De quelques traces foréziennes en terre parisienne (2008-2023)
Non, votre dévoué serviteur n’est pas monomaniaque. Et c’est d’autant plus vrai que le matru en question connaît certains vrais monomaniaques. Et donc oui, l’auteur peut très bien aller renifler l’air très sain du métro du pays des poulbots sans se la jouer gaga. Mais c’est alors qu’il cherchait un chemin de traverse que le Forez se rappela à son bon souvenir. En plein cœur de la grande Babylone, le buste de Francis Garnier le domina soudain à l’angle du boulevard Saint-Michel et de la rue d’Assas. Voilà qui tombait plutôt bien et votre humble serviteur en profita pour se poser un peu à l’ombre du mataf et réfléchir un instant au destin de son illustre pays, voyageur d’une autre trempe à une époque où on ne dégotait pas des bouddha à chaque coin de rue. Francis Garnier vint au monde à Sainté en 1839, à deux pas de l’Hôtel de Ville. Officier de l’école naval, il s’embarqua pour la Chine. Au cours de la traversée, il se jette à l’eau en pleine nuit pour secourir un camarade emporté par une lame puis participe à la prise de Pékin. Nommé administrateur à Cholon, une ville d’Indochine (Vietnam), il se lance en 1866 dans l’exploration du Mékong sous les ordres de Doudart de Lagrée. En 1871, il reçoit la médaille d’honneur du Congrès de géographie qu’il partage avec Livingstone. En 1872, il sollicite un congé et retourne en Asie où pendant six mois il poursuit son exploration du Mékong. L’amiral Dupré lui confie le commandement d’une troupe de 200 hommes (il est toujours en congé !) pour tenter de régler un conflit entre rebelles et colons français. Il prend la citadelle de Hanoi mais tombe en 1873 sous les coups des " Pavillons noirs ", des pirates chinois. La France devra attendre 110 ans pour ramener sur son sol les cendres de Francis Garnier. Elles revinrent en bateau, à bord de la Jeanne d’Arc, comme il se devait pour ce marin de la Royale, pourtant né au bord du Furan. Elles furent scellées en 1987 dans le socle du monument que l’on doit à Puech.
Ainsi je décidais, au gré de mes déambulations parisiennes, entre une cuite et une cuite, de ramener quelques traces foréziennes pour les visiteurs du site. Plus facile à dire qu'à faire mais la chance fut de mon côté. D’abord je constatais avec stupeur et tremblement qu’il existait une rue du Forez à Paris. Imaginez mon émoi ! Dans le 3ème arrondissement en effet, la mode locale veut que les rues portent des noms de provinces : rue de Picardie, de Bretagne, etc. Et coincée au milieu, la rue du Forez, une petite rue de rien du tout, avec rien du tout, exception faite d’un resto bio : "R’Aliment, le nouveau temple de l’hyper-branchitude" selon le Nouvel Obs à l'époque... Deux autres choses quand même sur cette rue : d’abord elle mène vers un marché couvert qui n’est pas sans rappeler les halles stéphanoises (construites sur le modèle des grandes halles parisiennes) et certains de ses murs un peu faiblards font penser à nos rues, vers Couriot, sapées par les galeries de mine.
Un autre jour, j’allais faire un tour dans l’ancienne église Sainte-Geneviève, érigée en Panthéon par la République. Ici reposent Rousseau et Voltaire, Alexandre Dumas et Marie Curie, Victor Hugo et Joséphine Baker, etc. Et là aussi, le hasard fit bien les choses. Ce sont les fresques monumentales de Puvis de Chavannes et d'autres, relatant la vie de la sainte patronne de Paris, qui attirent d’abord le regard. Puvis de Chavannes eut un élève qui participa à la restauration des peintures du maître en ces lieux: Alexandre Séon, né à Chazelles-sur-Lyon en 1855, décédé en 1917. Le Musée d'Orsay conserve un tableau du peintre symboliste ligérien auquel nous avons consacré une page dans notre Encyclo. Il s'agit de Lamentation d'Orphée.
Gravés dans le marbre du Panthéon, je parcours les dizaines de noms d’écrivains morts pour la Patrie pendant la Grande guerre. Mon regard s’arrête un instant sur celui d’Emile Clermont. Né dans le Puy-de-Dôme en 1880, Clermont vécut à Saint-Etienne jusqu’à l’âge de dix-sept ans. Monté à Paris, comme beaucoup d’autres, l’auteur de Laure et Amour promis trouva la mort dans les tranchées de Champagne en 1916. Y figure aussi celui de Joseph Déchelette. Né à Roanne en 1862, tué à Vingré (nous y reviendrons) en 1914, Déchelette était un archéologue et conservateur de musée. Il a signé plusieurs ouvrages d'archéologie et le musée de sa ville natale porte son nom.
Des envie de livres ? Alors direction les quais de Seine où le fouineur a toujours la possibilité de dénicher de vieux bouquins et des journaux anciens. Et là je trouve mon bonheur avec La légende dorée des Dieux et des Héros de Mario Meunier, helléniste né à Saint-Jean-Soleymieux. On fouillant un peu, on y trouve aussi de vieilles cartes de la Loire, la Une du Petit Parisien sur la catastrophe du Puits Pélissier à Saint-Etienne, une reproduction de la prise de Constantine et de la mort du colonel Combes (né à Feurs) par Horace Vernet…
A deux pas de la basilique du Sacré Coeur, à Montmartre, où les artistes en herbe règnent en maître, je retrouve un artiste forézien, Denis Foyatier (1793-1863) qui a donné son nom aux escaliers longeant le célèbre funiculaire. Né à Bussières, l’ami Foyatier a sculpté la statue de Jeanne d’Arc à Orléans. Dans le Forez, on lui doit la statue du colonel Combes - encore lui - à Feurs. A Paris, on retrouve l’Espérance de Foyatier perchée en haut de l’église Notre-Dame de Lorette, en descendant vers Pigalle. Espérance, une des trois vertus théologales et la devise du Forez. D'autres scupltures de l'artiste se trouvent dans divers musées et jardins de la capitale mais c'est une autre participation artistique forézienne en terre parisienne qui m’attend vers le Louvre. S'y trouve en effet le beau Kiosque des Noctambules de l'artiste plasticien stéphanois Jean-Michel Othoniel qui coiffe la station de métro Palais Royal. Il est composé de grosses perles en verre de Murano et d'une armature en résille d'aluminium.
D'autres voies parisiennes rappellent le Forez. Ainsi, il y a une Allée d'Andrézieux, au Nord de la Gare du Nord, tout près des voies ferrées - est-il besoin de rappeler que la ligne Saint-Étienne - Andrézieux fut la première de France ? Nous sommes non loin de la Porte de la Chapelle. Dans le quartier très exotique de la Goutte-d'Or - on n'est pas dépaysé !
Deux autres, à notre connaissance, sont dédiées à des Roannais illustres: Francisque Gay (quartier de la Monnaie) et Champagny (quartier des Invalides). Le premier fut notamment ministre dans les gouvernements Charles de Gaulle et Georges Bidault (1945 - 46). Son petit-fils, le Lyonnais Alain Terrenoire fut député de la Loire ( 5e circonscription, successeur: Jean Auroux, par ailleurs maire de Roanne). Jean-Baptiste de Nompère de Champagny, duc de Cadore - les cadors on les retrouve aux belles places nickel, n'est ce pas ? - fut officier de marine sous Louis XVI, combattant de la guerre d'indépendance américaine, ambassadeur, ministre de Napoléon Ier. Il repose au cimetière du Montparnasse.
Aux Invalides, tout près du tombeau de l’Empereur, repose le maréchal Foch qui fut élève au collège Saint-Michel de Saint-Etienne. Dans le gigantesque Musée de l’Armée, des armes stéphanoises reluisantes derrière leur vitre transparente. La légende indique: "Pistolets d'officiers de marque H. Blanc, constructeur des armes pour le Roy, 1760-1770 Saint-Etienne; fusils des gardes du corps de Monsieur (frère du Roy), 1816, Saint-Etienne."



A la Conciergerie, dernière demeure de la reine Marie-Antoinette et de tant d’autres, je retrouve la trace de Ravachol qui y passa un moment avant de rejoindre Montbrison et la louison affamée. Une gravure le montre "allant à l'échafaud en évoquant le père Duchesne et la Révolution".
A la basilique Saint-Denis, nécropole des Rois de France, tout du moins ce qu'il en reste, je photographie le vase contenant le cœur de François Ier. Lequel annexa le Forez au Royaume de France et descendait en droite ligne du Comte Gui VII de Forez et de son épouse Jeanne de Bourbon.
Un autre Ligérien a laissé son souvenir dans le paysage parisien. Il s’agit de Jacques Lifranc (1790-1848), né à Saint-Paul-en-Jarez. Ce chirurgien, un des plus célèbres de son époque, a donné son nom à une articulation du pied. Il fut chirurgien-chef de la Pitié à Paris et l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la chirurgie. Une rue parisienne porte son nom et il repose au cimetière du Montparnasse. Un buste en bronze et deux bas-reliefs signés par Carie Eischoecht distinguent sa tombe.
Un autre Stéphanois est statufié à Paris. Il s'agit du Dr Aimé Guinard, chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu, né en 1856 et assassiné par un déséquilibré en 1911. Ses funérailles furent célébrées à Notre-Dame. Sa dépouille repose à Saint-Marcellin-en-Forez, où une rue honore aussi sa mémoire. Le monument en son honneur, réalisé par Henri Couteillhas, se trouve dans la cour de l'Hôtel-Dieu.
A l'Hôtel de Ville, une exposition remarquable et poignante, "Fusillés pour l’exemple, les fantômes de la République", était offerte gratuitement au premier trimestre 2014 dans le cadre du centenaire de la Grande guerre. Ou quand la France tuait ses propres soldats, dont deux fils de la Loire, Jean Blanchard et Francisque Durantet, d'Ambierle, deux des six soldats qu'on a appelés les "martyrs de Vingré". Ils furent fusillés en 1914 et réhabilités en 1921. Les deux Roannais reposent désormais côte à côte dans le cimetière de leur village, comme ils avaient été ensevelis, après leur exécution, dans la lointaine Picardie. Leurs tombes sont identiques. Tordant le cou à des idées reçues, elle relatait des histoires hallucinantes et présentait de nombreux documents photographiques, extraits de films, objets. Quelques chiffres, concernant l'Armée française: 197 000 sentences de conseils de guerre, 2600 condamnations à mort, 740 exécutions (infiniment plus que pour l'Allemagne en l'état des recherches actuelles), 26 fusillés pour faits de mutinerie en 1917. Elle revenait, entre autres, sur le Shell-Shock. Toutes proportions gardées, il semblerait que certains Stéphanois en goguette un certain temps à Paris ressentent aussi un " choc émotionnel" à leur retour dans leur petite ville...
Une autre tombe, dans un autre cimetière. Celle de Benoît Malon (1841-1893) au Père Lachaise. Né à Précieux, fils de paysans journaliers, Benoît Malon monta à Paris à l’âge de 22 ans et devint avec Eugène Varlin un des dirigeants de l’Association Internationale des Travailleurs, la Ière internationale. Adjoint au maire de Batignolles puis député de la Seine, il fut élu en 1871 au Conseil général de la Commune et refusa la perte de l'Alsace-Lorraine. Echappant au grand massacre qui suivit la prise de Paris par les Versaillais, il prit le chemin de l’exil. Après l’amnistie, il revint fonder la Revue Socialiste (1885). Père du socialisme intégral, il s’est éteint en 1893. Victor Hugo a dit de lui qu’il fut un « vrai représentant du peuple et le plus digne ». 20 000 personnes accompagnèrent sa dépouille jusqu’au Père Lachaise. L'équerre et le compas indiquent qu'il appartenait à la Franc-Maçonnerie. Signalons en passant un crime de la Commune qui concerne un enfant de la Loire. Le 26 mai 1871, cinquante otages furent fusillés, rue Haxo, dont dix ecclésiastiques qui ont fait l’objet, par leurs congrégations respectives, de procès en béatification. Parmi ces hommes de Dieu, Jean-Marie Rouchouze, né à Saint-Julien-en-Jarez en 1810.


Il y a enfin Antonin Moine, un artiste stéphanois avec lequel nous quittons la capitale. Une publication des Amis du Vieux Saint-Etienne (janvier 1999) nous donne de précieuses indications à son propos. Moine est né à Saint-Etienne en 1796. Il a passé son enfance au 12, rue Neuve (José Frappa) au sein d’une famille aisée. Entré à l’école des Beaux-Arts de Paris, en 1817, il fut un artiste marqué du sceau du romantisme. Il se donna la mort le 18 mars 1849 en se faisant sauter la cervelle. Victor Hugo a relaté sa fin dans Choses vues. Paris lui doit notamment deux anges magnifiques dans l’église de la Madeleine.

