Friday, September 29, 2023

Le samedi 25 avril 1931, les Amis de la Doua, l'association gestionnaire de la radio "Ici Lyon La Doua" ont proposé aux auditeurs un reportage en direct du fond d'une mine de la Compagnie des Mines de Roche-la-Molière et Firminy. C'était, si l'on en croit la revue La Région Illustrée une première que de voir au fond des appareils de T.S.F. " Et la France entière a pu suivre" ce reportage.

 

 

Le site internet "100 ans de radio" nous apprend que la station a vécu de 1922 à  1940. " Bien que s'adressant à  tous les publics, les programmes se veulent plus culturels que ceux de sa concurrente privée, Radio Lyon", lisons-nous. A partir de 1929, elle installa ses studios au Conservatoire de Lyon; ce qui lui permettait de multiplier les émissions musicales. D'où l'allusion dans le texte qui suit, intitulé "Ballade en sol mineur" et signé Delorme-Ladavière. Ce n'est pas la retranscription du reportage mais un récit de l'expédition. L'auteur était le trésorier de l'association et un de ceux qui descendirent au fond de la mine. Une bonne partie du bureau semble y avoir participé dont le président Chéney et les speakers Bony et Dadoy. Le texte d'introduction, assez, comment dire... optimiste, est, croyons-nous, celui de la revue qui publia le récit et les photos. Photos dont les mentions ne sont pas renseignées, comme souvent à  cette époque.

 

Un radio-reportage du fond des mines de Roche-la-Molière et Firminy

 

Grâce, en effet, au réseau téléphonique de la Compagnie des Mines de Roche-la-Molière et Firminy, on peut être en communication d'un point quelconque du fond de la mine avec un point quelconque de l'extérieur. Le reporter, son microphone à  la main et accompagné d'ingénieurs de la Compagnie, a pu, pendant le cours de sa promenade, rester en communication avec tous ses auditeurs. Il leur a raconté ce qu'il voyait: l'arrivée sur le plâtre du puits Monterrad, la visite aux bains-douches, la machine d'extraction, un arrêt pour la descente, puis la promenade a repris: recette du fond, chambre des pompes, avec mise en marche d'une pompe remontant 250 mètres cubes à  l'heure, avancement d'une galerie, travail au marteau perforateur, coup de mine, remonte des ouvriers, visite de l'écurie et d'une taille où on exploite le charbon.

 

Ce reportage inédit a vivement intéressé la masse des auditeurs, qui ne connaissaient la mine que par oui-dire. Beaucoup ont été surpris que les visiteurs aient pu marcher debout dans de vastes galeries éclairées à  l'électricité et blanchies à  la chaux, que les chevaux ne soient pas aveugles et malheureux, mais au contraire plein de santé, que les divers travaux de la mine soient réglés de façon parfaite, que l'ordre y règne ; bref, que le métier de mineur, si décrié et dont on fait souvent des peintures... noires, soit un métier comme un autre, où les braves gens qui travaillent sont contents et gagnent leur vie, et que l'on ne quitte pas quand on y est de père en fils, comme la plupart des ouvriers de la Compagnie des Mines de Roche-la-Molière et Firminy.

 

La visite s'est terminée par la visite des cokeries, des oeuvres sociales et des cités. Ces cités sont calmes et heureuses, elles ont fait beaucoup pour le bien-être et la santé des mineurs. Les consultations des nourrissons, les consultations prénatales, l'enseignement ménager, l'Aide aux Mères de famille, toutes ces organisations ont le plus grand succès auprès des familles ouvrières qui en ont compris et apprécié l'utilité, et on a pu voir, même au cours d'une rapide visite, le résultat heureux de la bienveillance des dirigeants et du bon esprit des mineurs.

 

Quelques membres de la radio (l'auteur du récit est le premier à  gauche) et des ingénieurs

 

Ballade en sol mineur

 

Rassurez-vous, chers auditeurs, il ne s'agit point là  de musique classique et savante, mais simplement d'une petite relation d'un exploit de l'équipe de Lyon La Doua dans le domaine du pays noir. Après vous avoir fait monter au sommet du Brévant pour contempler les neiges éternelles, notre actif et sportif président M. Adrien Chénay (que sa modestie excuse cet hommage à  ses qualités), notre président, dis-je, a voulu nous associer pour quelques instants à  la rude vie des mineurs. Combien peu sont ceux qui, douillettement installés au coin du feu, vivent par l'imagination la vie tragique souvent de ces géants du sous-sol, accomplissant une tâche pénible et difficile dans des conditions que peu de nous oseraient envisager pour eux. Mais, n'anticipons pas.

 

L'avant-garde, composée de notre président et de son épouse, de notre ami Borel, chef de station, Dadoy et Bonny, speakers, arrive sur le chantier dès 9 heures du matin. Le président s'occupe immédiatement, avec les dirigeants de la mine et les ingénieurs, de mettre au point le voyage souterrain de l'après-midi. Pendant ce temps, Mme Chéney visite les oeuvres organisées par la Direction de la mine au profit des ouvriers et de leurs familles. Les techniciens de la Doua, Borel en tête, descendent une première fois dans le puits pour procéder aux installations nécessaires.

 

Après le déjeuner, nous nous trouvons tous réunis à  l'entrée de la mine. Notre aimable vice-présidente, Mme Adolphe Laffont, nous a rejoint, accompagnées de son mari et Mlle Laffont. Nous nous équipons tous pour la visite du fond: vêtements de toile bleue par dessus nos habits, chapeaux en liège et toile cirée. Si la télévision eut été au point, vous auriez eu, mes chers auditeurs, un spectacle assez imprévu à  nous voir ainsi accoutrés. Rendons hommage aux jeunes dames qui faisaient partie de l'expédition. Elles étaient ravissantes avec leurs combinaisons; on eu dit de charmants petits mineurs qui, avouons-le, ne manquaient pas de cran.

 

Nous voici donc tous réunis à  la Recette supérieure. Notre président a fait un reportage remarquable que vous tous pu apprécier. Je n'y reviendrai pas. Mais le moment psychologique est arrivé; on nous munit de lampes électriques spéciales et nous nous entassons, tous debout, dans la cage inconfortable, faite de bois et de fer, qui va nous précipiter à  40 km à  l'heure dans un fond inconnu de nous. Deux coups de timbre. Nous démarrons. Nous glissons avec fracas dans un long boyau noir, mais, chose assez curieuse, personne n'éprouve cette sensation de vide produite par une descente rapide. Trois minutes de trajet. Nous arrivons. Tiens ! on dirait une gare du métro, - des rails arrivent à  fleur de la cage. - Tout est blanchi à  la chaux et éclairé à  l'électricité. On a tout à  fait une grande impression de sécurité. Le reportage continue sept minutes après la cessation au jour. Tous les bruits et les explications relatives aux travaux du fond sont transmis. Vous avez entendu le vrombissement des pompes, le pas des chevaux, le choc des wagonnets, le bruit des perforatrices à  air comprimé, l'appel des mineurs pour la remonte et le "gare à  la mine", puis l'explosion. Nous cessons notre communication avec l'extérieur.

 

Du haut d'une machine au repos, dans la chambre des pompes à  eau, un chat de couleur imprécise nous contemple d'un oeil rond. Cet animal, utile là  plus qu'ailleurs pour la lutte contre les rats, va suivre notre expédition au fond de la mine.

 

M. Chéney décrivant les travaux de criblage du charbon. Assis, M. de la Bastie, ingénieur

 

Et, maintenant, la vraie visite des galeries d'exploitation commence. Nous aurions voulu vous faire vivre les détails de cette randonnée, mais cela était impossible.

 

Après une marche d'environ dix minutes, dans des galeries confortables, taillées dans le roc, blanchies à  la chaux et éclairées à  l'électricité, silonnées de rails, de tuyaux pour l'air comprimé, pour l'évacuation des eaux, etc., nous arrivons dans des galeries dites d'extraction. Ici, plus d'autre lumière que celle de nos lampes portatives, des suintements d'eau partout, le sol boueux, les boisages sur lesquels on se heurte en levant la tête. Là  commence la vie spéciale et rude des travailleurs du fond. Plus nous avançons plus la circulation est difficile. A tout instant nous croisons des trains de wagonnets tirés par des chevaux. Ces braves bêtes se rangent docilement pour laisser passer notre caravane. Un ingénieur me donne un détail: le cheval doit tirer dix wagonnets ; il les compte aux accrochages et, quand il en a dix, il part ; il n'accepterait pas d'en tirer un nombre supérieur. Ce trait est une preuve de plus à  l'actif de l'intelligence des animaux. Nous franchissons péniblement une galerie en pente et nous arrivons au coeur même du chantier d'extraction.

 

Une chaleur humide, 25° au moins. Les hommes travaillent presque nus, vêtus d'un pantalon. Ils manient à  grands efforts le pic, la pelle, la hache, pour boiser au fur et à  mesure et consolider leur chantier. A quelques mètres en arrière, un violent courant d'air frais, établi par des ventilateurs d'aspiration et de refoulement, rend le séjour dangereux à  celui qui n'est pas acclimaté. Vêtus comme nous le sommes, nous suons à  grosses gouttes; aussi nous hâtons-nous de sortir du quartier, non sans avoir rendu hommage aux travailleurs du fond.

 

Notre retour s'effectue avec une sensation de soulagement et de bien-être. Pour nous, qui voyons le soleil et l'air libre tous les jours, c'est un sentiment inconnu qui nous étreint que de nous sentir enfermés au fond de la terre dans de semblables conditions. La remontée s'effectue joyeusement et rapidement. Au dehors, c'est la grande lumière et le gai soleil qui nous font apprécier la vie et qui nous font aussi estimer à  sa valeur réelle le destin de ces rudes travailleurs du sous-sol.

 

C'est sur ce sentiment d'admiration sincère que se termine notre visite. Nous devons remercier très vivement MM. les dirigeants des Mines de Roche-la-Molière, ainsi que le haut personnel d'ingénieurs, et tout particulièrement MM. Ray, Savet, de la Bastie, Roubert et Combasson, et tous ceux qui nous ont aidés dans notre tâche, de l'extrême obligeance avec laquelle ils se sont mis à  notre disposition.

 

Nous pensons avoir réussi à  intéresser nos auditeurs et nous leur donnons rendez-vous à  un prochain reportage sensationnel.

 

Delorme-Ladavière