Friday, September 29, 2023
Il est toujours surprenant de constater l'immense diversité des cartes postales d'antan. La carte postale était une invitation poétique au voyage. Mais elle fut aussi, autrefois surtout, un formidable moyen de promouvoir les provinces et les villes de France. Y compris le pays noir stéphanois, comme nous allons le voir avec Monsieur Bedoin qui nous a communiqué un petit travail sur les cartes postales illustrées par le monde de la mine.

Portraits d’hommes, images de puits ou de machines, vue de cités..., les cartes postales ont célébré la mine. Et c’est à travers elles qu’en avril 2005, MM. Maurice Bedoin et Patrice Lattanzi, au Musée de la Mine, ont convié le public stéphanois à un voyage. Mais il ne s’agissait pas seulement d’une escapade dans le temps et l’espace local, à la recherche de fragments disparus d’un Saint-Etienne fantôme mais d’une incursion plus lointaine dans le rêve et la méditation. En effet, leur travail baptisé " Bons baisers de Couriot " se doublait pour les spectateurs de la lecture de textes d’Italo Calvino (1923-1985) évoquant ses célèbres Villes invisibles (1972).
 
" Parfois il me suffit d'une échappée qui s'ouvre au beau milieu d'un paysage incongru, de l'apparition de lumières dans la brume, de la conversation de deux passants qui se rencontrent dans la foule, pour penser qu'en partant de là, je pourrai assembler pièce à pièce la ville parfaite (...). Si je te dis que la ville à laquelle tend mon voyage est discontinue dans l'espace et le temps, plus ou moins marquée ici ou là, tu ne dois pas en conclure qu'on doive cesser de la chercher."
I. Calvino


M. Bedoin, répondant à notre sollicitation, a eu la gentillesse de nous faire parvenir le texte de sa conférence afin de le mettre à disposition des forez' nautes. Pour illustrer, nous utilisons  nos propres cartes postales puisque celles utilisées par M. Bedoin appartiennent à des collectionneurs. Nous avons donc légèrement remanié le texte pour le distancier des illustrations et opéré quelques coupes dans l'exposé initial. Cependant, le gros du texte est semblable et le lecteur pourra apprécier ce document qui raconte un peu la mine en même temps que la fabuleuse histoire de la carte postale.  Un dernier mot enfin pour  signaler que nous avons voulu, modestement, garder l’idée de la soirée de Couriot. Aussi, vous retrouverez de temps à autre le poète des Villes invisibles et peut-être serez-vous touchés, vous aussi, par la justesse, à ce qu’il nous semble, de certains de ses propos, grapillés par nos soins ici et là.

FI

" C’est une ville qui n’est faite que d’exceptions, d’impossibilités, de contradictions, d’incongruités, de contre-sens. Si une ville ainsi faite est tout ce qu’il y a de plus improbable, en abaissant le nombre des éléments anormaux la probabilité grandit que la ville existe véritablement."
I. Calvino


Patrice Lattanzi et moi-même, allons exprimer notre fascination pour les images. Les cartes postales, à leur façon, vont nous faire entrer dans la matérialité de l’univers minier du début du siècle. Nous savons tous qu’au- delà de la vision, les images ouvrent la porte au rêve et à l’imagination et nous font rentrer dans un rapport nouveau au monde. Nous espérons qu’une certaine magie puisse s’opérer ainsi. Les cartes postales minières nous conduisent bien au-delà de la connaissance, bien au-delà du dépaysement, elles nous font entrer dans une exquise flânerie de l’esprit.

Voilà pourquoi, il nous a semblé intéressant de vous convier à une analogie entre la représentation du monde minier perçu par le photographe et la représentation de la ville perçue par le poète visionnaire. Ne cherchez pas à reconnaître ces villes, elles ont été appelées des villes invisibles par Italo Calvino. Nous avons pensé que la façon la plus adéquate pour traduire l’impression que nous laissaient ces cartes postales, était de lire un passage de l’œuvre d’Italo Calvino, comme on écoute une œuvre musicale. Laissons-nous entraîner dans ces paysages où l’imagination est reine, dans des villes qui ont pour nom : Isaura, Ersilie, Moriane, Tecla, Argie, Baucis.

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Quoi de plus beau que cette carte postale ? Elle est la façon la plus exquise et la plus vraie pour envoyer un message de tendresse : tu n’es pas là, mais je pense à toi, peut-être veut-on dire plus encore : tu vois, je me suis appliqué pour t’écrire, tu vas pouvoir conserver mon prénom sous tes yeux, le prononcer, le répéter. Cette carte postale qui représente le Puits Couriot, c’est aussi une manière de dire : Tu n’es pas avec moi, mais désormais, tu connais un peu mieux les paysages qui me sont familiers. Quand tu regardes ce quartier, c’est comme si tu étais avec moi.

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"Isaura, la ville aux mille puits, s'est élevée présume t-on sur un profond souterrain."
I. Calvino, ISAURA

La partie écrite : un peu d’intimité volée

Il fut un temps où le recto servait exclusivement à indiquer l’adresse du destinataire. Le message était écrit du même côté que l’illustration. Sur beaucoup de cartes, texte et illustration minière fonctionnent en totale autonomie : peu importe la carte, qui a probablement été achetée il y a quelque temps et conservée en réserve. On y parle du temps, de la santé, des voyages à venir.

"Chère tante,
J’ai le plaisir de vous donner de mes nouvelles. Ma santé est très bonne, il fait un peu froid à Saint-Etienne. Je suis bien content, nous avons beaucoup de travail à l’imprimerie.
Votre neveu reconnaissant et affectueux.
Pierre Dubeau"


Parfois le texte est bien calé dans la marge de droite, respectant la forme épistolaire, parfois il envahit tous les espaces libres, débordant sur la photographie et écrit en faisant tourner la carte de 360 ° ! Sur quelques autres, elles sont plus rares, le texte renvoie à l’illustration, pour laisser exprimer un point de vue sur les lieux, sur la ville. La carte a été choisie et achetée pour son illustration.

"Saint-Etienne, le 15 novembre 1902. Un des nombreux puits qui constellent Saint-Etienne, c’est pas beau."


Ce commentaire sans concession se retrouve sur une autre carte, expédiée par un habitant de Chagny en 1908, à l’issue de son voyage à Saint-Etienne :  "Je n’étais pas sûr de votre adresse pendant notre voyage, à Bas et à Saint-Etienne, aussi j’ai attendu que nous rentrions pour vous montrer un peu de ce que nous avons vu ces 3 jours. Par exemple Saint-Etienne. Ce n’est pas ce qui est sur cette carte, surtout le Saint-Etienne des mineurs. Que l’on travaille dur dans cette ville et que ceux qui travaillent ont l’air d’avoir une vie de primitifs, à en juger par les maisons. Nous pensons rentrer mardi soir. Au revoir."

En d’autres cas, la photographie est surchargée, on y trace une croix pour situer des lieux fréquentés par le correspondant, lieux de travail, lieux de vie. C’est une façon de dire : "je suis d’ici, c’est ici que je travaille."
 
"Saint-Etienne le 14 décembre 1908
Chers parents,
Je m’empresse à vous écrire pour vous dire que j’ai fait bon voyage, et j’ai bien eu le temps de prendre le train. J’avais encore 40 minutes. J’ai écrit à Antonin en même temps que vous et je lui ai expliqué la chose comme vous m’aviez dit. Je vous envois le puits où c’est que nous travaillons. Vous regarderez où c’est que nous passons. C’est marqué. Pas grand’ chose de nouveau pour aujourd’hui. Jusqu'au plaisir de se revoir tous ensemble.

Votre beau-fils BB, qui vous aime pour la vie. Bonne santé, soyez de même."

 
Ou bien encore, cette vue du Puits Combes à Roche-la-Molière où le texte est beaucoup plus riche. Le mineur exprime son sentiment sur le puits où il travaille:
"Roche la Molière le 22-2-42
Chère maman, cher papa,
Voici la vue du puits où je travaille, cette photo est assez vieille, mais il n’y a pas beaucoup de changements, évidemment c’est assez noir comme paysage."


Mais ensuite, il confie le malaise affectif de ces jeunes qui sont coupés de leur famille ou de leur bien-aimée :  "Ce matin, je suis arrivé de Roanne où j’ai passé la journée avec ma Jeannette, c’est bien long je vous assure de rester ainsi la semaine entière sans se voir. Aussi je m’occupe à l’heure actuelle de trouver un logement ou plutôt elle a d’ailleurs demandé son changement ou plus exactement une suppléance ici ou à Firminy, car cette vie séparée constamment ne peut durer, c’est très pénible pour nous."

Aujourd’hui, à l’heure des textos et des mails, nous avons de la peine à imaginer ce que fut le succès de la carte postale, comme moyen de correspondance.

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"Cette ville qui ne s’efface pas de l’esprit est comme une charpente ou un réticule dans les cases duquel chacun peut disposer de ce qu’il veut se rappeler…" I.Calvino, ZORA


La carte postale, un succès révélateur d’une époque

Le numéro du 4 octobre 1908 de la Loire Républicaine nous donne un aperçu du succès irrésistible de la carte postale. Le journaliste signale que Saint-Etienne est victime d’une épidémie de cartomanie : "Nous avons eu la curiosité de nous renseigner sur les ravages que cette contagion exerce à Saint-Etienne. Ils sont plus grands que nous le pensions et que vous le pensiez peut-être vous-mêmes. En semaine, Saint-Etienne expédie de 5 à 6 000 cartes par jour. Il en reçoit le même nombre. C’est déjà déconcertant, n’est-ce pas ? Eh bien ! le dimanche ces chiffres sont imperturbablement portés au double.  Le dimanche, les Stéphanois jettent dans les diverses boîtes aux lettres de la ville de dix à douze mille cartes postales. Les courriers de la soirée et de la nuit en apportent autant, qu’on leur distribue le lundi matin. Le moindre déplacement dominical est, en effet, prétexte à envoi de cartes.

Va-t-on passer la journée ou quelques heures à Andrézieux ou à Saint-Just, à Rochetaillée ou au Pertuiset, à la Fouillouse ou à Saint-Victor, on gave de cartes postales les pauvres boîtes au lettres de ces honnêtes bourgades. Certaines gens ne croient pas moins faire que d’envoyer d’un coup, et à eux seuls, 30, 40, et jusqu’à 50 cartes postales ! Au besoin – et ceci n’est pas une invention plaisante, ni une tarasconnade de circonstance- ils se les adressent à eux-mêmes !"

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"Les Dieux de la ville, selon les uns, habitent dans les profondeurs, dans le lac noir qui nourrit les sources souterraines."
I. Calvino, ISAURA
(cp: mineurs de La Ricamarie)

On comprend fort bien le succès de ces cartes postales qui popularisent la splendeur des avenues, des places de Saint-Etienne, de la vie culturelle, de la beauté de la nature dans les environs. Ce qui surprend plus, c’est de voir combien les photographies témoignant de la vie industrielle ont été diffusées, et notamment des photographies de la mine. Monsieur Berthet, grand collectionneur, avoue détenir plus de 500 cartes postales dont le thème est la mine. L’Association des mineurs de Couriot en possède autant. Incontestablement, un effet de mode joue pour cette société qui découvre d’un coup, l’étourdissement de la communication. En 1905, 7 milliards de cartes ont circulé dans le monde. Un journaliste du Figaro écrivait en 1904 :  "Le téléphone ! le télégraphe sans fil ! le métro ! la carte postale illustrée ! … autant de façons de galoper l’existence."

Le prix d’achat, le coût de l’affranchissement étaient modiques. Ceux qui étaient à court d’inspiration, qui craignaient de faire des fautes de syntaxe, préféraient la carte postale à la lettre. C’est toute la vie moderne de la Belle Époque, ses mentalités, son euphorie qui transparaît à travers la diffusion de la carte postale.  Mais qu’en est-il plus précisément de la carte postale minière ? Que nous donnent à voir ces cartes ? Quelle image de la société et de l’époque, nous transmettent-elles ?

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Puits du Treuil, Saint-Etienne

Une certaine mise en scène


Pour les premières cartes parues, la rupture avec le romantisme n’est pas consommée. On le remarque à travers les cartes à contour flou ou les cadres en forme d’ovale. Conçues comme des médaillons souvenir, elles contribuent à donner une image onirique aux paysages miniers. On perçoit bien l’intervention de l’artiste qui veut faire de la mine un espace idéalisé, quasiment esthétique. Très rapidement, le cadre rectangulaire s’impose. Désormais, la photo est rattrapée par le processus industriel, la photo devient une fenêtre ouverte sur le réel.

Une fenêtre ouverte sur le réel


Il est incontestable, les cartes postales sur la mine sont un véritable réservoir d’informations sur l’époque du grand développement minier dans le Bassin. Pour le Musée Couriot, certaines vues constituent des documents uniques pour identifier, illustrer, vérifier, ce qui, sans elles, serait impossible. L’intérêt de ces cartes tient au fait qu’une légende identifie clairement les lieux, avec la mention de la commune et le nom du Puits. Les erreurs sont rares, comme certaine carte indiquant Puits Ferouillat alors qu’il s’agit de celui du Marais. Malheureusement ces prises de vue sont rarement datées, la référence du cachet de la Poste, quand il est lisible, devient essentielle.

Ce monde du réel, tel qu’il nous est transmis, se décompose principalement en 4 thématiques : le paysage des lieux d’exploitation, les machines, les mineurs au travail, les catastrophes, les cités.

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Choisissons un paysage d’exploitation, cette carte des Mines de Montrambert est un chef d’œuvre accompli. Chef d’œuvre par ses qualités de composition, elle répond à la règle classique des 3 plans qui était enseignée aux photographes de cartes postales. Un 1 er plan est constitué de bigues de bois, qui, disposées comme elles le sont, offrent de la profondeur à la scène. Le 2ème plan avec ses bâtiments est le sujet principal. Le 3 ème plan, qui touche à l’horizon, correspond au monde rural. A la prédominance des lignes horizontales des toitures, s’opposent les deux cheminées verticales. Par ailleurs, cette vue, pour académique qu’elle soit, se charge d’une épaisseur humaine très forte, puisque son expéditeur a pris le soin de copier 2 vers :
"Le travail aux hommes nécessaire
Fait leur félicité plutôt que leur misère"


Cette épigramme, empruntée à Boileau, vient démentir de façon cinglante les idées socialo-marxistes qui circulent à l’époque. A partir de là, l’imagination s’agite : cette carte a été expédiée par un homme cultivé, sans doute, pourquoi pas un ingénieur, un travailleur acharné qui a foi dans le travail humain.

Quant au cadrage des bâtiments principaux, il permet de reconstituer tout le fonctionnement du site : les espaces de production : chevalements du Puits Devilaine et du Puits de l’Ondaine, bâtiment de la machine, salle des chaudières. les espaces de valorisation avec les installations de lavage et de triages, les estacades, les espaces de service avec le réseau de voies ferrées, les espaces de dépôt, le parc à bois, la scierie. Photo irremplaçable, à valeur documentaire où l’on perçoit même la prédominance des vents d’Ouest, dans la vallée.

Quelques cartes choisissent de montrer des sujets plus ingrats, elles présentent le monde des machines. Ces machines retiennent l’attention par leur dimension, leur caractère insolite, mais aussi leur côté technique. Citons le cas de cette carte présentant une machine à vapeur de Puits de la Loire. On ne peut pas souhaiter plus belle illustration de machine à cylindre horizontal, avec régulateur à boules, entraînant une bielle et l’énorme roue sur laquelle s’enroule le câble. Au fond, installé dans son fauteuil, le machiniste surveille, manettes en main, la montée et la descente des cages. Il est entouré de son assistant et du mécanicien. Les rideaux aux fenêtres le protègent des rayons du soleil. C’est là encore un morceau choisi de l’état des techniques et de la pratique d’un métier.

Certaine cartes postales choisisent visiblement de montrer le travail des mineurs, à l’entrée d’une fendue ou avant la descente par exemple mais le témoignage d’archive reste équivoque. Face à l’appareil photo parfois, tout le monde prend la pose d’une façon théâtrale, en regardant l’objectif du photographe. Tout est mis en scène. On ne travaille pas ainsi à l’entrée d’une fendue.

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  "La vie des habitants d'Octavie est moins incertaine que dans d'autres villes. Ils savent que la résistance de leur filet a une limite..."
I. Calvino, OCTAVIE

Le propos du photographe consiste à sensibiliser le correspondant au côté pittoresque de la mine: l’entrée dans les profondeurs de la terre, les sabots et les casquettes des mineurs, leurs outils, pic, barre à mine, masse, pelle… et à côté ce gouverneur, à moins que ce ne soit le propriétaire de l’exploitation, totalement anachronique dans cette scène avec son gilet et sa montre à gousset.

Le goût pour le pittoresque se retrouve dans les photos de descente des chevaux au fond. Par ces photos, nous sommes à mi-chemin de l’encyclopédie illustrée et de la leçon de choses : parfois un bonnet de laine sur la tête du cheval, les larges courroies, la descente sous la cage. D’ailleurs, l’expéditeur ne se trompe pas.

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On peut lire au dos d’une carte:
"Mon petit chéri,
Je t’ai donné hier l’image d’un aviateur qui va s’élancer dans l’air ; je t’adresse aujourd’hui celle d’une pauvre bête qu’on descend au fond de la mine."

Nous sommes aussi à mi-chemin de la légende dorée de la mine : mineurs moustachus, propres à chapeau rond, odeur de paille, et gros percheron docile.  Quelques cartes font parfois référence aux catastrophes minières. Ainsi, il existe une vue assez rare signée Joannès Merlat, extraite d’une série ( il s’agit de la vue N°2) qui rend compte de la catastrophe du Puits du Bardot en 1911. On peut y lire écrit de la main de Joannès Merlat : "N°2, le puits du Bardot où a eu lieu l’explosion de grisou à St Etienne, 27 morts. Le 19 octobre 1911. "
 

Probablement que les autres cartes de la série traduisent davantage le drame. Ici, cette carte nous intéresse plus par son panorama très instructif de l’organisation du Puits du Bardot avant la 1ère Guerre mondiale, avec plusieurs recettes, le bâtiment de la machine à vapeur, les ventilateurs. Quelques mots sur Joannès Merlat, qui fut d’abord coiffeur, et photographe amateur. Il devint ensuite photographe éditeur de ses cartes postales, des cartes signées et aujourd’hui très recherchées. Il fut avant tou un poète chansonnier et un homme engagé, puisqu’il fut l’un des fondateurs des amicales laïques.

Les cartes postales des cités minières fondent également la mémoire des paysages de la région. Elles aident à comprendre le déferlement par étapes successives de cités qui s’agrègent les unes aux autres.

Peut-on apporter de la crédibilité aux images de travail de fond ?

On aurait tendance à dire qu’il ne pouvait y avoir eu de photo au fond avant 1955, date où Jean Fournéron a pu photographier, grâce à un flash antidéflagrant. Alors d’où proviennent les cartes postales qui ont popularisé ce travail du fond ? Comment techniquement, les photos de travail au fond de la mine ont-elles pu être prises ? Une carte postale est remarquablement intéressante. Datée d’Août 1911, elle montre le roulage de bennes métalliques par un cheval, le boisage, les tuyauteries d’exhaure de l’eau, surtout, la partie " correspondance " nous renseigne de façon surprenante sur la technique employée pour photographier au fond :

"Mon petit chéri,
Voici le cheval de l’autre jour à sa besogne. On s’est servi du magnésium pour photographier ; mais là-bas, au fond, on n’y voit pas aussi clair. Il manque beaucoup de noir à l’image."


Voilà qui laisse perplexe, quand on sait qu’il suffit d’un éclair de magnésium pour faire sauter tout un chantier !

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Cette photo (ci-dessus) quant à elle pourrait fort bien avoir été prise dans une mine-école où était reconstitué un chantier au jour, et où les mineurs apprenaient à boiser. Enfin d’autres cartes postales encore éveillent le soupçon sur la crédibilité du document, tout simplement car ces cartes postales circulaient d’un bassin à l’autre et l’éditeur pouvait se contenter de modifier la localisation : Saint-Etienne, Montceau-les-Mines, Aniche…

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"Le travail cesse au coucher du soleil. La nuit descend sur le chantier. C’est une nuit étoilée. – Voilà le projet disent-ils." 
I. Calvino, TECLA


Qu’en conclure ?


Plus qu’images du réel, ces cartes deviennent des miroirs du réel, ou encore des images-icône qui participent à la constitution d’une mémoire collective.  C’est toute une société qui se reconnaît à travers la figure du mineur véhiculée par la carte postale. Un hymne d’exaltation au devoir humain et à la défense de la Patrie, une vision souvent épique qui néglige le plus souvent l’aspect de l’ogresse dévoreuse d’hommes. Il se constitue ainsi une mémoire collective, un micro-conservatoire. Comme le calendrier des Postes et les manuels de géographie, les cartes postales de la mine ont contribué à installer une image mentale de la mine et de la région.

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 "Le déjet de Léonie envahirait peu à peu le monde, si sur la décharge sans fin ne pressait, au delà de sa dernière crête, celle des autres villes, qui elles-aussi rejettent loin d’elles-mêmes des montagnes de déchets."
I. Calvino, LEONIE


Le paysage de la mine restera pour longtemps, un monde enchevêtré de bâtiments noirâtres, d’où émergent des chevalements couverts ou apparents, flanqués de cheminées. Les machines en sont monstrueuses. Mais le mineur restera le travailleur courageux, qui s’affronte aux forces de la nature, identifiable à la lampe et au pic, qui construit la richesse du pays et participe à la production des armes qui défendront la Patrie. Il est celui que l’on identifie à la région, en le nommant en patois local lou peréreus, celui qui arrache les peyrats, les gros blocs de charbon.

Avec toutes les autres cartes postales de la métallurgie, du textile, du cycle, de l’arme, il se dégage une identité régionale : une région active, productive, besogneuse qui emploie des ouvriers par milliers. Saint-Etienne est perçue comme un lieu d’efforts et de richesses, à la population heureuse, simple, aimant les chansons et les plaisanteries.C’est probablement ainsi que s’est constitué en France, le sentiment des petites patries. Expédier une carte postale, c’était pour celui qui l’avait choisi, conforter des images mentales qu’il avait en lui. Pour celui qui la recevait au loin, c’était une manière de construire un regard qui allait caractériser, différencier un espace qu’il nommera la région stéphanoise.

"…les villes sont en train de se transformer en une seule ville, en une ville ininterrompue où l'on perd les différences qui autrefois caractérisaient chacune d'elles. Cette idée, qui parcourt tout mon livre Les Villes invisibles, me vient de la façon de vivre qui est désormais celle de beaucoup d'entre nous…"
I. Calvino