
"Une nation n'a de caractère que lorsqu'elle est libre." Madame de Stael
.
En même temps que nous allons visiter ensemble une partie de l'Hôtel de Préfecture et du Département de la Loire, il n'est sans doute pas inutile de rappeler les différents lieux qui furent les centres administratifs de notre "pays" tout au long de son histoire.
.

.
La Préfecture de la Loire à Saint-Etienne dans les années 1910
A l'origine, avant même Rome, il y avait déjà une implantation sur le site de Feurs. Mais c'est sous la domination romaine que le Forum Segusiavorum s'est développé et a légué son nom à Feurs et au Forez. Le Forum Segusiavorum était le chef-lieu de nos ancêtres les Gaulois Ségusiaves dont le territoire s'étendait jusque vers Lyon, avant que Lugdunum ne soit fondée par l'Empereur Auguste et ne supplante la cité ligérienne à la tête du pays ségusiave. C'est le premier acte de la longue rivalité opposant le Forez à son voisin lyonnais. Après l'effondrement de l'Empire carolingien, la prédominance sur le Forez et Lyon fut disputée âprement par deux personnages résidant dans la capitale des Gaules: l'archevêque et le comte de Lyonnais.
.

Du temps embrumé où le Forez était lyonnais jusqu'à la République, que de péripéties dans l'établissement du chef-lieu de la Loire ! Façades sud et est de la Préfecture de la Loire.
.
Après maintes péripéties que nous avons résumées dans l'article « Petite histoire du Forez » les deux parties trouvent finalement un terrain d'entente en 1173. L'archevêque garde la main sur Lyon et certains lieux à l'orient du Comté, Saint-Chamond et Saint-Symphorien par exemple. Le comte récupère la partie occidentale, de même que Rochetaillée, La Tour-en-Jarez, Saint-Priest... et reçoit 1100 marcs d'argent. C'est la naissance du Comté de Forez. Le Jarez est donc morcelé.
.

.
François Ier et sa cour entrent à Montbrison. Le Forez est réuni à la couronne de France. Peinture de la salle des fêtes.
Pour le jeune Comté de Forez, il faut une capitale. Ce sera Montbrison, dominé par un château d'abord modeste puis renforcé. Aussi parce que la cité est située sur le « grand chemin de Forez » entre la Bourgogne et le Velay, et à mi chemin entre Lyon et l'Auvergne. Montbrison sera la capitale du Forez dans tous les domaines : religieux, administratifs, judiciaires. Nous vous renvoyons à ce sujet à notre petite « Histoire de Montbrison ». En 1372, Jean II de Forez meurt sans héritier et le Pagus Forensis passe aux mains des Ducs de Bourbon dont la capitale est Moulins dans l'Allier. Un bailli représente le Duc à Montbrison qui entre dans une longue période de sommeil. En 1521, la duchesse de Bourbon, comtesse de Forez décède sans postérité et son époux et héritier, le connétable Charles III de Bourbon doit faire face aux manigances de Louise de Savoie, la mère du roi François Ier. Le connétable se range aux côtés de l'empereur Charles Quint contre le roi de France et trouve la mort au siège de Rome. En 1531, le Forez est réuni à la couronne de France. A partir de 1542 et du point de vue administratif notre région dépend de la généralité de Lyon. La Chambre des Comptes instituée par les comtes de Forez est supprimée, sa prééminence judiciaire est contestée, par exemple par la création en 1645 de la sénéchaussée de Saint-Etienne. Celle-ci sera supprimée en 1766 après une longue procédure.
.

Jeu des 7 erreurs: la Préfecture à la fin des années 1910 et dans les années 30
.
Sous la révolution, le 26 février 1790, l'ancienne généralité de Lyon devient le département de Rhône-et-Loire malgré les oppositions des Foréziens qui souhaitent un département distinct de Lyon sans se mettre d'accord sur le choix du chef-lieu ! Trois districts composent alors la partie forézienne de Rhône-et-Loire : Montbrison, Roanne et Saint-Etienne. En 1793, le peuple de Lyon se soulève contre la terreur jacobine et Montbrison se range aux côtés des insurgés. En août, pour punir les Fédéralistes, les républicains créaient un « département de la Loire provisoire » et distinct. En septembre, Lyon tomba et Montbrison rebaptisée « Montbrisé » perdit son statut de capital administrative forézienne au profit de Feurs ! L'administration départementale s'installe dans un ancien couvent de l'antique cité gauloise, l'actuel musée d'Assier. La création du département de la Loire est effective en novembre. Mais moins de deux ans plus tard, le 23 août 1795, Montbrison redevient le chef-lieu de la Loire et les administrations s'installent dans l'actuelle sous-préfecture.
.

.
Le peuple de Saint-Etienne, par J.-P. Laurens.
. Mais le développement industriel de Saint-Etienne et de son agglomération devait créer de nouvelles velléités. Saint-Etienne fut chef-lieu d'arrondissement jusqu'en 1856. La sous-préfecture était installée rue Mi-Carême puis à partir de 1853 dans le grand bâtiment construit par Debuisson et qui abrite de nos jours les collections du musée d'art et d'industrie. Mais dès 1850, le maire de Saint-Etienne, M. Heurtier, défendait les prétentions stéphanoises. En 1852, c'est à Saint-Etienne que vint Napoléon III, et non à Montbrison. Avec l'annexion des communes de Montaud, Beaubrun, Outre-Furan et Valbenoîte, la population stéphanoise atteignit les 100 000 habitants. En 1855, un décret impérial prononça le déménagement de la préfecture de Montbrison à Saint-Etienne :
.
"NAPOLEON,
.
Par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français, à tous, présents et à venir, salut !
Vu l'arrêté consulaire du 17 Ventôse an VIII qui détermina les chef-lieux des départements ;
Sur le rapport de notre ministre, secrétaire d'Etat au département de l'Intérieur,
Avons décrété et décrétons ce qui suit :
Le chef-lieu du département de la Loire est transféré à Saint-Etienne.
Celui du deuxième arrondissement communal de ce département est fixé à Montbrison.
Ces dispositions seront exécutoires à partir du 1er janvier prochain.
Fait au Palais des Tuileries, le 25 juillet 1855.
NAPOLEON III."
Par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français, à tous, présents et à venir, salut !
Vu l'arrêté consulaire du 17 Ventôse an VIII qui détermina les chef-lieux des départements ;
Sur le rapport de notre ministre, secrétaire d'Etat au département de l'Intérieur,
Avons décrété et décrétons ce qui suit :
Le chef-lieu du département de la Loire est transféré à Saint-Etienne.
Celui du deuxième arrondissement communal de ce département est fixé à Montbrison.
Ces dispositions seront exécutoires à partir du 1er janvier prochain.
Fait au Palais des Tuileries, le 25 juillet 1855.
NAPOLEON III."
Durant 46 années, les services du préfet et de la municipalité cohabitèrent à l'Hôtel de ville avant la construction de l'Hôtel de Préfecture entre 1895 et 1902. A cette occasion, le dôme de la mairie fut construit en 1858 et sa façade restaurée. Parmi les préfets qui se succédèrent à la « Préfecture de l'Hôtel de Ville », citons Mr de l'Epée qui y fut tué lors de la commune de 1871. Lire à ce sujet notre petit article "La Commune de Saint-Etienne".
.

.
La façade sud (tournée vers la place Jaurès , encore nommée Marengo par les anciens)
.
L'hôtel de la Préfecture est situé au nord de la place Marengo (Jean-Jaurès). Le bâtiment fut construit sur un terrain de 4060 mètres-carrés acheté par la ville en 1874. Les architectes choisis furent MM. Huguet (maître de Tony Garnier et Grand Prix de Rome) qui remporta le concours qui l'opposa pour la circonstance au célèbre Lamaizière et M. Delorme. La première pierre de taille blanche fut posée le 19 août 1895 et l'inauguration officielle de l'édifice eut lieu le 11 janvier 1902. Mme Eliane Viallard, ex-directrice des Archives Départementales de la Loire, nous fait remarquer qu'elle a pour particularité rare en France de ne pas avoir « d'entrée commode et imposante ». En effet, on y accède par la grand'rue où circulent les trams !
La façade sud, tournée vers la place Marengo, est ornée de sculptures que l'on doit à Lamotte, un artiste lyonnais. Sur cette façade est résumée, dans les grandes lignes, l' histoire du Forez. Ainsi on lit sur l'avant-corps droit l'inscription « Civitas Lugdunensis » encadrant le blason de Lyon, souvenir d'un temps où Foréziens et Lyonnais appartenaient « au même pays ».
.
Une autre indique en revanche sur l'avant-corps gauche : "Le pays des Segusiaves a formé la cité romaine de Lyon puis le Comté de Lyon et par scission le Comté de Forez en 1173." Elle est surmonté du Dauphin et des mots « Pagus Forensis ».
.
Une troisième enfin : "Le Forez au Roi en 1531 a fait partie de la généralité de Lyon et du département de Rhône-et-Loire. Il a formé le département de la Loire en 1793."
.
On lit aussi les blasons de Saint-Etienne et de ses deux sous-préfectures, Roanne et Montbrison, et puis bien sûr le Dauphin de Forez que nous retrouverons un peu partout. Cette façade, hormis le drapeau national, fait la part belle aux anciens temps. Blasons héraldiques, « chefs » de taureaux enguirlandés comme pour aller au sacrifice (le taureau, « animal solaire » est un symbole de fertilité), personnages de la mythologie grecque tout en haut des deux frontons des avant-corps. Nous devons ces derniers à Picaud, un artiste forézien, il s'agit de Zeus : roi de l'Olympe, et de son épouse Héra : déesse du foyer chez les anciens Grecs. Les fenêtres aux étages indiquent les "appartements" du Préfet de la Loire. Signalons encore que Mme Viallard mentionne un fronton en bronze aujourd'hui disparu qui ornait le toit et qui fut réalisé par Loiseau, un artiste parisien.
.

.
Athéna en façade côté rue De Gaulle
A l'angle de la rue Robert et de la rue Charles de Gaulle, deux plaques attirent le regard. La plus petite reproduit le texte célébrissime de l'appel du 18 juin; l'autre plus grande porte le blason de Colmar et sa massue d'Hercule. C'est aussi l'emblème de la fameuse Ière armée française commandée par De Lattre de Tassigny. Voici le texte inscrit en lettres d'or : " La Ière armée française commandée par le général de Lattre de Tassigny, forgée en Afrique et en Italie, débarquée en Provence, grossie des Forces Française de l'Intérieur a atteint Saint-Etienne le 2 9 44 dans sa marche victorieuse au Rhin et au Danube."
On accède à l'entrée du bâtiment en longeant la façade ouest (grand'rue). Au dessus du porche une superbe sculpture de Lamotte représente le buste casqué de la déesse Athéna, déesse de la guerre des anciens Grecs. Sur sa cuirasse, la tête de Méduse Gorgone et sa chevelure de serpents. Ce personnage célèbre avait le pouvoir de changer en pierre quiconque croisait son regard. La déesse lui trancha la tête qu'elle fixa sur son bouclier. Plus haut, sauf erreur, c'est à Peynot que nous devons les deux personnages allégoriques encadrant le coq gaulois, les faisceaux et le sigle RF, pour "République française".
.

.
L'inscription ici encore indique que la Convention a décidé
de la création du Département de la Loire en 1793.
.
Nous entrons dans la cour intérieure. Deux grandes plaques de marbre indiquent tous les morts du 38ème RI tombés lors des deux guerres, à Verdun, Dunkerque, en Alsace... L'effet qui se dégage de cette cour est assez impressionnant: les murs sont blancs, les fenêtres sont grandes et cernées de colonnes. Il est difficile aussi de ne pas voir les visages massifs qui sont sculptés.
Nous suivons le guide à l'intérieur du bâtiment. Notre balade nous mènera jusque dans les appartements du préfet, où il n'habite pas comme chacun le sait, puisqu'il réside dans un "modeste château", la grande salle des fêtes, la salle du Conseil général. En effet, depuis la loi de décentralisation, l'édifice accueille aussi les services du Conseil général. C'est donc ici que se réunissent et délibèrent les conseillers généraux élus au suffrage universel. Pour l'heure, nous sommes au pied du grand escalier d'honneur. C'est une sculpture allégorique de Picaud (qui a réalisé à Roanne la sculpture des "Pauvres gens") qui nous accueille. Elle se nomme "La Loire", ou "La vague", et représente une jeune femme qui « fôlatre » dans les flots.
.

.
La Loire
.
Le tapis rouge indique la respectabilité du lieu. Le décor est superbe, voire pompeux : les couleurs ocres et rouges des murs, le marbre des colonnes, les lustres qui diffusent une lumière chaude, les dauphins dorés et les ferronneries des rambardes de l'escalier d'honneur. Ces dernières sont de Ploquin, qui a utilisé du bronze, de l'onyx, des fers forgés et du marbre stucatine.
.

.
De l'escalier d'honneur, on aperçoit la salle du Conseil général et son plafond héraldique
.
Buste d'Antoine Pinay
.
Arrivés au premier étage, on devine, derrière une grande verrière qui nous surplombe, les blasons des cantons ornant le plafond de la salle du Conseil général. Nous visitons aussi les appartements du représentant de l'Etat. L'endroit est très confortable; on y trouve de beaux meubles et une belle cheminée de marbre marqué du blason de Saint-Etienne. En reprenant l'escalier qui nous mène au 2ème étage, un buste noir nous dévisage. C'est celui d'une grande figure ligérienne, Antoine Pinay, « le sage de Saint-Chamond ». Maire de la cité industrielle durant de nombreuses années, il fut aussi longtemps Président du Conseil général et ministre des finances. C'est Antoine Pinay qui mit en service le « nouveau franc ».

.
Et nous voici dans la salle de bal (ou des fêtes). Il nous manque malheureusement le vocabulaire pour décrire correctement le décor. A une extrémité de la salle, deux immenses rideaux aux couleurs de la Nation encadrent une Marianne immaculée. Les appliques des lustres en bronze doré des murs latéraux représentent des proues ou des rostres de navires. Les lampes ont la forme de fleurs. Les tentures des grandes fenêtres sont aux couleurs du Forez : cramoisies avec dauphins d'or en relief. Le plancher est en bois comme il se doit. Les plafonds sont ornés de motifs en stuc (?) réalisés, sauf erreur, par le sculpteur Induni; un artiste stéphanois d'origine italienne. Ici encore le blason de Saint-Etienne figure en bonne place.
.

.

.
A droite, le lion, symbole de force et les liens qui devraient unir les habitants de la ville

.
Des sculptures agrémentent les angles des cloisons. Il y a aussi des peintures murales décoratives et délicates dues au talent de Jean Zaccheo dont la famille a laissé de nombreuses oeuvres dans notre province. Deux grandes toiles murales ne passent pas inaperçues. Elle ont été peintes par Jean-Paul Laurens auquel le Panthéon et l'Hôtel de Ville de Paris doivent aussi certaines compositions. La première des ses peintures stéphanoises représente l'entrée de François Ier à Montbrison en 1536. La seconde représente le peuple stéphanois qui marche dans une longue « procession ». En arrière fond, une ville rouge hérissée de cheminées fumantes et de chevalements. On pense bien sûr à Saint-Etienne, bien que rien, dans cette représentation, ne permet d' identifier clairement la cité.
.

.
Ici se réunissent les élus du Conseil général
.

.
Direction ensuite la salle du Conseil général où nous attend une autre surprise. Le plafond est revêtu d'un décor caractéristique de la seconde moitié du XIXe siècle, redécouvert dans les années 80. Il figure 31 blasons de communes foréziennes : Saint-Etienne, Montbrison, Roanne, St-Just-en-Chevalet, Boen, Feurs, etc. On remarque aussi le décor de feuilles d'acacia et de houx symbolisant la force et la persistance.
.Au terme de notre visite, nous espérons grâce à ce petit article avoir levé un coin du voile et avoir donné l'envie à tous d'aller visiter ce lieu superbe, quoique méconnu du grand public, lors de la prochaine édition des J.E.P.