Cet après-midi, je savais pas quoi faire. Alors j'ai fait le tour du monde. Plus fort que Philéas Fogg ! Non, je ne perds pas la boussole; j'ai juste pris la direction de Saint-Rambert et de son admirable Musée des Civilisations. Ndlr: cet article ancien ne tient pas compte des éventuelles modifications apportées ultérieurement à la muséographie.
J'étais déjà allé visiter ce musée quand j'étais matru. Mais je dois dire que je ne gardais de mon périple qu'un seul souvenir, celle d'une tête de Jivaro réduite à la taille d'une grosse pomme. Je me souviens aussi m'être dit à l'époque que Tintin, qui aurait pu perdre la boule en Amazonie, était un sacré bonhomme. Retour donc au Musée des Civilisations en espérant revoir la petite tête.

Mais d'abord un mot sur l'Histoire de ce musée dont les collections occupent 3000 mètres carrés. Il fut fondé en 1964 par l'ethnologue Daniel Pouget et l'Association des Amis du Vieux Saint-Rambert. Il fut installé en 1972 dans l'ancien prieuré jouxtant l'église. Il était destiné à l'origine à présenter des collections de l'histoire locale. Mais petit à petit il va acquérir des objets appartenant à ces Arts Premiers chers à Chirac. Et en particulier toute une collection d'art africain offerte par Mme Madeleine Rousseau, professeur à la Sorbonne. Citons encore la donation asiatique de Maurice Venet qui fut délégué général des Alliances Françaises. En 1980, le musée, à l'origine associatif, devint municipal.

Civilisations du Monde
La visite commence par l'Egypte ancienne. Une reproduction du sphinx du roi Nectanebo accueille le visiteur. Ce gardien des portes de l'Eternité va m' accompagner tout au long de mon périple sur les cinq continents et dans les méandres du temps. On regarde ensembles les vitrines et leurs objets de bois ou d'obsidienne mais ce sont les étranges divinités du Nil qui nous contemplent. La chatte Bastet nous jette des regards obliques; Horus le faucon nous dédaigne; il me semble que Maât la vache est plus amène.
On s'enfonce plus au sud vers les mystères de l'Afrique noire. La collection de Mme Rousseau est superbe et j'ai du mal à comprendre que mon sphinx puisse rester de glace devant l'étrangeté de certains objets ou représentations. Ainsi cette statue en bois de femme de Yaruba (Nigéria). Je lis que sa bouche ouverte symbolise la puissance du verbe et son gros ventre la fécondité. Ou encore ces statuettes fétiches de la vitrine consacrée aux rites magiques. Elles viennent du Zaire, elles sont en bois et percées d'une multitude de gros clous ou de plumes. Je repense à Tintin au Congo même si ce n'est pas le meilleur album d'Hergé. Je m'arrête un instant devant les masques de bois, tantôt farouches, tantôt grotesques, parfois effrayants. Souvent ils le sont tout à la fois. Il faudrait des heures pour évoquer tous les objets. Citons encore le bâton de sorcier torsadé de Côte d'Ivoire, les bronzes du Bénin et le traditionnel grand boubou du Cameroun.
On reste au chaud, au pays des hommes bleus touaregs et dans l'Orient des 1001 nuits. J' apprends que le voile des Touaregs se nomme le tagelmoust et leur épée la takouba. Je m'arrête devant les cuirs colorés, les poteries de Sedjenane et les petits objets de la vie quotidienne maghrébine. Mon sphinx s'approche d'une rose des sables et je l'entend murmurer " le noble que désire t-il ? Un chameau blanc, une selle rouge, sa takouba et le chant de la cour d'amour".
La salle du Japon,
à gauche les kumate des Shintoistes
On monte à l'étage par un bel escalier. Je regarde une splendide coiffe indienne d'Amérique du nord pendant que mon sphinx (qui a déjà délaissé sa rose) fait la causette à un ours. Je me demande en effleurant les plumes qui est mon guide: le sphinx ou Tintin ?
Ce qui ne gâche rien.

Allez, on saute le Pacifique et nous voilà en Inde. Un beau berceau à bascule en bois nous rappelle que le sous-continent a donné naissance à l'Hindouisme et au Bouddhisme, entre autres. Pas le Shintô à priori que l'on retrouve dans la salle du Japon. Plusieurs kumate attirent mon regard. Il s'agit de porte-bonheurs multicolores pour l'année nouvelle. A noter aussi une armure de samourai du XVIIe siècle. Enfin on quitte l'Asie et du même coups la partie " Civilisations étrangères " non sans avoir salué le Bouddha en pierre d'Indonésie qui trône dans la salle chinoise. Mon sphinx tente une approche; Gautama reste de glace. Je souris: bien fait !

" Mémoire d'un village "
Après ce tour du monde en accéléré, on attaque la partie " histoire locale " et nous plongeons dans le passé de Saint-Just-Saint-Rambert. Pensez-vous que la visite fut moins vertigineuse ? Question de point de vue. Pour ma part, non. C'est qu'elle n'est pas née de la dernière pluie la petite ville forézienne, ou plutôt devrions-nous dire les petites villes puisque Saint-Just et Saint-Rambert n'ont fusionné qu'en 1973 ! Saint-Rambert fut nommée tour à tour Occiacum (dans l'Antiquité) puis Saint-André des Olmes et enfin Saint-Rambert vers 1078 lorsque le Comte de Forez Guillaume fit transférer dans la cité forézienne les reliques de Saint Rambert, subtilisées à Saint-Rambert en Bugey dans l'Ain. Saint-Rambert, fils du Duc Ragdebert fut assassiné par les sbires du Maire du Palais Ebroin. Sa dépouille reposait dans l'Ain à Saint-Rambert en Bugey jusqu' à ce que le Comte Guillaume de Forez décide qu'elles méritaient de venir dans le Forez à Saint-André les Olmes, sur le chemin des pèlerins de Saint-Jacques. Par la même occasion, la ville prit son nom et devint Saint-Rambert en Forez.
Et le joyau de la collection locale c'est justement la chasuble dite de Saint-Rambert. Cet habit liturgique de grande taille est une étoffe de soie lamée d'or. La légende raconte qu'elle fut taillée dans un habit du Comte Guillaume, ramené de Terre Sainte pendant les croisades et qu'il offrit pour servir de suaire aux reliques du Saint en 1078. Sur l'étoffe dont le fond était rouge à l'origine, on distingue nettement des lions et des rapaces affrontés en fils tordus d'or sur une soie jaune. Cette pièce admirable, qui a près de 1000 ans est classée monument historique. Et nous devons de la posséder encore à deux femmes courageuses dignes de rester dans les mémoires : Jeanne Chapoton et Suzon Treilland qui la sauvèrent des flammes pendant la terreur révolutionnaire.
Un mot aussi sur des statues de la Vierge. Il y en a cinq :
_ Notre Dame de la porte de Franchise, en noyer, d'une hauteur de près d'un mètre. Datée de la Rénaissance, cette Vierge mince et délicate, portant l'enfant-Jésus ornait la porte de Franchise que l'on emprunte pour aller au Musée. Aujourd'hui c'est une reproduction qui se trouve sur la porte, pour préserver l'originale des attaques du temps.
_ La Vierge Noire de la chapelle des Larmes est drapée dans un habit blanc, à la manière de Notre-Dame du Puy.
_ Notre Dame de Grâces se trouvait sur une autre porte disparue, la porte de Bost qui conduisait vers le sud, vers Chambles et l'Hermitage de Notre-Dame de Grâces. Elle est datée du XVIIème siècle et peinte.
_ Notre Dame de Pitié se trouvait sur la porte du Poyet en direction de Saint-Marcellin en Forez et l'Auvergne.
_ Notre Dame de Bon Secours, sur la porte de Bourchorier. Cette statue fut placée sous ce vocable car la porte en question menait vers le cimetière des pestiférés de Saint Côme.
Les étranges objets de protection emportés par les mariniers rambertois dans leur périple vers Nantes. Aucun symbole de la Passion n'est oublié.

Dans cette section du musée aussi des objets étonnants. Comme ces bannières de bois des Confréries qui furent nombreuses et dont les maîtres-mots étaient Charité et Pénitence. Elles représentent les instruments de la Passion (clous, tenailles, lance, éponge...) ou encore le coq de Saint-Pierre, une d'elle porte un écriteau indiquant " Judas ". A l'étage on retrouvera d'autres objets typiques, de petites bouteilles de protection que les mariniers emportaient sur leurs rambertes lorsqu'ils remontaient la Loire vers Nantes. A l'intérieur, non pas de bateaux mais des maquettes de la Passion, avec les trois croix, le Christ, soldats, etc. D'autres porte-bonheurs en bois, plus grands, stupéfient le visiteur par le nombre de personnages et d'objets bibliques qui s'entremêlent. " Le Mexique", murmure mon sphinx.
Ce lieu est un labyrinthe. On descend des escaliers, on monte aux étages. Mais mon guide me rassure : pas de minotaure en ses murs. Mais ici une belle peinture de Guy François, une " Vierge de Pitié " où se lit la détresse d'une Vierge Mère au pied de la Croix. Là un reliquaire de métal marqué aux armes des ducs de Bourbon. Et puis des objets plus contemporains, attributs de la vie quotidienne ou d'une profession, les mariniers, les lavandières, les tisseurs et vignerons, costumes, ustensiles, berceaux, bureaux... Un impressionnant métier Jacquard qui étend ses ramures jusqu'au plafond, la maquette d'une ramberte, un pressoir. A un autre étage, des panneaux évoquent le métier des souffleurs de verre.
Mais il faut penser à rentrer au bercail. Je dis au revoir au sphinx. Ok, je passerai le bonjour à la "sphinge" de Saint-Etienne. Je retourne à ma voiture en marchant à l'ombre des maisons à colombage. Je me dis d'abord que je n'ai pas revu la petite tête. Je pense ensuite que c'est quand même cool d'avoir fait le tour du monde. Et je me dis enfin que notre Forez, c'est tout un monde !