La plaine du Forez, et notamment sa partie méridionale, est aujourd'hui un axe de développement important de la région stéphanoise en matière d'industrie et de logistique. Elle en a d'ailleurs été l'axe principal afin de contrer une désindustrialisation de tout le département. Mais cela n'a pas toujours été le cas. Jusqu'aux années 60, la place de l'industrie y est timide, son activité économique reste largement dominée par l'agriculture et par le commerce. La vie y est encore pleinement rurale, et ces deux domaines économiques s'assemblent l'un et l'autre : les grands évènements économiques sont encore les foires agricoles de Feurs, de Saint-Galmier ou encore de Sury.
Jusqu'à cette période, le développement industriel de la plaine se fait à l'ombre de la petite région stéphanoise et des deux grandes vallées. Les dynamiques industrielles de ces dernières, suscitées et alimentées autrefois par la présence de rivières torrentielles, de mines de fer et surtout de charbon, contrastent avec le manque de ressources naturelles et le cloisonnement de la plaine forézienne. Même ses hommes s'en vont rejoindre le pays noir et lui occasionnent une quasi-stagnation démographique pendant de longues décennies.
Mais voici qu'arrivent les premières crises industrielles des années 60 et 70. C'est alors le crépuscule de l'activité minière, laquelle voit venir ses derniers jours, à la faveur d'une concurrence étrangère trop puissante et d'une orientation énergétique nationale axée sur d'autres potentiels. Pourtant, la fin toute proche de cette activité reste encore à peu près compensée en termes d'emploi par l'embauche du secteur de la métallurgie et de la construction mécanique. Seulement, on ne donne pas à ces activités un avenir radieux, sur le long terme ; idem pour le textile et la sidérurgie. Quant au cycle et à l'arme, deux anciens fleurons de la cité stéphanoise, ils périclitent totalement, là encore par le fait de la concurrence étrangère. La solution immédiate, dans ces années-là, est alors de bâtir des zones industrielles plus ou moins modernes sur les anciens carreaux de mines dévastées, plutôt aisées à reconvertir. C'est en revanche plus difficile à effectuer sur d'autres quartiers industriels plus classiques mais déjà en friches.
Une initiative plus majeure est alors prise par six municipalités de la plaine, d'un commun accord. Andrézieux, Bouthéon, Saint-Just, Saint-Rambert, Bonson et Saint-Cyprien sont impliqués : planifier, sur le sud de la plaine, et spécialement sur leur commune, un développement économique massif par le biais de zones industrielles.
On l'a rappelé précédemment, la plaine du Forez est alors encore, dans les années 50, peu industrielle. Elle compte globalement, dans sa partie méridionale, peu d'entreprises de production. Elles sont largement dispersées, mais cependant plutôt diversifiées. Le premier domaine reste évidemment la métallurgie et la construction mécanique la plus diverse : les cycles à Sury le Comtal (établissements Landon, Lyotard), la forge à Andrézieux (Barriol et Dallière) et à Saint-Cyprien (La Becque), l'outillage et la quincaillerie à Saint-Just (Grousset), suivis d'autres ateliers de moindre taille. La verrerie est par contre une originalité, avec la présence de trois usines : à Saint-Romain, Veauche puis Saint-Just. On n'oubliera pas les quelques établissements d'eau ou encore de textile, là encore très dispersés.
La volonté d'un développement économique dans cette région s'inscrit alors dans une pensée déjà établie, exposée par Maxime Perrin dans l'avant-guerre. Elle veut que la plaine du Forez est " le prolongement naturel, la zone d'expansion tout indiquée pour le bassin stéphanois ". Plusieurs éléments vont dans ce sens, démontrés par Jacques Schnetzler : d'abord, la présence de vastes terrains plats, donc aisés et peu onéreux à aménager. L'agrandissement des usines et des entrepôts suit alors la recherche de foncier disponible, foncier qui s'épuise dans les trois vallées industrielles historiques. Il pourrait pourtant être disponible avec la réduction des friches, seulement l'aménagement de terrains agricoles est moins coûteux que la rénovation lourde d'espaces industriels. Un autre élément est aussi le sentiment que l'ancien pays noir souffre d'une image déjà trop dégradée pour que les priorités d'aménagement y soient encore totalement consacrées. Si l'agglomération stéphanoise de l'époque (avec les vallées du Gier et de l'Ondaine donc) n'est pas oubliée, on ne souhaite pas y dédier tous les investissements pour un gain déjà présumé faible en retour.
La plaine devient alors, en opposition à un Saint-Étienne et des vallées déjà surchargés en urbain et en images négatives, une orientation naturelle. Enfin et ce n'est pas à négliger, l'aménagement urbain, et pas seulement industrielle, de la plaine du Forez permet aussi un meilleur lien avec le centre du département puis avec le Roannais, qui semble isolé du cœur du département.
Revenons à l'initiative plus concrète des six maires des communes précédemment citées. Ceux-ci lancent, en 1955, un syndicat intercommunal pour l'aménagement et le développement. Il est rapidement suivi par une société d'équipement dédiée. Du regroupement de ces communes pour un aménagement commun, naît l'appellation de " Trois-Ponts ", un espace encore largement rural, d'apparence peu uni, mais avec quelques gros bourgs reliés par trois ponts majeurs. Les deux premiers sont routiers et relient Andrézieux à Saint-Cyprien d'une part, Saint-Rambert à Saint-Just d'autre part ; le troisième est ferroviaire et relie les gares d'Andrézieux et de Bonson. C'est par le biais de cet espace délimité, jugé le plus propice à la création d'un vaste pôle urbain en périphérie de Saint-Étienne, que les municipalités pensent développer leurs communes.
Un urbaniste est en charge du projet commun. Il est rapidement contesté par le fait d'ambitions jugées un peu trop démesurées. D'abord, le fait d'imaginer une fusion des six communes, évidemment rejetée unanimement ; la marge de manœuvre des municipalités est déjà suffisamment mince au sein du syndicat intercommunal. Aussi, c'est son projet de développement très ambitieux, voire même beaucoup trop : une plaine du Forez méridionale comptant à terme 200 000 habitants, ainsi que les emplois indus. Les débats sont aussi vifs entre les municipalités : les intérêts et les volontés divergent évidemment. On aboutît toutefois à un accord, celui de confier le projet, encore balbutiant, à la Société d'équipement et de développement de la Loire (SEDL), spécialisé dans l'aménagement de zones industrielles. Un groupement d'urbanisme des Trois-Ponts est alors créé en 1962 pour définir plus précisément le projet.
Le fait de confier l'aménagement de la future zone à la SEDL donne au Conseil général, à l'époque majeur en matière d'aménagement, des prérogatives : la société est en effet en partie contrôlée par ce dernier et la Préfecture, qui souhaitent agir par ce biais. L'aménagement du sud de la plaine du Forez n'est plus uniquement une affaire de communes, mais du département. Le préfet en fait ainsi une affaire prioritaire pour les investissements. C'est qu'entre-temps un projet d'allongement de l'autoroute jusqu'à Clermont-Ferrand émerge, ainsi que le développement de l'aéroport. La force de persuasion du préfet parvient même à faire unir les communes d'Andrézieux et de Bouthéon, qui se partageront alors largement la part du gâteau. Leur intérêt est commun : l'industrie sera localisée dans l'ancienne commune de Bouthéon, le logement dans l'autre. Les recettes et les dépenses inhérentes sont alors partagées à la manière d'un zonage classique, mais, on le pense, équitable sur une seule commune. On pense aussi que puisque l'emploi est ici, la main d'œuvre s'y fixera à proximité (cf. Claude Crétin).
Le projet, largement concentré sur la nouvelle commune, est lancé en 1965. À ses débuts il décolle difficilement, les principales installations se produisant finalement autour de l'année 1970. Le vœu pieux d'attirer des entreprises extérieures à la région, autant que d'autres issues de délocalisations locales, fait long feu. Ces dernières composent la large partie des installations, provenant de Saint-Étienne, de la vallée du Gier ou encore de l'Ondaine. Le plus important transfuge reste Bennes Marrel, atteignant alors jusqu'à 1300 emplois quand la construction se termine en 1974. D'autres plus locales s'y déplacent pour s'agrandir (Barriol et Dallière). Certaines viennent de l'extérieur, comme Berliet (futur ZF) dans les boîtes à vitesse, ou encore Tailleur dans l'emballage, toutes deux issues de la région lyonnaise. Aucune orientation spécifique n'est définie quant aux désirs d'installations : on accueillera qui veut bien venir.
Le projet est rapidement étendu aux communes limitrophes : Veauche au nord, Saint-Just au sud-ouest, Saint-Bonnet-les-Oules. SNF Floerger, lui aussi transfuge stéphanois, s'installe un peu plus tard à Saint-Bonnet-les-Oules malgré certaines réticences quant à l'accueil d'une entreprise de chimie. Elle est, avec l'agro-alimentaire et le textile médical, des nouveaux domaines de développement plébiscités alors que la métallurgie au sens large s'écroule, en même temps que le textile traditionnel. Le sud de la plaine aura à peine résisté aux crises industrielles de l'époque. En 1976, il compte 7235 emplois dans l'industrie ; en 1991, malgré quelques installations, 6970… L'augmentation du nombre d'emplois reste finalement due au secteur tertiaire qui double ses chiffres.
La volonté autrefois rêvée de compenser les pertes d'emplois à Saint-Étienne ne tient pas : cette dernière subit une chute énorme, ses emplois dans l'industrie diminuant de moitié dans cette quinzaine d'années, pour atteindre 17 612 postes en 1991.
Dans les années qui suivent, l'espace rural entre Saint-Just-Saint-Rambert (désormais fusionné) et Andrézieux-Bouthéon est presque comblé par de nombreuses installations d'usines et d'entrepôts, de dimension réduite. On dédie la partie à l'est de l'aéroport aux emprises les plus grandes, alignées le long de la nouvelle départementale D100 et du chemin de fer. Ce sont alors deux arguments de poids en apparence, qui n'entraînent cependant pas un mouvement très important. Les installations se font lentement, par le biais d'entrepôts pour la logistique notamment : surtout avec Easydis, filiale de Casino, tout proche de SNF Floerger. Le réseau ferré dédié reste pourtant peu utilisé et un demi-échec. Autrement, d'autres entreprises s'implantent : on citera les principales, Haubtmann et Ardagh dans l'emballage, Purina dans l'alimentation pour animaux, Continental dans les pneumatiques, C2FT dans la forge…
Si les installations sont diverses et de plus en plus dispersées, le point commun reste l'aménageur : la SEDL guide toujours les projets, et continue à le faire aujourd'hui. L'ouest immédiat de l'aéroport a été aménagé récemment et très vite rempli. La situation de la nouvelle zone des plaines est un peu plus problématique : édifiée à cheval sur les communes de Sury, de Bonson et de Saint-Marcellin, elle visait initialement une plus grande répartition du développement économique local, en lien avec la construction de la dernière voie rapide D3498. Les installations y sont pourtant, là encore, lentes à s'établir.
On déplorera que le sud de la plaine du Forez perde peu à peu son paysage naturel et agricole. La course au développement économique oblige depuis les années 60 à l'urbanisation de vastes pans de son territoire. Elle oblige aussi à accepter tout projet viable économiquement, même quand ceux-ci atteignent des records d'emploi au m², malheureusement par leur faiblesse. L'aménagement du sud de la plaine du Forez, imaginé déjà par Maxime Perrin en 1937, devait alors être complété par une amélioration du territoire stéphanois, dédié au tertiaire. L'objectif est aujourd'hui difficilement atteint. Comme point positif, on notera tout de même que la plaine du Forez méridionale vit relativement bien. L'installation de nouveaux habitants se poursuit, là encore au détriment des espaces agricoles. L'installation d'entreprises également, même si peu pourvoyeuse en emplois. Gageons qu'elles ne portent pas préjudice à la cité stéphanoise, et tirent d'abord l'ensemble du département par le haut.
Pour aller plus loin :
Saint-Étienne n'est plus dans Saint-Étienne, Claude Crétin, 1995.
Saint-Etienne et sa région économique, un type de la vie industrielle en France, Maxime Perrin, 1937.
Études foréziennes tome II, La vie urbaine dans le département de la Loire, depuis un collectif d'auteurs issu du Centre d'études foréziennes. 1972.