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La Semaine du Cycle souffle ses cinq bougies. Et comme de coutume, c'est le Vélodrome qui servira d'écrin à la petite reine, théâtre d'une lutte commerciale ardente mais courtoise.

Illustration en couverture de l'album officiel
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Cette édition s'annonce particulièrement relevée. Il se trouve en effet que cette année il y aura à Paris un Salon de l'Automobile mais pas de Salon du Cycle. Qui plus est, les deux Expositions devraient coincider à peu près dans les dates. Aussi, les visiteurs de province et de l'étranger pourront englober dans un même voyage l'Automobile et la Bicyclette. D'autre part, concernant la Semaine stéphanoise, il est à noter que le nombre d'exposants sera sensiblement le même qu'en 1930. Preuve s'il en est que le succès de cette manifestation ne s'amoindrit pas. Nos excellents confrères du Forez Sportif se sont plu à dresser la liste des pièces et accessoires que le visiteur pourra y trouver. Nous n'allons pas la reproduire en intégralité mais pour le plaisir quelques pièces: Huiles industrielles, Décalcomanies pour cycles, Raccords de selles emboutis, Manivelles, Pédales et pédaliers, Alésoirs, Tringles de garde-boue, Freins à tambour pour cycles, Feux rouges, Têtes de fourche, Pompes, Pneumatiques...

M. J-F. Boudet, Président du Comité d'organisation (en photo ci-dessus) a accordé à Forez Info un entretien exclusif. Il revient sur l'histoire de cette manifestation, de son départ à son ascension.
M. Boudet, avant d'en venir à la Semaine proprement-dite, pouvez-vous, à l'intention de nos lecteurs qui ne sont pas Foréziens, expliquer l'importance qu'occupe l'industrie du cycle dans notre économie ?
Trois chiffres: 250 usines, 25 000 ouvriers et quatre millions de cycles roulant en France manufacturés entièrement dans la Loire.
Quatre millions ! Mais combien y-a-t-il de cycles en France ?
On estime qu'il y a sept millions de cycles roulant aujourd'hui dans notre pays. Et je dois préciser qu'une bonne part des trois autres millions de bicyclettes en circulation sont constituées en partie de pièces provenant de nos usines. Pignons de pédalier, séries, jeux de direction, manivelles... Exclusivement fabriqués dans la Loire ! Les pédales ? Sur dix usines en France, huit sont dans la Loire. Les roues libres: treize usines sur quinze dans la Loire !
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Saint-Etienne est donc bien la capitale du Cycle...
Sans conteste et depuis longtemps. L'expression "Coventry français" servant à désigner notre cité date de 1898. Nous la devons à Maurice Martin. Un citoyen américan, William H. Tolmann, l'a pour sa part surnommée "The Pittsburg of France". Un beau compliment malgré cette manie toute anglo-saxonne de ramener nos mérites à leur géographie. Dois-je rappeler encore que Dombret et Jussy, dont les Ateliers du Furan actuels sont les dignes successeurs, débutèrent en 1890 à La Chaléassière ? Que vers la même époque, Chavanet, Goudefer et Gros furent les précurseurs de "Automoto" ? Et on pourrait citer encore de Vivie, Blachon et Mimard, Ravat et Argaud. Les frères Gauthier bien sûr !
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Affiche de la 1ère Semaine (1927)
L'original était en couleur
Les titres de Saint-Etienne ne sont pas contestables et il suffit de les remettre en mémoire. Ce que vous avez fort bien fait. 1927 maintenant, comment est née l'idée d'organiser une Semaine du Cycle à Saint-Etienne ?
Le Salon de Paris devenait de plus en plus onéreux aux constructeurs stéphanois de pièces détachées et d'accessoires. En raison du développement de l'Automobile, il leur devenait de plus en plus difficile de s'y faire une place. Trop de monde, ce qui nuit aux affaires mais des prix de transport et d'hébergement toujours plus élevés. Je rappelle au passage le prix du mètre carré d'un stand à Paris: 500 francs !
Face à cette situation, les dirigeants de l'Industrie du Cycle à Saint-Etienne ont décidé de réagir. Partant du constat que tous les acheteurs viennent au moins une fois par an à Saint-Etienne, nous avons choisi de les inviter tous à la fois, au même moment !

Le Vélodrome et les 163 stands des exposants (Ière édition)
Cette initiative a soulevé de vives polémiques...
En effet ! Mais il ne s'agissait pas dans notre esprit de créer une "concurrence" au Salon de Paris. Nous réalisions le gâchis qui avait été fait avec les foires, dont la valeur et le rendement furent détruits en laissant créer partout des imitations de la Foire de Lyon. Nous ne voulions pas réitérer l'erreur avec le Salon de Paris. La capitale reste la capitale ! Mais à Paris, c'est l'Automobile qui est à la base de tout ! Le Cycle est le parent pauvre de la fête. Par ailleurs, Saint-Etienne n'ambitionne que le titre de "Capitale de la Pièce détachée". Ses constructeurs de machines complètes continuent à aller à Paris et continuent à faire tous leurs efforts pour offrir au public des installations particulièrement brillantes, tant du point de vue présentation que qualité des produits.
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Inauguration de la Ière Semaine
On a prétendu aussi, avant cette première édition, que les constructeurs stéphanois allaient vendre à tout-venant et que des facilités seraient faites aux détaillants à l'encontre des intérêts des grossistes...
Oui... Certains ont prétendu que la clientèle des usagers cyclistes pourraient prendre connaissance des prix de gros... Pure médisance ! Et les clients habituels de Saint-Etienne ont pu constater que la bonne foi et la correction commerciale étaient au rendez-vous. Chacun fit les affaires comme il avait coutume de le faire et traita avec son habituelle clientèle. Les "marques" vendirent directement aux agents et les constructeurs de pièces détachées traitèrent avec les seuls commissionnaires et grossistes, comme d'usage. Pourquoi en aurait-il été autrement à Saint-Etienne qu'à Paris, Londres ou Bruxelles ?

Affiche de la 2e édition (1928)

Par ailleurs, n'expose pas qui veut !
Absolument ! Dès 1927, nous avons offert des garanties formelles au sujet de la qualité "industrielle" des exposants. Sont en effet admis à exposer les seuls membres de la Chambre Syndicale de l'Industrie des Cycles et Automobiles de Saint-Etienne. Il n'y a en son sein que de véritables fabricants. Nous exigeons deux années d'exercice avant examen d'une candidature. On s'assure qu'ils sont réellement producteurs, qu'ils ont un atelier, des ouvriers... Et croyez-moi, on n'admet pas tout le monde !
Les règles sont appliquées à la lettre et je crois pouvoir dire qu'aucune autre Chambre syndicale française ne fait subir aux candidats à l'admission un examen aussi sévère.

Un autre point qui posait problème concernait le logement...
On avait craint des difficultés mais des mesures avaient été prises et tout s'est bien passé. Et tout se passera bien encore ! Je salue au passage le Service du logement qui fournit un travail remarquable. Quelle que soit la foule des visiteurs étrangers, on les logera toujours bien à Saint-Etienne. A Paris, il n'est pas rare de devoir loger à plus d'une heure du Grand Palais. Quant à la cuisine, elle est renommée. Les bons plats et le bon pinard ont plus d'amateurs, nous n'en rougissons pas, que les oeuvres d'art et la littérature !
Les éditions qui ont suivi ont-elles innové ?
Pas vraiment, l'esprit est resté le même. Il s'agit de rassembler dans notre admirable Vélodrome tout ce que l'art cycliste produit de meilleur, les dernières trouvailles, les derniers raffinements... et de mettre face à face producteurs et clients pour qu'ils échangent, exposent leurs doléances, leurs besoins et... traitent des affaires.
Les éditions qui ont suivi ont-elles innové ?
Pas vraiment, l'esprit est resté le même. Il s'agit de rassembler dans notre admirable Vélodrome tout ce que l'art cycliste produit de meilleur, les dernières trouvailles, les derniers raffinements... et de mettre face à face producteurs et clients pour qu'ils échangent, exposent leurs doléances, leurs besoins et... traitent des affaires.
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M. Elbel (Ministère du Commerce) s'entretient avec des exposants
lors de la 5e Semaine (1931)
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Le succès fut-il toujours au rendez-vous ?
Le succès est allé croissant. Et les difficultés sont restées !
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La 2e Semaine, en 1928, fut inaugurée par M. Etienne Fougères, Président de l'Association Nationale de l'Expansion Economique. Ce qui constituait déjà en soi une première promotion. Elle fut couronnée d'un succès encore plus grand. Le Vélodrome, dont l'immense verrière avait été luxueusement décorée, résonnait de toutes les langues d'Europe ! Les affaires furent fameuses.

La 3e eut quelques difficultés. Il se trouve en effet que la Fédération Nationale de l'Automobile, du Cycle et de l'Aéronautique l'avait interdite sous la pression des Chambres Parisiennes du Cycle ! Elle a quand même ouverte ses portes, malgré les pressions faites sur de nombreux exposants menacés de ne pouvoir figurer au Salon de Paris. Mieux ! C'est le Ministre de l'Air, M. Eynac, qui devait l'inaugurer. Une crise ministérielle l'empêcha de faire un joli pied-de-nez aux Parisiens. Les transactions furent importantes.
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La 4e se déroula dans une atmosphère apaisée et elle fut, très certainement, un appréciable palliatif à la crise mondiale qui sévit encore actuellement.

Que faut-il souhaiter à la 5e édition qui s'annonce et au Cycle stéphanois ?
Qu'ils retrouvent la floraison des beaux jours ! C'est ce que souhaite tout le peuple du travail, qu'est Saint-Etienne tout entier ! Mais étant donné le déséquilibre économique mondial qui nous étreint, il n'est plus temps de faire des souhaits et des discours. Il faut aller plus loin ! Il faut autre chose à une industrie écrasée par les charges ! Par exemple, un nouveau traité de commerce franco-espagnol est nécessaire. Que les Pouvoirs publics entendent enfin la voix de la vérité et du besoin !

Les propos prêtés à Jean-Frédéric Boudet, à l'exception de la petite pique sur les Anglo-Saxons, sont extraits de la préface qu'il a écrit dans l'album officiel de l'Exposition. Nous avons aussi utilisé ceux des articles rétrospectifs publiés dans diverses revues régionales du début des années 30.