rouppert, nous pouvons observer un éventail de styles allant «du coup de crayon» destiné à des journaux et des illustrés humoristiques pour le grand public à l’oeuvre aboutie destinée aux différentes manifestations artistiques.
Il s’inscrit ainsi autant dans le type de publications du début du 20e siècle comme par exemple « L’assiette au beurre » en France ou « Simplicissimus » en Allemagne que dans la lignée des oeuvres des Callot, Doré, Daumier, Gogol, Hugo, Rops, Heine ou autre Kubin.
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Le texte et les illustrations de cet article sont l'entière propriété de M. Ronald Müller.