Deux grands panneaux, à chaque entrée, l'annonçaient fièrement: " Saint-Marcellin, la porte du Forez ". Si l'expression pouvait sembler douteuse, d'un point de vue géographique, il n'y a en revanche aucun doute à avoir sur la vénérabilité du village.
Son pont du Diable, superbe, sa vieille (très vieille) chapelle sainte-Catherine, et sa fresque au tympan retrouvée, ses restes de remparts ne sont pas des chimères. Comme ne le furent pas ces mille ans d'âge que tous les habitants ont fêté dans les années 1980. Saint-Marcellin possède un autre atout, l'Espace Revel, dans l' Hôtel de Bouthéon.
Cigognes sur un donjon de Roanne, armoiries des Bouthéon, capitaine-chatelains de Saint-Marcellin, un marinier sur la Loire à Pont Saint-Rambert
" Pardon, Madame, la route de Saint Marcelin le Puy, s'il vous plait...
- Vous voulez dire Saint-Romain-le-Puy ?
- Non, non, Saint Marcelin le Puy
- Vous voulez dire Saint-Marcellin-en-ForeZ ?
- Voilà tout à fait, Saint-Marcellin-en-Forè"
En route pour la jeune Maison de l'Armorial (ou Espace Revel ) nous avions déjà l'esprit ailleurs ; en 1450 quand les noms des villes et villages du Conté de Fourestz étaient quelque peu différents : Pont Saint-Rambert, Rouanne, Eztivaleilhes, Monbrison... C'est dans l'ancienne cure à côté de la vieille église que s'est installé l' Espace Revel, du nom de ce mystérieux héraut d'armes du Duc de Bourbon auquel nous devons un document d'une rareté exceptionnelle et qui porte son nom. C'est l'Armorial Revel qui représente 54 villes et places fortes du Forez, dessinées vers l'an 1450 environ. Mais avant d'y venir, il nous faut saluer d'abord le superbe travail de restauration du bâtiment. Il y a bien longtemps, c'est dans cette maison que le Père Galletti donnait ses cours de catéchisme aux mâtrus. L'âge aidant, voir aujourd'hui ce qu'est devenue l'ancienne cure paroissiale laisse pantois ! C'est à nouveau l' Hôtel de Bouthéon, la demeure qui en 1368 accueillait Faucon de Bouthéon, premier capitaine-châtelain de Saint-Marcellin, avant de subir quelques transformations sous ses successeurs. Ainsi, pour voyager dans le Forez médiéval à travers les illustrations de Revel et des peintres qui l'accompagnaient, il fallait bien ce bel écrin et en particulier sa salle d'apparat qui au XVe siècle accueillit sans doute l'envoyé spécial du duc de Bourbon. Car Guillaume Revel n'a pas illustré les villes de Forez et d'ailleurs pour son bon plaisir mais pour celui de son maître.
Pour comprendre, entrons dans la première salle, asseyons nous comme un moine sur sa stalle et mettons notre casque. Sur l'écran défilent les illustrations. Il est temps aussi de préciser que toute la visite sera intelligemment interactive. Donc voici un duc de Bourbon, Charles Ier qui à l'époque tient les rênes du Forez et qui souhaite faire à ses amis et surtout à ses ennemis la démonstration de sa toute puissance. Et pour cela, rien de mieux que d'établir un armorial. Mais pour Charles Ier, il ne s'agit pas seulement de faire un armorial classique, c'est à dire d'illustrer une liste de ses sujets avec leurs blasons; il demande à Revel de dessiner toutes les villes et places fortes sous sa juridiction en les plaçant dans leur espace ! Autrement dit de rendre compte pour chacune de leur tailles respectives, de leurs fortifications, des ponts, du nombre d'églises... !
C'est donc à cette mission que s'attela Guillaume Revel, mission qui fit seule sa renommée car on ne sait pas grand chose d'autre de lui ! Une Mission qui par ailleurs ne fut pas honorée car seulement une centaine de dessins sur les 400 prévus furent réalisés, et nombre d'entre eux restent inachevés. Et sur cette petite centaine de dessins, 54 pour le seul Forez. On mesure mieux la chance qui est celle de notre région pour la compréhension de son passé.
La deuxième salle, belle pièce d'apparat avec sa cheminée et son plafond aux poutres peintes de rectangles de couleur, nous apprend toute l'histoire politique et administrative du Forez sous les Bourbons en même temps qu'elle nous fait voir en détail toute la richesse des dessins de l'Armorial. Ici encore le visiteur peut apprécier l'intégration parfaitement réussie d'un certain design dans l'espace muséographique. Car les vitrines ont la forme stylisée d'une ville avec ses remparts, avec la petite musique d'époque et les couleurs chaudes des lumières, l'ambiance est du plus bel effet. Bien joué, franchement !
Revenons un instant aux origines de la tutelle des Ducs de Bourbon sur le vieux Forez comtal. Deux évènements marquent la fin du Forez autonome: la mort sans descendance mâle du dernier des Comtes de Forez, Jean II et le mariage de sa soeur Anne-Dauphine avec le Duc de Bourbon Louis II, un an auparavant (1371). Ainsi, elle amena le Forez dans le giron bourbonnais. Montbrison qui fut la capitale des Comtes de Forez s'effaça au profit de Moulins, capitale du Bourbonnais mais garda certaines prérogatives, judiciaires (cour de Forez) et la cour des comptes. Par la suite, l'autorité des ducs devait s'étendre aussi sur l'Auvergne et sur certains territoires du Beaujolais et de Château-Chinon. On comprend mieux pourquoi la commande de l'Armorial ne fut pas honorée. La tâche était énorme. Signalons d'autre part la mort du commanditaire Charles Ier.
Saint-Germain-Laval croqué par Revel
La lecture des plaquettes de cette salle, très bien appuyées par les illustrations des vignettes de l'Armorial, nous apprend aussi beaucoup sur l'architecture militaire de l'époque née des incessants pillages que subit le Forez. Ainsi Saint-Marcellin-en-Forez (Saint Marcelin le Puy à l'époque), Montbrison, Estivareilles ou encore Pommiers et Valbenoîte pour ne citer qu'elles subirent à de nombreuses reprises les assauts des tards-venus, mercenaires au chômage (routiers) et autres pillards anglais. Aussi en 1364, le comte de Forez Renaud avait demandé aux villes et villages de s'enfermer dans des enceintes fortifiées et de se doter de troupes de défense. L'étude de l'Armorial permet de mieux mesurer l'existence de certaines fortifications ou de châteaux qui n'existent plus aujourd'hui, par exemple à Lavieu, Montbrison ou Feurs. Les vignettes de l'Armorial illustrent les enceintes successives (deux enceintes à Saint-Marcellin) et la diversité des systèmes défensifs : créneaux, échauguettes, contreforts, machicoulis, barbacanes, courtines, ponts-levis etc.
A noter aussi une borne tactile qui répertorie toutes les villes et châteaux de l'Armorial en Forez et les nombreuses explications sur les limites de l'Armorial dans la connaissance exacte de l'aspect passé des villes. En effet, les maisons par exemple sont toutes dessinées de la même manière, seules se distinguent les maisons nobles ou bourgeoises, un peu plus hautes. D'autre part, très peu de bâtiments civiles se distinguent en comparaison de la visibilité des églises. Les vignettes par contre sont sources d'information sur les paysages, reliefs, montagnes, vallées, cours d'eau. Bref, l'Armorial nécessite un certain code de lecture, très bien décortiqué par les explications proposées, à la fois claires et précises.
La visite s'achève par une petite salle d'initiation à l'art héraldique où par un petit jeu astucieux (idéale pour les enfants, un peu léger pour ceux qui sont un tantinet initiés) on peut se familiariser avec le langage du vieil art, Ecu de Gueules, Bande de Sinople... et Dauphin d' Or bien sûr. Ici aussi une attention évidente a été apportée au choix de la matière.
L'Espace Revel est un lieu appelé -nous en sommes certains - à devenir une étape incontournable pour tous les amateurs d'histoire et/ou du Forez. Ce qu'il propose, c'est tout simplement mais gratuitement et avec quel efficacité ! de mettre à porter de cerveau, dans une belle demeure, tout un pan de notre histoire régionale et un trésor gardé précieusement à la BNF : l'Armorial de messire Revel.
N'oubliez pas au passage d'aller saluer la chapelle sainte-Catherine et le Pont du Diable ! Mille ans d'histoire vous contemplent, foutre-Dieu !!!
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Article publié ultérieurement dans notre rubrique Actu (Culture) sous le titre "L' Atlas forézien de l'Armorial de Guillaume Revel"
Il aura fallu attendre vingt ans pour que soit livré cet atlas des 54 sites foréziens, châteaux, villes et bourgs, croqués dans l'Armorial de Guillaume Revel. Le pavé, tiré à 1500 exemplaires, vient compléter l'Atlas publié par Gabriel Fournier en 1973, consacré à la partie auvergnate de l' Armorial.
L'ouvrage, fruit d'un grand travail collectif sous la direction de Pierre-Yves Laffont, est diffusé par l'Association de Liaison pour le Patrimoine et l'Archéologie en Rhône-Alpes et Auvergne (ALPARA) dans sa collection "Documents d'Archéologie en Rhône-Alpes et en Auvergne" (DARA).
"L'ouvrage se veut relativement grand public, ce qui n'est pas nécessairement le cas des 34 précédents", considère le président du Groupe archéologique Forez-Jarez, Jean-Claude Litaudon. Parmi quelques titres anciens, citons La tombe à char de Verna (Isère), Viviers, cité épiscopale ou encore L'Atlas des châteaux du Vivarais.
Publié avec l'aide du Conseil général et la Fédération archéologique de la Loire, il est en vente uniquement dans les associations d'archéologie. On peut se le procurer à Saint-Etienne à l'Espace archéologique Forez-Jarez, rue Malraux.
Le premier chapitre relate le manuscrit que nous a légué Guillaume Revel, conservé à la BNF - une copie remarquable est gardée à la Diana, à Montbrison, depuis les années 1860 - en le replaçant dans son contexte, c'est à dire le comté de Forez du XVe siècle, sous la coupe des ducs de Bourbon. Les suivants évoquent la noblesse et l'héraldique locale et la fortification dans notre région, en lien toujours avec l'oeuvre du héraut de Charles Ier.
Vient ensuite une monographie pour chacun des sites montrés par Revel et ses peintres. Chaque lieu est développé d'une manière semblable. Prenons le "chatiau de Sautrenon", c'est à dire Souternon dans le canton de Saint-Germain-Laval. L'auteur montre l'apport des sources écrites, explique le dessin de l'Armorial et livre une étude héraldique - c'est bien d'un recueil d'armoiries dont il s'agit même si les vues détaillées des villages, prieurés,... font passer cet aspect au second plan*. Un dessin figure l'hypothèse de restitution du site en même temps qu'un chapitre revient sur les vestiges archéologiques et interprète les plans cadastraux. Répéter cinquante-quatre fois cette démarche, pour Montverdun, L'Aubépin, Valbenoîte, Estivareilles, Pommiers, etc., avec à l'appui de nombreuses photos des fortifications encore visibles, et vous comprendrez que le livre dépasse les 500 pages.
Malgré le travail de générations d'érudits, certains sites gardent leur mystère. Ainsi ce Château nommé de Ravoire dont la vignette est inachevée, et ses quatre blasons muets, et dont une hypothèse faisait le hameau du Fay à Saint-Jean-Bonnefonds. D'autres sont douteux. "Assurément il ne s'agit pas de Nervieux", écrit là Pierre-Yves Laffont. Ou bien, ici Chantal Delomier: "L'absence de représentation de l'église Saint-Julien vient grandement ajouter à la difficulté d'identifier cette page avec le site de Pommiers."
* Six blasons par exemple sont peints par Revel pour Néronde.