
La Loire a donné naissance à plusieurs missionnaires qui, partis sur des mers lointaines, y sont morts de mort violente. C'est le cas de Louis-Joseph Faure, originaire de Verrières en Forez, tué en Birmanie en 1947; Jean-Louis Meyrieux, de Sorbiers, qui trouva aussi la mort près de Rangoon en 1949; Jules-Anatole Martin, décapité par les Japonais, en Birmanie aussi, en 1945. Et plus loin dans le temps Etienne Rival, né à Lorette, tué le 16 janvier 1884 au Viet-Nam en même temps que François Manissol, originaire de Saint-Romain d'Urfé. Le Stéphanois André Tamet les suivit dans la tombe trois mois plus tard, toujours au même endroit. Jean-François Georjon, né à Marlhes en 1869, fut décapité en Mandchourie le 19 juillet 1900. Jean-Louis Bonnard, né à Saint-Christo en Jarez, fut décapité le 1er mai 1852 au Tonkin occidental. Il avait 28 ans. Il fut déclaré "saint" avec plus d'une centaine d'autres martyrs du Viet-Nam en 1988 par Jean-Paul II. Jean-Baptise Epalle, enfin, trouva la mort sur l'Ile Isabelle le 16 décembre 1845. Il était originaire de Marlhes et fut prêtre de Valbenoîte à Saint-Etienne. Il avait été sacré évêque un an avant sa mort.
Si elle se passe aussi en Océanie, l'histoire contée ici n'a pas eu de dénouement aussi tragique. Encore que, nous le verrons, il s'en est fallu de peu. Cet article a été publié dans une revue catholique il y a plus de vingt ans. Nous le devons à M. René Fillon, décédé, et c'est avec l'aimable autorisation de Mme Fillon, son épouse, que nous le reproduisons presque intégralement.
Pierre Bataillon naît le 6 janvier 1810 à Saint-Cyr-les-Vignes, petit village près de Montrond et Feurs (carte postale ancienne ci-dessous). Ses parents, cultivateurs, ne sont pas riches mais ils ont une foi solide et sont heureux de voir Pierre entrer au séminaire.
Au début d'octobre, les missionnaires se retrouvent à Fourvière autour de Mgr Pompallier. Le père Bataillon, pendant la messe que célèbre l'évêque, tient dans ses mains un coeur de vermeil, où sont écrits les noms des missionnaires qui partent. Après la messe, le père Chanel prend ce coeur et l'attache au cou de la Vierge. Les missionnaires doivent attendre le 24 décembre pour s'embarquer au Havre car les vents sont contraires. Ils arrivent à Valparaison le 28 juin 1837. Ils n'en repartent que le 10 août à bord d'un brick américain, 'L'Europa". Courte escale aux îles Gambier et ils atteignent Tahiti gouvernée par la reine Pomaré sous l'inspiration du prédicant anglais Pritchard. Ils peuvent visiter l'île mais n'ont pas l'autorisation d'y enseigner.

- "Pour faire quoi ?" demande le roi.
- "Pour apprendre votre langue", répond Mgr Pompallier.
- "Je vous le permets à titre d'amis", dit le roi.
Le père Bataillon est désigné pour Wallis, ainsi que le frère Luzy. Le père Chanel s'établira à Futuna avec le frère Delorme; Mr Pompallier prendra la route de la Nouvelle-Zélande avec le père Servant. Le père Bret est mort pendant le voyage.

Le père Bataillon et le frère Luzy s'emploient à apprendre la langue et s'abstiennent de toute manifestation publique de culte. Ils s'attachent par contre à gagner l'amitié du roi. Cependant tous les sujets de Lavelua n'éprouvent pas les mêmes sentiments. Un des grands chefs pénètre, un jour, dans la case du roi où se trouvent les deux religieux et menace de les tuer. Le roi les sauve. Un autre jour, le père Bataillon est assommé à coups de baton. Il demande alors à se retirer pour un temps sur la petite île de Nukuatéa que gouverne le jeune chef Tungahala. Le père Bataillon y célèbre secrètement la messe à trois reprises. Au début de l'année 1838, il revient dans la grande île où le roi le retrouve et le loge avec plaisir.
Les deux missionnaires préparent par la prière la conversion de l'île. Ils se gagnent l'amitié des chefs par des cadeaux. L'un de ceux qui font le plus plaisir au roi est celui d'une boîte d'allumettes. Un montre à répétition excite sa curiosité. Les missionnaires, qui commencent à comprendre et à parler la langue du pays, se renseignent sur la religion. L'anthropophagie a été autrefois pratiquée; elle a disparu depuis deux générations. Les dieux sont capables d'affliger l'humanité par des fléaux; on les prie surtout pour les dissuader de le faire. Ce n'est pas parler en vain que de qualifier la Vérité de libératrice. Le père Bataillon introduit quelques principes d'hygiènes qui donnent des résultats et lui confèrent la réputation d'un grand médecin. On lui amène des malades et des mourants. Il peut en istruire et en baptiser quelques-uns; ainsi s'inaugure son ministère.
En avril 1838, il reçoit la visite du père Chanel. Ensemble, ils s'encouragent et rendent visite au chef Tungahala auquel ils remettent quelques cadeaux:
- "Parce que, répond le père Bataillon, nous aimons les peuples d'Océanie et nous voulons leur procurer le trésor de la vie éternelle." Et il instruit le jeune chef des grandes vérités de la foi: il n'y a qu'un seul Dieu qui a créé le monde et qui l'a racheté.
- "Votre religion m'attire, dit Tungahala; gagnez le roi et toute l'île est à vous."
Un jour, le roi entre dans la case du missionnaire alors qu'il y célèbre la messe. Intrigué le roi y assiste; y revient. Un premier enfant et un adulte sont baptisés. C'est l'occasion de parler de Dieu. Tungahala demande d'entendre des chants chrétiens. Les missionnaires chantent des hymnes latines et des cantiques français.

C'est à la suite d'une grande tempête, qui a fait de grands ravages, que Tungahala et les habitants de la petite île de Nukuatéa demandent au religieux de leur apprendre à pratiquer la nouvelle religion. Le missionnaire se rend dans l'île le 3 février 1839. On l'écoute avec enthousiasme. Le jour ne suffit pas; il passe une partie de ses nuits à instruire ses catéchumènes. mais, à Wallis, le roi se montre irrité de ce que les missionnaires l'ont quitté. Des chefs le poussent à les expulser sous prétexte qu'ils apportent le trouble. Un jour, en pleine assemblée des chefs, le roi ordonne aux missionnaires de prendre une pirogue et de s'en aller. Le père Bataillon trouve une embarcation et, le lendemain, se présente devant le roi: "Tu m'as retiré ton amitié; je vais dans une autre île trouver un roi qui me donnera ce que tu me refuses." Le roi cependant le retient; il reste, à la condition qu'on ne l'empêchera pas de parler de son Dieu.
Mais alors commence une série de menaces et de persécutions. On leur refuse de la nourriture et c'est une enfant, Amélie, petit-fille du roi, qui en cachette leur fait passer des aliments. Pendant une épidémie, le religieux se dévoue; les néophytes se font inscrire en nombre. Les paiens s'irritent. Pendant un voyage à Futuna, le roi, excité par un vieux chef, se rend à Nukuatéa, suivi d'une foule armée de pierres et de bâtons; il fappe un jeune chef catéchumène, en menace un autre. Le père Bataillon revient à Wallis où il apaise momentanément le roi qui persiste à vouloir empêcher l'exercice de la religion catholique. Alors, le jeune chef Tungahala et ses amis lui font part de leur intention de retirer à Futuna auprès du père Chanel.

Mais voici que la guerre éclate entre Tungahala et le Grand Guerrier soutenu par le frère du roi, Pooi. L'île est coupée en deux. Tungahala , à la tête de ses troupes, veut attaquer. "Les Chrétiens se défendent, lui dit le père Bataillon, ils n'attaquent pas." Il lui remet une bannière blanche sur laquelle figure une image de la Vierge et lui demande d'avoir confiance. Les soldats se mettent à réciter le rosaire tandis que le missionnaire s'avance, seul, devant l'ennemi, prononçant la parole à haute-voix la parole du prophète: "Exsurgat Deus et dissipentur inimici ejus" ("que Dieu se lève et que ses ennemis soient dissipés ! "). Les troupes du Grand Guerrier, qui, alors, se mettaient en mouvement sont frappées de stupeur, elles s'arrêtent immobiles. Il leur est impossible d'attaquer pendant trois jours: "Notre ventre, dirent-elles, tomba par terre." Suivi de la bannière et d'une partie des Chrétiens, le père Bataillon fait le tour de l'île, allant de village en village. L'accueil est empressé.
Le 4 novembre 1842, profitant des dispositions du roi, le père Bataillon lui fait signer un traité qui plaçait les îles Wallis sous la protection de la France, ceci à l'occasion de la visite du capitaine Mallet, commandant "L'Embuscade". Cette même année, la congrégation de la Propagande divise le vaste vicariat de l'Océanie occidentale. Mgr Pompallier garde le titre de vicaire apostolique. Le père Bataillon, nommé évêque d'Enos, devient vicaire apostolique de l'Océanie centrale. Un jeune missionnaire, Mgr Douarre, sacré par le cardinal de Bonald, lui est accordé comme coadjuteur.
Et voici que le vicaire apostolique entreprend la visite des autres îles. Il se rend à Futuna qui, après le martyre du père Chanel, n'a pas tardé à se convertir, dans l'archipel des Tonga où il laisse le père Calinon et le frère Reynaud, aux îles Fidji dont chargés les pères Roulleau et Bréhéret. Cependant, les Protestants se jurent d'extirper le catholicisme de Wallis; ils encouragent le frère du roi, Pooi, réfugié à Vavao, à mener la lutte. La guerre éclate. Il y a des morts. L'évêque est désolé. L'arrivée de "l'Arche d'Alliance" en 1846 (c'est un navire, ndlr) met fin aux hostilités. Deux autres prêtres sont envoyés aux îles Samoa. Le père Verne part pour l'île de Rotuma. La santé de Mgr Bataillon, qui est pourtant solidement bâti, ne résiste pas aux fatigues. Il lui arrive des accidents, une chute à la mer, une blessure au genou, une maladie, le "tona", couvre son corps de tumeurs; l'éléphantasias lui interdit de marcher pendant quelques mois.

Au début de l'année 1877, il entreprend la construction d'une nouvelle église pour le collège de Lano. Le 18 mars, il se sent indisposé. Le 27, il reçoit les derniers sacrements. Pour ne pas troubler son repos, le travail a cessé: "Est-ce qu'on ne travaille plus à l'église ?" demande Mgr Bataillon. On lui dit pourquoi le travail s'est arrêté: "Non, non, je veux mourir en entendant le bruit du marteau, il me fait du bien. Travaillez, mes enfants ! C'est pour le Bon Dieu."
Le père Chanel, assassiné le 28 avril 1841, a été canonisé en 1954 et est devenu le saint patron de l'Océanie catholique. Ses restes, rapportés de métropole en 1977, reposent à Futuna.
On trouve indiqué sur le site internet du vice-rectorat de Wallis et Futuna que le traité de protectorat fut en fait ratifié par le décret du 5 avril 1887, dix ans après la mort du Forézien. On y lit ceci à propos de Mgr Bataillon : "Son influence et son autorité sont telles quâil transforme Wallis en théocratie. En témoigne le code de la reine Amélia, fidèle parmi ses fidèles, prévoyant des amendes pour ceux qui manquent la messe. Mais ce code imposait aussi le respect d'une morale humaniste (amendes contre le vol, la corruption, la prostitution, les mauvais traitements aux animaux et aux épouses...)."
Le frère Marie-Nizier (Delorme), évoqué en début d'article, a fait son noviciat à Notre-Dame de l'Hermitage au temps du Père Champagnat. Jean-Claude Colin est passé par les séminaires de Saint-Jodard et Verrières.
Yannick Essertel évoque aussi d'autres Ligériens, dont il fait des Lyonnais au sens diocésain de l'époque, qui ont joué un rôle dans l'histoire de l'Océanie. Ainsi Frère Henry Verny, originaire de Bussy Albieux, débarqué en 1906 à Moso Island (Nouvelles-Hébrides) et surtout Suzanne Aubert, de Saint-Symphorien de Laye (née en 1835) Soeur Marie-Joseph en religion qui oeuvra en faveur des Maoris de Nouvelle-Zélande.