Comme toujours à la même période, voici un bref retour sur quelques événements marquants de l'année écoulée.
Comme des mouches
Plusieurs aviateurs sont morts. Ainsi le capitaine Clavenad, victime de la catastrophe du "Zodiac". Né à Cherbourg en 1878 dans une famille originaire de Saint-Etienne, il avait embarqué pour son dernier voyage à bord d'un ballon militaire de 1600 mètres cubes - le "Zodiac" - qui explosa au dessus du fort de Villiers-sur-Marne. L'accident a fait plusieurs morts. Le Stéphanois Eugène Mercier mourut d'une chute d'aéroplane à Ambérieu (Ain) le 16 mars. Il avait 18 ans. En septembre, c'est Georges Chomienne, 20 ans, natif de Lorette, qui se tua accidentellement à l'aérodrome de Bron. Cette liste aurait pu s'allonger encore. L'aviateur stéphanois Olivier faillit perdre la vie dans la chute de son avion à Melun. S'il ne fut que blessé, son passager, lui, fut tué. Saint-André, un aviateur qui faisait le voyage de Bouthéon à Villacoublay, se trouva pris dans le brouillard au dessus de Feurs. Il fit demi-tour et se posa en catastrophe à Bouthéon, un clapet de son moteur ayant sauté. Plus de peur que de mal. Cette année fut aussi marquée par le décès de Pierre Lucien Buisson, un des pionniers de l'aviation. Membre fondateur de l'Union des inventeurs de la Loire, il est connu pour avoir construit une machine volante analogue aux aéroplanes mais sans moteur léger.
Burel, instructeur à l'Ecole forézienne d'aviation (Bouthéon), survola en mars Saint-Etienne et La Ricamarie à une altitude moyenne de 700 mètres. Quelques mois plus tard, le célèbre Roland Garros, qui avait volé près de Saint-Etienne en 1911, traversait la Méditerranée. L'aviateur n'avait plus que cinq ans à vivre. Il devait trouver la mort pendant la Grande Guerre, dans un combat aérien, quelques semaines avant l'armistice. En 1913, Emile Reymond, médecin, sénateur de la Loire et infatigable aviateur, inaugurait des hangars d'aviation un peu partout en France. Lui aussi devait tomber au champ d'honneur, dans les premiers mois du conflit.
Ad patres aussi
Claude Chialvo s'éteignit le 19 mai. Député progressiste de la Loire depuis 1910, il avait été maire de Montbrison pendant vingt ans. Paul Deschanel, Président de la Chambre des Députés, prononça son éloge funèbre en séance publique le 20 mai. Deschanel devait passer à la postérité quelques années plus tard en tombant du train alors qu'il se rendait à l'inauguration du monument aux morts - comprenant un buste du sénateur Reymond - de Montbrison. François Jacob, qui fut maire de Saint-Etienne pendant quelques jours, après la Commune, est mort à l'âge de 81 ans. Jean Durafour, le frère du député Antoine Durafour, est décédé accidentellement en Vendée le 14 novembre. Michel Darmancier, dont le nom fut donné à un type de canon construit par les Aciéries de la Marine de Saint-Chamond, s'est éteint à Izieux à l'âge de 62 ans. Cet ingénieur avait été le secrétaire général des usines Marrel Frères de Rive-de-Gier, maire d'Izieux et décoré de plusieurs ordres étrangers. Jean-Marie Marrel, un des frères Marrel, est décédé à l'âge de 89 ans.
Adrien de Montgolfier est décédé en janvier à Saint-Chamond. Né dans le Rhône, ancien élève de Polytechnique, il avait épousé la fille de Jean-Claude Verpilleux, célèbre industriel et inventeur de Rive-de-Gier - signalons au passage qu'en 1913 s'est produit un accident mortel dans le puits de mine portant son nom. De Montgolfier, donc, dirigea les travaux du barrage du Gouffre-d'Enfer et fut décoré de la Légion d'honneur le jour de l'inauguration (1866). A la fin de sa vie, il en était commandeur. Il combattit pendant la guerre de 1870. Député puis sénateur de la Loire (1871 - 1879), il avait succédé à Petin et Gaudet en qualité de directeur général de la Compagnie des Haut-Fourneaux, Forges et Aciéries de la Marine et des Chemins de Fer de Saint-Chamond. A partir de 1888, il présida la Chambre de commerce de Saint-Etienne. Il en était le président d'honneur depuis 1909.
Antoine Roule, le "Prince des Chansonniers du Pays noir", est mort le 6 mai. Quelques mois plus tard, à Paris, s'éteignait Eugène Muller. Homme de lettres, président d'honneur du Caveau stéphanois, il avait placé à Saint-Just-sur-Loire, où il séjourna, le théâtre de son roman La Mionette. A Paris, il fut le conservateur de la Bibliothèque de l'Arsenal.
"Messes noires" et traite des blanches
La presse locale qualifie en janvier de "messes noires" les faits reprochés à un ouvrier typographe. Les "scènes lubriques" se déroulaient dans sa chambre, rue de la Paix à Saint-Etienne. De jeunes garçons âgés de 8 ans à 15 ans, "moyennant de faibles sommes, des bonbons, voire du tabac, (...) avaient accepté les propositions de l'ignoble individu et s'étaient résignés à ce qu'il leur demandait" (La Loire républicaine du 7 janvier). L'individu en question fut déféré au parquet. Les journaux ont relaté aussi plusieurs cas de proxénétisme à Saint-Etienne. Augustine Rouvet, une vierge montbrisonnaise de 16 ans qui cherchait une place de bonne, eut le malheur de tomber sur une femme élégante, une dame Lagrange, qui, sous prétexte de lui donner un emploi, la conduisit vers son amant, un certain Gallo, qui l'offrit immédiatement à un vieux bonhomme. Il abusa d'elle pour vingt francs, empochés par Gallo. Pendant quinze jours, la Forézienne fut ainsi vendue par ses maîtres au premier passant venu. Elle rapportait environ 30 francs par jour. C'est en tout cas ce qu'elle raconta à la police qui l'arrêta. Elle avait en effet racolé, avenue du Président Faure (Libération de nos jours), un agent de la brigade des moeurs ! La Lagrange démentit formellement avoir forcé la donzelle à se prostituer et déclarait avoir rompu avec Gallo. Chez celui-ci, la police découvrit des documents tendant à montrer qu'il était en affaire avec les "Américains", appellation désignant les membres d'un réseau de trafiquants d'êtres humains expédiant à travers le monde des jeunes femmes naà¯ves tombées dans leurs filets...
Un jeune phénomène
Il serait même le plus jeune de France dans sa spécialité. Il s'appelle Francisque Brandon et habite Régny. C'est La Loire Républicaine du 11 avril qui nous conte son histoire. Il y a deux ans, une sourcière vint de Roanne à Régny pour rechercher de l'eau. L'enfant l'observe et l'imite. Le bâton de noisetier se met soudain à tournoyer dans ses mains. La femme, surprise, examine le matru et lui fait faire diverses expériences avant de déclarer qu'il peut mieux faire qu'elle. Ce qu'il confirmait quelques temps plus tard à Marcigny (Saône-et-Loire) en trouvant de l'eau dans la propriété d'un ami de son père.
Bouh !
C'est à Neaux, dans une ferme habitée, que ça se passe. Des bruits étranges, inexpliqués, s'y font entendre et les racontars vont bon train...
Marche ou grève
Pas d'année forézienne sans grève, quoique 1913 fut assez calme. Mentionnons en vrac quelques conflits mais nous ne savons pas toujours pour quels motifs. Et nous ignorons toujours sur quoi ils débouchèrent. L'année débuta à Firminy par une grève dans l'usine Verdié, faisant suite au renvoi de sept ouvriers. A Charlieu, renommée pour son andouille, les patrons bouchers et charcutiers ont fait grève pour protester contre le nouveau règlement de l'abattoir. Les platriers-peintres de Saint-Etienne observèrent une longue grève, d'au moins 34 jours. Les charpentiers de Rive-de-Gier et les maçons de Panissières se mirent aussi en grève. Les ouvrières garnisseuses en chapeau de paille de Chazelles (Ets Ferrier et Hardy) réclamaient une augmentation de salaire. Leur grève suivit de peu celle des ouvrières de la Société Manufacturière de chapeaux feutre et laine, à Chazelles toujours. A Unieux, dans les Aciéries Holtzer, un ouvrier fut mis à pied trois jours. A son retour, il était informé de son renvoi définitif. Ce qui causa un vif émoi. A une délégation ouvrière, la direction annonça que le renvoi serait limité à trois semaines mais qu' "une amende serait infligée à tous les ouvriers pour n'être pas rentrés à l'heure du travail". La grève se généralisa le 11 avril. Elle concerna jusqu'à 150 ouvriers.
Les confrères
Le centenaire de Frédéric Ozanam, fondateur de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, fut célébré à Saint-Etienne dans la salle de la rue du Palais de justice en présence de Mgr Sevin, archevêque de Lyon. La Société, toujours présente à Saint-Etienne en 2013, comptait alors 14 sociétés, soit 275 membres secourant plus de 400 familles.
Des nuages noirs...
Benoît Liothier, métallurgiste de son état, 29 ans, avait donné des conférences à Saint-Etienne, Vienne, Chazelles-sur-Lyon et Grand-Croix. A la suite de quoi, il fut jugé parce qu'il y aurait incité ses auditeurs à saboter les voies ferrées pour entraver la mobilisation que tout le monde pressentait. Il tombait sous le coup de la loi de juillet 1894 sur les menées anarchistes - une de ces fameuses "lois scélérates". Dans certains journaux, moins à droite, on le dira plutôt "syndicaliste". Il a été condamné en première instance, à Saint-Etienne, à deux ans de prison et 100 francs d'amende. A l'énoncé du jugement, quelqu'un s'écria " A bas la guerre !" Il fit appel mais nous ne connaissons pas les suites données à son affaire. Rappelons qu'en 1913 fut votée la loi augmentant la durée du service militaire de deux à trois ans. Des perquisitions dans les milieux anarchistes eurent lieu et des manifestations antimilitaristes, ici ou là , comme celle, improvisée, de deux individus en état d'ébriété qui insultèrent copieusement un sergent fourrier de la caserne Desnoëttes. L'un d'entre eux, arrêté, se déclara ouvertement anarchiste. Mais que risquait-il ?
Rondet avant Jaurès
La statue de Michel Rondet a été inaugurée en grande pompe à La Ricamarie. Quelques jours plus tard, un individu "ivre ou malfaisant" (Le Mémorial) eut la singulière idée de lui tirer dessus plusieurs balles de révolver.
Robust
La Manufacture Française d'Armes et Cycles de Saint-Etienne (Manufrance) a lancé un fusil de chasse juxtaposé baptisé "Robust". On lui promet un bel avenir.
29 000
Comme le nombre de bicyclettes dans notre département. Gras (déjà rencontré, souvent) souligne que "c'est peu flatteur pour un département producteur de bicyclettes". La Loire se classerait seulement au 41e rang.
L'abbé Monchauvet dans fort Apache
Cinq conscrits d'Izieux, fortement avinés après le banquet qu'ils avaient tenu à La Valla, ont pénétré dans l'église pour s'y livrer à de regrettables excentricités, comme de monter en chaire pour y prononcer un sermon qui n'avait rien d'évangélique et de sonner les cloches à toutes volées. L'abbé Montchauvet parvint à les expulser après avoir reçu des coups et dut se barricader dans l'église, d'autres conscrits venant prêter main forte à leurs congénères.
Anarchie et solitude
Toujours d'après Gras, la commune de Saint-Germain-la-Montagne a expérimenté la première, dans la Loire, l'isoloir. C'était pour l'élection de deux conseillers municipaux. "L'isoloir paraît à beaucoup d'électeurs une complication sans utilité", écrit-il. A Saint-Etienne, les vespasiennes ont été transformées à la moderne. La place du Peuple détient alors le record avec ses lavatory souterrains. Cent ans plus tard, l'hôtel de ville en recèle toujours sous son escalier...
C'est à boire...
L'Avenir de la Loire, un hebdomadaire catholique d'informations politiques et agricoles, a reproduit dans ses numéros des 9 et 16 novembre une étude sur l'alcoolisme émanant du BIRS (Bureau d'informations religieuses et sociales de Paris). Rappelons que l'année a été marquée à Firminy par un conflit entre les cabaretiers et leur maire qui a prit certaines mesures nuisibles à leurs intérêts. D'après l'enquête, si la consommation d'alcool n'est pas très grande dans la Loire, celle du vin y occupe le premier rang. "Plus particulièrement dans l'agglomération comprise entre Rive-de-Gier et Firminy, en passant par Saint-Etienne, le mal est immense."
A Saint-Etienne, l'année 1909 a marqué le point culminant de la consommation de vin, avec une moyenne de 307 litres 45 par habitant. Après un temps d'arrêt (1910 et 1911), nouvelle marche ascendante en 1912. D'après le Bureau d'hygiène de la ville, celle-ci occupe le premier rang parmi les grandes villes du pays. « Le directeur d'une école située dans un quartier de Saint-Etienne déclarait récemment qu'à son arrivée à ce poste, les enfants apportaient en classe des flacons de vin pour en boire entre les repas. Plusieurs mêmes arrivaient en état d'ivresse manifeste. Le lundi, les absences étaient plus nombreuses; les enfants avouaient avoir bu la veille trois ou quatre "canons" de vin pur ou bien un pernod, avoir passé la soirée au café, s'être couchés entre onze heures du soir et une heure du matin. A cette question d'un maître: " Qu'as-tu fait hier ?" un enfant répond un jour: " Je me suis saoulé avec ma mère et mon grand-père." »
A Firminy, seize débits auraient ouvert en moins de six mois en 1912. Il y avait déjà dans la ville un débit pour 22 électeurs ! " Les cabaretiers, au mépris de la loi, donnent sans scrupule de l'absinthe à cette jeunesse déjà ravagée par la phtisie (ancien nom de la tuberculose dont "l'alcool fait le lit", précise l'article, chiffres à l'appui, ndlr) et un labeur pénible. Ici, comme dans toutes les localités où nous avons enquêté, le café dansant abonde. Foyer de débauche - et malheureusement trop souvent de prostitution - il accueille aux sons enjôleurs du brunophone jeunes ouvriers et petites ouvrières qui hélas ! ne savent pas se procurer un passe-temps plus moralisateur." Et l'article d'énumérer les clubs et sociétés dédiés à la beuverie:
- A Saint-Etienne " Les Amis de la liche" qui "se recrutent au sein d'un cercle socialiste" et qui ont même une fanfare
- "Les Becs-Salés" à Villars
- "Les Bois-sans-Soif" à Firminy
- A La Ricamarie, "La Clé de la Cave".