
Vous m'avez indiqué avoir repris votre collection d'étiquettes il y a une dizaine d'années, après l'avoir délaissée pendant 40 ans. Vous avez donc commencé jeune. Est-ce courant pour un jeune normand de collectionner des étiquettes de fromages ?
Je ne sais pas... Mais sur mon berceau se sont penchées trois très bonnes fées locales: le calvados, l'andouille de Vire et le camembert. Etant gamin j'étais sensible à la diversité et à l'intérêt iconographique, voire même les techniques d'impression, de ces étiquettes de fromage. Donc je les ai gardées. Je mariais deux passions: le vélo et la tyrosémiophilie. Et les fromagers normands chez lesquels j'allais récolter des étiquettes ne m'en donnait qu'une, jamais deux. J'ai rejoint ensuite, dans les années 50, un premier club de tyrosomiophilie à Paris. J'étais alors le plus jeune adhérent.
Existe-t-il une association semblable à Saint-Etienne ?
Non et d'ailleurs, pour autant que je sache, le nombre de collectionneurs de ce type d'objets est assez réduit à Saint-Etienne.
De quand date la première étiquette ?
Elle a été faite à Lyon en 1867. Sans dessin, rectangulaire, elle a été déposée par Michel Itier, fabricant de fromage. J'ai d'ailleurs appris il y a peu que la première étiquette ronde et illustrée aurait été imprimée à Saint-Etienne. Avec le thème du Corbeau et du Renard, elle a été déposée pour un camembert par Antoine Perrin, marchand de fromages, rue de Lyon, à Saint-Etienne le 28 mars 1877.

Un poster auto-édité par Etienne de Banville
La brochure revient sur l'approvisionnement des troupes, la distribution des produits, leur emballage, et recherche les fondements du double mythe du Poilu et du Camembert.
Comment expliquez-vous cette passion ?
Chacun peut y trouver un intérêt particulier. Certains de mes collègues sont plutôt spécialisés sur des thèmes: personnages historiques, monuments, paysages, etc. D'autres se focalisent sur une région particulière ou un département. D'autres encore ne collectent que les étiquettes de Camembert avec l'inscription "camembert". Parce que les étiquettes de camembert ont été particulièrement travaillées. D'autres même, parmi eux, négligent tout ce qui n'est pas estampillé "de Normandie".
On peut encore évoquer une variante particulière, les "adeptes" de la "Vache qui rit". Ceux-là sont tellement spécialisés qu'on a peu d'échanges avec eux.
Pour ma part, ce qui m'intéresse, c'est plutôt l'aspect historique, l'histoire des familles et des entreprises fromagères, toutes régions confondues. Outre la beauté, parfois remarquable, d'un certain nombre d'étiquettes. Ce n'est pas seulement du "réalisme basique", un outil de vente, comme certains font semblant de le croire. Certaines étiquettes sont complètement oniriques. Ma préférée d'ailleurs se nomme "Le Rêve"; elle figurait sur un camembert commercialisé sous cette appellation.
Les étiquettes actuelles ?
J'avoue ne pas trouver beaucoup de joie à collectionner les codes barres et les "Président". Rares sont les fabricants aujourd'hui qui font de belles étiquettes. C'est pour cette raison qu'on est plutôt porté à s'intéresser à ce qui a été fait avant 1940. La grande époque de l'étiquette, si on peut dire, se situe entre 1890 et 1935.
On peut encore évoquer une variante particulière, les "adeptes" de la "Vache qui rit". Ceux-là sont tellement spécialisés qu'on a peu d'échanges avec eux.
Pour ma part, ce qui m'intéresse, c'est plutôt l'aspect historique, l'histoire des familles et des entreprises fromagères, toutes régions confondues. Outre la beauté, parfois remarquable, d'un certain nombre d'étiquettes. Ce n'est pas seulement du "réalisme basique", un outil de vente, comme certains font semblant de le croire. Certaines étiquettes sont complètement oniriques. Ma préférée d'ailleurs se nomme "Le Rêve"; elle figurait sur un camembert commercialisé sous cette appellation.
Les étiquettes actuelles ?
J'avoue ne pas trouver beaucoup de joie à collectionner les codes barres et les "Président". Rares sont les fabricants aujourd'hui qui font de belles étiquettes. C'est pour cette raison qu'on est plutôt porté à s'intéresser à ce qui a été fait avant 1940. La grande époque de l'étiquette, si on peut dire, se situe entre 1890 et 1935.
Quand on pense "fromage" on pense plutôt "ruralité", or à vous avez un très beau catalogue d'étiquettes parisiennes...
Absolument. La capitale est un des plus beaux endroits de France pour les étiquettes. Il y a infiniment plus d'étiquettes parisiennes que dans les Pyrénées Orientales ou l'Aude par exemple. L'explication est simple. Il y a toujours eu à Paris un problème d'approvisionnement en lait. Il a été résolu d'une part grâce au développement du chemin de fer et par le système des vacheries. Les vacheries étaient d'énormes étables établies à proximité de la région parisienne dès la fin du XIXe siècle. On en comptait des dizaines. Leur rôle central était d'avoir une traite très fraîche et de distribuer le lait immédiatement. Et dans certaines périodes de surproduction, le lait non écoulé servait à faire du fromage frais, yaourt ou sec.
D'autre part, de nombreux distributeurs détaillants faisaient l'affinage eux-mêmes dans leurs caves. Ces gens ont fait imprimer des étiquettes à leurs noms chez de très bons imprimeurs parisiens.
Absolument. La capitale est un des plus beaux endroits de France pour les étiquettes. Il y a infiniment plus d'étiquettes parisiennes que dans les Pyrénées Orientales ou l'Aude par exemple. L'explication est simple. Il y a toujours eu à Paris un problème d'approvisionnement en lait. Il a été résolu d'une part grâce au développement du chemin de fer et par le système des vacheries. Les vacheries étaient d'énormes étables établies à proximité de la région parisienne dès la fin du XIXe siècle. On en comptait des dizaines. Leur rôle central était d'avoir une traite très fraîche et de distribuer le lait immédiatement. Et dans certaines périodes de surproduction, le lait non écoulé servait à faire du fromage frais, yaourt ou sec.
D'autre part, de nombreux distributeurs détaillants faisaient l'affinage eux-mêmes dans leurs caves. Ces gens ont fait imprimer des étiquettes à leurs noms chez de très bons imprimeurs parisiens.

Etiquette forézienne,
Celle-ci figure en page de couverture de l'ouvrage "De Dauphin à Forez Fourme" (2006) d'Anne-Christine Ferrand, avec l'aide de Maurice Damon, Odile et Jacques Rizand, et Etienne de Banville. Edité par Village de Forez (Centre social de Montbrison), il revient sur l'histoire de la fromagerie Dauphin, puis Dauphin-Joandel, fusionnée en 2001 dans Forez-Fourme (Saint-Bonnet-le-Courreau).
Que pensez-vous de la qualité des étiquettes de fromages de la Loire ?
Je n'ai pas un avis très tranché. Il y en a des jolies et des moins belles. Elles ont suivi le mouvement pour une raison relativement simple. C'est qu'ici comme ailleurs, le marché a été assez vite dominé par une très grande entreprise, Garnaud à Angoulême, qui a réalisé une énorme partie des impressions d'étiquettes de fromages en France. D'un certain côté, elle faisait bien ce que voulait les gens, mais avec aussi une tendance à une certaine "normalisation." Avec des étiquettes génériques ou "passe-partout".
Il n'y avait pas d'imprimeurs d'étiquettes locaux ?
Si, quelques-uns. Ribon ou Riban à Montbrison, Vaton à Saint-Etienne, l'Imprimerie du Forez, la lithographie Villard, au 3, rue de la Paix. Cette dernière, une des plus anciennes, a fait l'étiquette de 1877 pour Perrin.
Il n'y avait pas d'imprimeurs d'étiquettes locaux ?
Si, quelques-uns. Ribon ou Riban à Montbrison, Vaton à Saint-Etienne, l'Imprimerie du Forez, la lithographie Villard, au 3, rue de la Paix. Cette dernière, une des plus anciennes, a fait l'étiquette de 1877 pour Perrin.

Autrefois exclusivement fermière, la production de fourme, en période d'estive (de juin à octobre), se faisait dans les jasseries. Celles-ci ont connu leur apogée au XIXe siècle avant d'être supplantées par des fromageries au XXe siècle. C'est en 1972 que la Fourme d'Ambert a reçu une AOC partagée avec la Fourme de Montbrison. Le 22 février 2002, deux nouveaux décrets d'AOC ont séparé les deux produits en deux AOC distinctes.
Venons-en au produit si vous le voulez bien. Quel regard portez-vous sur la consommation de fromage en France ?
Il y a un mouvement, concernant la consommation fromagère, qui est parallèle à celle du vin, et qu'on peut résumer ainsi: moins en volume, mais mieux en qualité. Mais avec l'augmentation du prix du lait, les prix du fromage sont à la hausse. Donc consommer moins mais mieux devient encore plus cher. Ce qui va sans doute accélérer la contraction du volume. Globalement parlant car les fromages de chèvre par exemple ont plutôt tendance à se développer alors que des fromages de masse, infâmes, trouvent moins preneurs. Ce qui est une bonne chose.
Il y a un mouvement, concernant la consommation fromagère, qui est parallèle à celle du vin, et qu'on peut résumer ainsi: moins en volume, mais mieux en qualité. Mais avec l'augmentation du prix du lait, les prix du fromage sont à la hausse. Donc consommer moins mais mieux devient encore plus cher. Ce qui va sans doute accélérer la contraction du volume. Globalement parlant car les fromages de chèvre par exemple ont plutôt tendance à se développer alors que des fromages de masse, infâmes, trouvent moins preneurs. Ce qui est une bonne chose.

Les belles fourmes de Montbrison
Pouvez-vous nous donner un aperçu général de la production fromagère dans notre département et aborder plus précisément la fourme de Montbrison...
Comme dans d'autres départements, en particulier dans le nord de la France, la Loire a une production très diversifiée. Elle va de fromageries industrielles très importantes, Guilloteau, à Pélussin, par exemple*, à de petits fermiers qui font des fromages de brebis, un petit peu, de chèvre surtout et de vache, ou de mélange. Quant à la fourme de Montbrison, elle est souvent présentée comme un produit "identitaire"**. Le problème avec la fourme de Montbrison c'est que l'observation montre que depuis 50 ans, son volume de production n'a absolument pas évolué. Il reste à 500 tonnes/an. A titre de comparaison, sa voisine la fourme d'Ambert, au même niveau il y a 50 ans, atteint aujourd'hui les 6500 tonnes environ. De fait, la fourme de Montbrison est réservée à une consommation locale. Elle est peu connue à l'extérieur, beaucoup moins que sa voisine.
Au passage, je ferai remarquer que les Stéphanois, les mineurs en particulier, consommaient peu de fourme de Montbrison, considéré comme un "fromage de riche". Les habitants du bassin stéphanois consommaient plutôt du Bleu de Gex, produit dans l'Ain. Et aujourd'hui, c'est dans la partie nord du département, le Roannais, que la fourme de Montbrison se vend peu.
Au passage, je ferai remarquer que les Stéphanois, les mineurs en particulier, consommaient peu de fourme de Montbrison, considéré comme un "fromage de riche". Les habitants du bassin stéphanois consommaient plutôt du Bleu de Gex, produit dans l'Ain. Et aujourd'hui, c'est dans la partie nord du département, le Roannais, que la fourme de Montbrison se vend peu.

Etiquettes anciennes des deux voisines
Comment expliquez-vous l'essor du fromage auvergnat au regard de celui du Forez ?
Parce que justement, me semble-t-il, la fourme d'Ambert bénéficie en temps que fromage d'Auvergne d'une meilleure organisation, sur le plan institutionnel, et profite des relais extrêmement importants des Auvergnats de Paris. C'est un très gros marché, non seulement pour la fourme d'Ambert mais aussi pour le Saint-Nectaire, etc. D'un autre côté, la fourme de Montbrison est jugée trop auvergnate pour les gens de Rhône-Alpes et pas assez auvergnate pour les gens d'Auvergne. Enfin, le prix de la fourme de Montbrison est légèrement plus élevé que celui de sa voisine en raison de son mode de fabrication introduisant des opérations supplémentaires***. Ce qui est difficile à faire accepter aux intermédiaires. Il faut aussi noter que n'est que maintenant, et encore timidement, que le "packaging" des fourmes commence à être revu. Il est grandement temps...
Vous êtes un économiste. Quel regard portez-vous sur le contexte socio-économique autour de la fourme de Montbrison ?
Je ne le juge pas très bon. La structure de production de la fourme de Montbrison est faible. Elle est composée d'abord de deux entreprises : la Fromagerie du Pont de la Pierre avec ses deux usines de Balbigny et Saint-Bonnet-le-Courreau, contrôlées par le Groupe Lactalis depuis début 2007, et qui produisent également de la fourme d'Ambert. L'autre c'est Forez Fourme, anciennement Tarit, dans l'orbite du groupe coopératif URCVL depuis 2004 (Union Régionale des Coopératives de Vente de Lait). Et enfin, il y a des producteurs fermiers et l'artisan Hubert Tarit à Sauvain, qui perpétue un certain savoir-faire.
La fourme de Montbrison n'est qu'un des éléments d'un très vaste plateau de fromages promus par les deux groupes laitiers. Lactalis, pour sa part, est présent aux premières places dans une trentaine de fromages AOC. Elle a sa propre unité de production, de fourme d'Ambert notamment mais aussi du Cantal, à Laqueuille dans le Puy-de-Dôme et à Riom-ès-Montagne. L'URCVL de son côté s'appuie par exemple sur Les Fromageries Occitanes (LFO) pour la commercialisation. Or LFO est une filiale d'un autre groupe coopératif, Alliance Agro-Alimentaire, qui est un gros producteur de... fourme d'Ambert.
Vous êtes un économiste. Quel regard portez-vous sur le contexte socio-économique autour de la fourme de Montbrison ?
Je ne le juge pas très bon. La structure de production de la fourme de Montbrison est faible. Elle est composée d'abord de deux entreprises : la Fromagerie du Pont de la Pierre avec ses deux usines de Balbigny et Saint-Bonnet-le-Courreau, contrôlées par le Groupe Lactalis depuis début 2007, et qui produisent également de la fourme d'Ambert. L'autre c'est Forez Fourme, anciennement Tarit, dans l'orbite du groupe coopératif URCVL depuis 2004 (Union Régionale des Coopératives de Vente de Lait). Et enfin, il y a des producteurs fermiers et l'artisan Hubert Tarit à Sauvain, qui perpétue un certain savoir-faire.
La fourme de Montbrison n'est qu'un des éléments d'un très vaste plateau de fromages promus par les deux groupes laitiers. Lactalis, pour sa part, est présent aux premières places dans une trentaine de fromages AOC. Elle a sa propre unité de production, de fourme d'Ambert notamment mais aussi du Cantal, à Laqueuille dans le Puy-de-Dôme et à Riom-ès-Montagne. L'URCVL de son côté s'appuie par exemple sur Les Fromageries Occitanes (LFO) pour la commercialisation. Or LFO est une filiale d'un autre groupe coopératif, Alliance Agro-Alimentaire, qui est un gros producteur de... fourme d'Ambert.
L'avenir du produit "fourme de Montbrison" en tant quel tel est en déshérence. Il n'y a pas d'héritier. Personne ne le prend en main en disant: "cet avenir j'en fais mon affaire".
Y-a-t-il à votre avis des perspectives de changement ?
Je ne les vois pas. Aux dernières nouvelles, c'est tout récent, l'unité de production de Laqueuille doit fermer pour conforter les implantations de la Loire et de Riom. Le lait devrait être acheminé sur les deux sites, pour la transformation en Bleu d'Auvergne à Riom, et en fourme à Balbigny.
Y-a-t-il à votre avis des perspectives de changement ?
Je ne les vois pas. Aux dernières nouvelles, c'est tout récent, l'unité de production de Laqueuille doit fermer pour conforter les implantations de la Loire et de Riom. Le lait devrait être acheminé sur les deux sites, pour la transformation en Bleu d'Auvergne à Riom, et en fourme à Balbigny.

Notes:
La fromagerie Guilloteau a été créée en 1983. Elle produit notamment le Pavé d'Affinois et emploie 130 salariés sur son site de Pélussin.
La fourme d'Ambert subit un égouttage réduit et un salage en surface tandis que celle de Montbrison est pré-égouttée et que c'est le caillé qui est broyé et salé.
Pour en savoir + sur les deux fourmes, à lire l'ouvrage d'Etienne de Banville: "Les fourmes de montbrison et d'Ambert: des jasseries aux familles et aux groupes." (132 pages)