Friday, June 02, 2023
jassfont.jpg Un article paru en 1934 dans La Région Illustrée et agrémenté par nos soins.

Michel Thiollière, en préface à l’ouvrage Genèse d’une ville ; Saint-Etienne Histoire et perspectives du pays stéphanois, cite une phrase de son professeur d’ histoire de 5ème : "On ne peut comprendre l’histoire qu’en étudiant la géographie ". Puis il ajoutait:
" Elle s’applique tout particulièrement à Saint-Etienne qui reste pour beaucoup un mystère." 
 
" Sur le hault de Pila, je sallue Forez. Forez, je vous sallue et vostre douce terre."
Anne d'Urfé


C’est le sous-sol qui a fait notre ville, qui reste une cité de points de vue, un pais de cocany (de cocagne) disait Chapelon, sur un plateau à 600 mètres d’altitude dominé par le Mont Pilat. Sainté en effet – et vous l’aurez sans doute remarqué - ne bénéficie ni d’une façade maritime, ni de la traversée d’un fleuve. Sainté, c’est un peu la ville du far-west dans le Forez, 100 000 habitants supplémentaires entre le début et le milieu du XIXe siècle, et une grande artère longiligne qui limite le décor, pour reprendre les paroles de la chanson de Lavilliers.

C’est justement le Mont Pilat enneigé que nous allons évoquer ici. Ou plutôt qu’a évoqué un certain X… dans ce court article publié dans La Région Illustrée, organe régionaliste littéraire et touristique du Forez, du Velay, du Vivarais, du Lyonnais et du Dauphiné (ouf !) en 1934. Souvenir d'un temps où la voiture n’était pas reine, quand les Stéphanois allaient faire du tourisme à leurs portes. Et nous rappeler peut-être avec Auguste Callet, prévenant dans sa Légende des Gagats tout scepticisme devant l’absence de vestiges d’un Sainté-Furania antique, que "nous avons nos bois, nos ruisseaux, nos montagnes. Et que ce sont là en vérité des monuments plus anciens que les pyramides d’Egypte et peut être si on les interroge, plus éloquents encore."
Bonne lecture.

Pilat, hiver 2004


" Il est aux confins de nos Cévennes, entre la Loire indolente et le Rhône impétueux, une montagne inconnue et cependant merveilleuse. Elle se dresse, sentinelle géante, au-dessus des vallées. Lyon, Vienne, Valence l’aperçoivent de loin, mais bien peu la connaissent. Et si, par hasard, quelque voyageur descendant vers la Côte d’Azur dit, en montrant sa cime altière : " Quelle est donc cette montagne ? ", sa question reste sans réponse.

Le Pilat, car c’est lui, est trop peu connu, nul poète n’a chanté ses forêts, nul penseur, nul écrivain célèbre n’est venu méditer sur ses cimes, pour en raconter la majestueuse splendeur*.

Ski au col de l'Oeillon vers 1910 (carte postale) et la croix du col de la Perdrix (selon certains auteurs, elle se trouve à l'endroit d'une ancienne pierre sacrée des Celtes)

« Tes neiges sont presque éternelles
Sur le haut crêt de la Perdrix
Et des trois dents la vue est belle
Quand on sait y mettre le prix »

 Extrait d’une chanson du XIXe
 

On va là-haut l’été, mais dès les premiers jours de l’automne, dès la première neige surtout, la montagne est abandonnée. Et cependant, jamais elle ne fut plus belle que durant les longs mois où la neige la recouvre de toutes parts, s’entassant aux creux des bois, aux creux des vallons, pour tout niveler sous sa couche épaisse et miroitante.

Quelques rares privilégiés la connaissent sous sa parure hivernale, mais ils gardent jalousement leur trouvaille ; ils y reviennent sans cesse, mais craignant les foules bruyantes, ils n’en parlent qu’entre eux et, véritables amants de la nature, ils veulent pour eux cette maîtresse incomparable qu’est la montagne forézienne.

 

Le Grand Hôtel du Pilat vers 1915, construit en 1898, il fut ravagé par un incendie et n'existe plus.

Elle mériterait cependant d’être connue, admirée par les foules. Plus beaux que des décors de fééries, les grands bois épais et silencieux ploient sous leurs lourds manteaux de neige. Sur les champs immenses, blancs à perte de vue, on se grise d’air pur, de lumière et d’espace. Du sommet, on voit les Alpes qui se dressent sur l’horizon comme une barrière gigantesque et l’on pourrait croire, tant elles sont proches, qu’il suffirait d’étendre la main pour les toucher.

La fontaine de la jasserie, dite "de Pilate".  Une légende tenace raconte que son eau est si froide qu'on peut, en la buvant, "choper "une crève définitive.


Les cimes, les bois, les ravins, sous la neige et le givre, semblent, chaque fois qu’on les contemple, des merveilles nouvelles. La neige n’est pas blanche d’un blanc immuable ; à chaque heure, à chaque instant, elle revêt une coloration nouvelle, elle est bleue, rose, mauve ; on croirait par moment qu’on a sous les pieds quelque éventail d’or ou que la neige sanglante a passé dans la cuve d’un teinturier divin.

Au coin du feu, dans l'âtre de la jasserie

Là-haut, promenades, excursions, tout abonde. De même qu’à Davos, Chamonix, ou Saint-Moritz, on peut s’y livrer à tous les sports d’hiver**. Skieurs, lugeurs, amateurs de bobs ou de toboggans venus de Lyon, de Vienne ou de Saint-Etienne, s’en donnent à cœur joie.*** "
X…

*Ce n’est pas tout à fait exact. Il est notoire que le philosophe Jean-Jacques Rousseau est venu herboriser dans le Pilat. Il passa la nuit à la jasserie. Mais il est vrai aussi que sa cueillette ne combla pas ses attentes, encore moins sa nuit à la jasserie. Enfin, ayant lu et aimé dans son enfance L’Astrée d’Urfé, il fut désireux d’aller faire un tour dans la plaine sur les bords du Lignon. Malheureusement, la description qu’une vieille femme (confondant le Lignon et le Furan) lui fit de Saint-Etienne avec ses forges et ses armuriers le rebuta.

Notons quand-même ces deux appréciations beaucoup plus stimulantes :
"Le lieu jouissait auprès des Gaulois d’une célébrité égale à celle de l’Olympe des anciens Grecs. Il est vrai que, outre les singularités et les choses remarquables qu’il possède, il est le siège de phénomènes mystérieux qu’il faut voir pour croire." ( Jean du Choul, 1555, De Monte Pylati, première description connue de ce Mont Pilat qui, il est vrai, est un lieu riche d’histoires et de légendes. Et ce n'est pas Patrick Berlier, "le druide du Pilat" qui nous contredira).

Morton Fullerton renchérissait beaucoup plus tard dans La Revue de Paris:
"J’ai compris maintenant ce que je n’avais pas soupçonné : le Mont Pilat est l’observatoire le plus central de la France, le plus ancien belvédère, sans rival parmi les bornes naturelles qui ont fixé le regard des hommes sur le sol entre le Rhin et les Pyrénées."


** Le premier concours de ski eut lieu au Bessat en 1909.

*** Si l’hiver du Pilat permet de goûter aux joies de la neige, il n’est pas loin le temps où il tuait. Quatorze ans avant la rédaction de cet article, le 29 mars 1920, un jeune homme de 25 ans, Alphonse Hassler, fut retrouvé mort de froid à quelques centaines de mètres à peine du hameau de La Roche, non loin de la jasserie. C’était pourtant un habitant du Pilat rompu aux marches d’hiver et connaissant parfaitement les lieux. Surpris dans une tempête en pleine nuit, n’a t-il pas entendu Marie-Jeanne, la cloche de la petite chapelle de la jasserie qui sonne pour les égarés ? Les sauveteurs partis à sa recherche le trouvèrent trois semaines plus tard dans son linceul blanc. De nos jours encore, scellée dans un rocher, il y a une petite croix de fer forgé qui porte ces mots sur un cœur: " Ici est mort accidentellement, le 7 mars 1920, Alphonse Hassler âgé de 25 ans, il fut retrouvé le 29 du même mois. DE PROFUNDIS"