Friday, June 02, 2023

philimsc.jpg" C'est en Normandie que coule la Moselle,
Capitale Bézier et chef-lieu Toulon.
On y fait le caviar et la mortadelle
et c'est là  que mourut Philibert Besson"

Cet énorme succès de 1936 illustre le niveau de popularité alors atteint par Philibert Besson qui est connu même des cancres du lycée Papillon. N'avait-il pas à  la fin de l'année 1935 fait la une du magazine Vu, le Paris Match de l'époque. Le personnage est également ancré dans la mémoire Stéphanoise ; combien de fois les babies boomers ligériens  n'ont-ils pas entendu leurs ainés  déclarer face à  un personnage atypique et pittoresque : "Mais on dirait Philibert Besson !" La photo qui le représente ce 3 Mars 1935, juché à  trente mètre du sol sur l'horloge du marché de Chavanelle, en train d' haranguer une foule hilare et enthousiaste, est l'une des images les plus célèbres de l'iconographie de la cité. Le préfet lui avait interdit la bourse du travail pour tenir son meeting. Qu'importe, il improvise  et entre ainsi dans la légende.


" C'est peut-être à  Saint-Etienne que j'ai remporté ma plus belle victoire, devait-il déclarer au journal Vu en 1935.  J'y avais fait, une première fois, avant d'être un hors-la-loi, une réunion publique qui avait eu un immense succès. Un cortège de 30000 personnes, de l'aveu même de mes adversaires, m'avait suivi à  travers la ville, et j'avais été porté en triomphe sur deux kilomètres, depuis la place Chavanel (sic) jusqu'à  la place Jean-Jaurès. Le préfet n'avait pas digéré cette histoire, aussi quand, devenu hors-la-loi, j'annonçais ma venue à  Saint-Etienne pour une nouvelle conférence, on décida de m'empêcher d'y parler par tous les moyens. Mes affiches avaient été lacérées, et cinq ou six mille gardes mobiles et gendarmes venus de Lyon, Roanne, Montbrison, Le Puy, occupèrent les points stratégiques et les routes, avec la mission de mettre coûte que coûte la main sur moi. La réunion eut tout de même lieu, dans une maison privée et en petit comité. Comme le préfet de la Loire, tout fier, se vantait à  tout venant de m'avoir empêché de parler, et niait ma présence, mon ami Archer s'en alla lui porter, cérémonieusement, le procès-verbal de la réunion que j'avais signé ! Vous voyez sa tête ! Mais le plus fort restait à  faire. Il fallait sortir de là . Tous les cars, les automobiles, les carrioles étaient arrêtés sur toutes les routes d'accès pour vérification de papiers. Moi-même j'étais en bagnole et, à  Firminy, j'eus le plaisir d'être arrêté par un peloton de gendarmes qui vérifièrent les papiers de mon compagnon et... nous laissèrent passer. Le gendarme qui avait eu sa tête à  cinquante centimètres de la mienne ne pouvait penser que la dame un peu mûre, bien maquillée, coiffée d'un béret à  la mode, et protégée du froid par un beau renard... que cette dame était Philibert Besson en personne. De Firminy, je regagnais tranquillement ma brousse..."

L'épisode résume assez bien notre homme ; chez lui, rien n'est banal, ni sa vie, ni sa personnalité, ni bien sûr ses idées.
 

Ces deux photos ont été publiées dans Peuple tu es trahi : dans le maquis, entre une civilisation qui se perd et un ordre nouveau en voie de briser ses chaînes (Philibert Besson, 1936).

Légendes : « La police ayant fait couper les fils des hauts-parleurs, Philibert Besson grimpe sur un pylône du haut duquel il parlera aux milliers de Stéphanois venus, malgré la pluie, pour l'écouter. » « Devant 30 000 citoyens massés place Chavanelle, Philibert Besson tient son dernier meeting malgré l'interdiction de la police. Toute circulation arrêtée, il est porté en triomphe sous les acclamations à travers les principales artères de la ville, vers la place du Peuple puis vers la place Jean-Jaurès. Déposé sur les marches du kiosque, au centre de la grande place, il harangue une dernière fois la foule pour la remercier et la prier de se retirer en bon ordre. »

 
LA VIE DE PHILIBERT

Philibert Besson nait en 1898 à  Vorey, en Haute-Loire. N'ayant jamais connu son père décédé prématurément, il est élevé et choyé par sa mère, une modeste dentellière, ce qui lui vaut son surnom.  Pour les habitants de Vorey et des environs il devient en effet très rapidement "le fistou". Il fait des études selon la volonté exprimé par son père sur son lit de mort. Il intègre le lycée du Puy qu'il quitte après la première pour participer à  la guerre. Blessé sur le front italien, fait prisonnier, il s'évade, est nommé officier et rentre, décoré de la croix de guerre. Il reprend alors ses études et obtient deux diplômes d'ingénieur, dont l'un à  Grenoble ! Il intègre alors la marine marchande comme chef mécanicien, parcourt le monde en apprend cinq langues ce qu'il ne manquera pas de rappeler à  chaque occasion en même temps que sa connaissance du patois. Il séjourne un temps aux Etats unis y exerce des petits boulots et envisage même de s'y installer. Mais le mal du pays, le "languissou" le prend et il rejoint sa Haute-Loire natale. Sa carrière publique commence...

Le paysage politique du département est alors sous la coupe du tout puissant et incontournable Laurent Eynac, un ancien aviateur de la première guerre mondiale qui réussit le tour de force d'avoir été 24 fois ministre (1). Il  sait parfaitement tirer partie de sa position de radical indépendant pour servir d'appoint à  la plupart des ministères, étant  ainsi tour à  tour, le gage modéré des cabinets de gauche et la caution progressiste de ceux de droite. L'irruption dans son fief de Philibert ne pouvait qu'être explosive d'autant plus que notre trublion se mer à  battre à  plate couture les candidats par lui adoubés. Le fistou en effet, d'abord élu conseiller d'arrondissement s'empare de la mairie de Vorey avant de triompher,  à  la stupéfaction  générale, aux législatives de 1932 dans la première circonscription du Puy.

La France et l'Europe apprennent alors à  connaitre Philibert Besson qui se distingue notamment à  la tribune par ses interventions toujours surprenantes. Mais il dérange et ses adversaires sauront utiliser ses incartades pour l'abattre. Il se trouve ainsi par exemple impliqué sur le plan judiciaire pour la disparition d'une quittance qui portait d'ailleurs sur une somme  relativement faible. Pour faire bonne mesure et de manière paradoxale compte tenu de son passé militaire, il est également poursuivi pour objection de conscience. La situation du fils de Laurent Eynac, qui est le secrétaire du procureur de la République du Puy n'est peut âtre pas étrangère à  ce qu'aucuns dénoncent comme une forme d'acharnement, voire de complot(2). La procédure aboutit néanmoins et la chambre des députés vote dans une séance mémorable,  le 7 Mars 1935, la levée de son immunité parlementaire qui permet son arrestation.

C'est le départ d'une aventure qui va passionner la France.  Philibert berne en effet les policiers qui le guettent  aux portes du palais Bourbon et s'évapore ! Toutes les forces de l'ordre du pays sont mobilisées pour retrouver le fuyard ; on le voit partout, de la Belgique à  la Suisse, de St Malo à  Dijon... Son arrestation est annoncée à  Antibes, Laval, Valence...Mais il s'agit de sosies ou de plaisantins sympathisants. Des renforts considérables de gendarmerie sont dépêchés en Haute-Loire.  Leur  PC est établi à  Vorey dans la mesure où le fistou ne pourra pas manquer d'aller voir sa mère. On fouille les caves, les souterrains des châteaux, les grottes... Philibert reste introuvable. Les caricaturistes comme les chansonniers se régalent, Le Canard Enchainé s'en donne à  coeur joie ; partout des comités de soutien sont créés, celui de Saint-Etienne réunissant plus de 700 membres. Le quartier latin est aussi en pointe et chante sur l'air des lampions "c'est Philibert qu'il nous faut" ... Des épinglettes, des médailles sont frappées à  son effigie. On va jusqu'à  élire une "Miss Philibert"... Au carnaval d'Yssingeaux un gigantesque fistou en carton- pâte est trainé  dans un char tandis que les pandores affairés font mine de le chercher.

La mascarade est en fait proche de la réalité ; Philibert est tout près, dans sa Haute-Loire où il a pris le maquis, protégé par ses partisans. Il est pourtant loin de se terrer et parcourt le pays sous des déguisements multiples. Lors d'un barrage les gendarmes saluent poliment une dame d'âge mure, bien maquillée, vêtue  d'un ample manteau et qui, assise à  l'arrière du véhicule va rendre visite à  sa tante. Il s'agit bien entendu du '  premier maquisard de France ...(3) qui affectionne également et parmi d'autres, l'habit de curé. Ces dix mois de cavale sont émaillés d'anecdotes toutes aussi rocambolesques les unes que les autres. Le voila, un jour cerné en bords de Loire par les gendarmes ; il leur échappe en sautant dans le fleuve qu'il traverse dans toute sa largeur. A Craponne sa voiture est prise en chasse par un fourgon de police plus rapide ; une grange apparait soudain,  en bordure du chemin, il s'y engouffre tandis que ses poursuivants abusés poursuivent la route en scrutant l'horizon poussiéreux pour apercevoir le fugitif qui bien entendu s'est empressé de repartir dans l'autre sens.

La notoriété de Besson ne fait que croitre d'autant plus qu'il excelle à  l'entretenir ; des journalistes se faufilent jusqu'à  lui pour l'interviewer ; le peintre Favier qui a fait, voila quelque temps, le portrait   officiel du président chinois Tchang Kaï Chek, se déplace en haute Loire pour dresser celui du rebelle Vellave. La Paramount fait également le voyage des Etats Unis pour produire un film, qui sera d'ailleurs interdit, sur le personnage. Celui-ci n'a en effet pas renoncé à  la joute politique. Il ne saurait notamment se désintéresser des élections destinés à  pourvoir le mandat dont il vient d'être déchu. Certes il est inéligible ...Qu'importe il parraine à  sa place son alter ego, son ami Joseph Archer bien vite surnommé Philibert II .... "Protège le, défends le et il te sauvera. Cet homme que j'ai voulu te présenter c'est Archer. Voter pour Archer c'est voter pour ton serviteur fidèle". Telle est la conclusion de la profession de foi adressée aux électeurs ponots et qui fait mouche puisque, à  la stupéfaction générale de tout l'establishment, Archer est élu !

Le microcosme politique ainsi désavoué est alors contraint à  l'apaisement  que préconise notamment le député de la Loire et futur maire du Chambon Pétrus Faure. Finalement Philibert Besson accepte de se présenter à  la police. Dans un ultime geste de panache c'est au fonctionnaire qu'il avait floué lors de son évasion du palais Bourbon qu'il se livre. Il est très vite gracié par le président de la République et acquitté par la cour d'assises de Riom pour l'affaire des quittances. Laissant le champ libre à  Archer au Puy, Philbert se tourne vers Saint-Etienne où il se présente aux législatives de 1936 sous l'étiquette  du mouvement " capitaliste travailliste, fasciste anti doriotiste". Le recours au fascisme est souvent mal compris et il trompera même Mussolini qui lui adressera un message d'encouragement.  Rien,  bien au contraire, dans ce programme ne relève d'une quelconque idéologie totalitaire  et le mot fasciste doit être interprété notamment à  la lumière de la précision "anti Doriotiste". Le parti fasciste de l'époque est en effet le PPF de Jacques Doriot.  Par cette appellation paradoxale, Besson entend simplement surprendre, tout en illustrant un thème qui lui est cher et qui veut que les choix politiques doivent désormais relever de la méthode scientifique, ce qui rend désuet tout recours à  une quelconque idéologie. Philibert est battu à  cette élection par Antoine Pinay non sans que n'éclate un nouveau scandale ;  40000 francs lui avaient  été offerts  afin qu'il se désiste en la faveur de celui qui deviendra le célèbre petit homme au chapeau de Saint Chamond.
 
Ci-dessous: En campagne ! / photo: Assemblée Nationale

philb.jpg

Mais le rideau va bientôt tomber avec la guerre qui vient d'être déclarée. Elle est encore "drôle" en ce mois de décembre 1939 où le fistou dans le café de Vorey discute entre copains d'enfance des évènements. La propagande bat alors son plein : nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ; les chars Allemands, mais ils sont, chacun le sait, en carton et puis, de toute façon la ligne Maginot est infranchissable... Philibert réagit, apporte la contradiction, comme à  son habitude,  sans nuance.       

Le lendemain, dénoncé,  il est arrêté et condamné à  trois ans de prison pour propos défaitistes. Quelques mois plus tard les évènements lui ont donné raison. Il participe pourtant à  une mutinerie pour prendre les armes et tenter de stopper l'envahisseur. La répression est impitoyable : plus du quart des mutins vont mourir dans l'année qui suit, de faim et de mauvais traitements dans les geôles de l'Etat Français. Philibert est de ceux là  ; il a été notamment pris en grippe par un maton sadique surnommé "la chèvre" .... C'est sous ses coups qu'il meurt le 12 mars 1941 non sans avoir lancé à  son tortionnaire son célèbre anathème " VAUTOUR !" Il pesait alors 33 kilos.

SA PERSONNALITE

Trois traits émergent de cette personnalité complexe qu'il est illusoire de prétendre cerner en quelques mots. C'est d'abord une allergie viscérale à  toute forme d'autorité dès lors qu'elle est perçue comme incongrue. P. Besson sera le cauchemar de tous les préfets de la Loire comme de la Haute-Loire. Ses démêlés avec les gendarmes qui tournent parfois au pugilat, sont monnaie courante, comme ceux avec la basoche, avoués et avocats notamment. Comme Antigone il ne saurait être question pour lui de se plier à  la loi absurde d'un quelconque Créon.

Déjà  à  l'école il réussissait la performance d'être à  la fois le fort en thème binoclard, le sportif reconnu et le chahuteur impénitent. Il invente d'ailleurs un appareil lui permettant de reproduire les lignes que lui valent ses quotidiennes incartades. Plus tard, face à  ses ennemis, les "vautours",  tous les moyens seront bons.  Au premier rang émergent les compagnies électriques qui oppriment le propriétaire en investissant sans vergogne ses terres tout en lui imposant des tarifs dolosifs. Face à  ceux-ci, pas de quartier du moins tant qu'ils continueront à  bénéficier de privilèges fiscaux exorbitants. Philibert participe ainsi à  l'arrachage sauvage de leurs poteaux, à  l'image de ce que fera plus tard José Bové dans les champs de maïs transgénique.

Suivent les compagnies de chemin de fer, et pour des raisons similaires. Le fistou a de plus sous les yeux le scandale de la ligne Le Puy-Aubenas qui, avec notamment le viaduc de La Recoumène, a englouti des milliards sans avoir jamais vu passer le moindre train. Pour Philibert il ne saurait être question de cautionner ce type de gabegie d'autant plus que le projet est porté par Eynac qui ambitionne même de lui donner son nom. Dans ces conditions il se refuse à  payer ses tickets de train, voyageant les poches pleines de tickets périmés qu'il donne en pâture aux contrôleurs. Le plus souvent le préposé excédé renonce à  rechercher dans ce fatras l'introuvable titre.  Face à  la meunerie, autre charognard, on oppose le ' pain Philibert ..., vendu dans trois cents dépôts de la région parisienne pour un prix inférieur du tiers à  celui du marché. L'opération supposait, à  n'en pas douter, d'enfreindre une foultitude de règlements.

Comme candidats, Philibert est également redoutable ; il a l'habitude de s'inviter aux réunions électorales de ses adversaires et de retourner l'opinion en sa faveur, au besoin en conviant l'assistance "à  prendre un pot au bistrot voisin".... Lors d'un banquet républicain présidé par Eynac, le député du Puy surgit. Feignant de croire que l'invitation ne lui est pas parvenue, il se lance dans une diatribe contre l'incurie des PTT et l'incompétence  de leur ministre avant de monter sur la table, en prenant bien soin tout en haranguant les convives de piétiner le repas de son concurrent.

Ses réussites électorales sont loin de l'assagir. Maire de Vorey, il se refuse à  convoquer au Conseil le candidat de l'opposition, ce qui lui vaut d'être suspendu par le préfet ; il n'en a cure et continue à  siéger comme si de rien n'était. Il a d'ailleurs dissimulé les documents budgétaires si bien que rien ne peut être fait en son absence. Il s'oppose également au juge de paix, autre créature de Eynac auquel il interdit l'accès de la mairie dont il a fait changer toute les clés. Histoire certainement de mettre un peu d'animation dans le ménage du magistrat, on dépêche un émissaire auprès de son épouse pour lui demander où peut bien être son mari que les plaideurs sont censés attendre avec impatience à  l'Hôtel de ville.

A la Chambre, celui qu'on appellera parfois le député terrible, annonce la couleur dès le départ. L'une des convenances de l'étiquette, d'inspiration maçonnique, voulait ainsi que le nouveau promu s'abstienne de toute intervention pendant la première année de son mandat. Philibert prend le contre pied de cette coutume ; il s'était engagé à  être le premier à  interpeller le gouvernement, et il le fait, ce 7 Juin 1932, dans un discours au demeurant d'une excellente facture.

Plus tard il sera la hantise du président de l'assemblée. Il dépasse systématiquement son temps de parole, insensible à  toutes injonctions et il faudra parfois l'intervention des huissiers pour l'arracher à  la tribune. Même les suspensions de séance ne parviennent pas à  l'arrêter puisqu'il est capable de poursuivre son propos devant des sièges vides mais face à  un public et à  une presse interloqués.

La dimension anarchiste du personnage se double, par ailleurs, d'une fantaisie et d'un humour certains qui alimenteront sa renommée.  Son entourage est de la même veine. Voici d'abord le vieil ami  de la famille Prosper Montplot, maire de Bellevue la Montagne et qui prône la suppression du Sénat sauf dans l'hypothèse où on voudrait bien l'y élire. Il a l'habitude de terminer ses discours électoraux par cette formule percutante et frappée au coin du bon sens : '"Je ne vous ai jamais rien promis, je n'ai donc pas failli à  mes promesses ..."

Ses deux autres amis politiques ont des personnalités toute aussi pittoresques : Auguste Sabattier, natif de Brioude, qui fait fortune dans la boucherie avant de devenir un temps député et l'un des rois du tout Paris Nocturne qu'il fait découvrir au sultan du Maroc, l'un de ses intimes. Emerge surtout Archer, ingénieur de l'école des mines de ST Etienne, chevalier d'industrie et inventeur reconnu. Il a mis au point la première automitrailleuse et le canon de tranchées, adoptés par l'armée française. Il conçoit le gazogène qui connaitra le succès que l'on sait pendant la guerre ; ce génie est par ailleurs totalement loufoque ; ayant une idée toutes les minutes  il s'empresse de les noter sur tout ce qui lui tombe sous la main, notamment sur ses manches de chemise, et ses draps de lit. Même Philibert est surpris lorsqu'il le retrouve dans ses superbes bureau de Neuilly ; il y règne un froid glacial, toutes les vitres ayant été, pour d'obscures raisons enlevées. Maire de la commune bourguignonne de Cizely il proclame son indépendance  faisant installer deux de ses canons pour en défendre l'intégrité sur les marches de la mairie rebaptisée "palais gouvernemental" ...

C'est certainement Archer qui s'est le mieux défini lorsqu'il déclarait au Puy avec son épouvantable accent de Saône et Loire : "Avec Philibert vous avez envoyé un demi fou à  la Chambre, en m'élisant à  sa place vous élisez un fou complet". Mais il terminait cependant en citant Saint Paul : "Les fous seront les sages et les sages seront les fous".

Ferdinand Lope clôture en apothéose cette galerie de personnages hors norme. Même s'il ne fut jamais l'un des proches de P.Besson, il en fut toujours, avec ses cohortes, l'un des soutiens. Un peu poète, vaguement journaliste, enseignant d'un jour, l'homme est célèbre pour avoir,  jusqu'à  sa mort annoncé sa candidature à  toutes les scrutins qui lui tombent sous la main, y compris les élections américaines (4). Il hante les couloirs du palais Bourbon dont il est l'une des figures.

Lope a un programme politique, mais il se garde bien de le développer de peur qu'un concurrent ne s'en empare ! Il dispose aussi de partisans dévoués, des étudiants fêtards du quartier latin dont l'élite constitue sa garde de fer. Ceux-ci fourniront quelques indications sur le programme ' du Maitre ...sans qu'on puisse savoir toutefois s'il en avait approuvé les termes :
-    Prolongement de la rue de Rennes jusqu'à  la mer
-    Extinction du paupérisme à  partir de 21H
-    Aménagement de trottoirs roulants pour faciliter le labeur des péripatéticiennes
-    Attribution d'une pension à  la veuve du soldat inconnu.

Les lopettes, c'est ainsi qu'ils se nomment, suscitent un mouvement d'opposition dans les rangs de l'université, évidemment appelé "anti lope".. Mais les lopettes restent majoritaires grâce à  leur slogan percutant : " Le char de l'Etat a besoin de la roue d'un lope". Ils oeuvrent également pour que le nom du Maitre soit attribué a divers amphithéâtres et autres lieux de rencontre, La promotion des salles lope devenant ainsi, curieusement l'une des revendications des lopettes  L'un d'un, le jeune François Mitterrand  est alors très proche de Lope puisqu'il le destinait à  devenir le ministre des affaires étrangères de son gouvernement. Le succès politique de son disciple a peut  être estompé la peine que Ferdinand  Lope a ressentie lorsque la princesse Margaret  a curieusement dédaigné la demande en mariage qu'il lui avait adressée.

Un tel environnement  ne constitue pas nécessairement un atout politique dans une ville où l'appétence pour le burlesque et la facétie n'est pas, jusqu'à  ce jour, avérée. Aussi faut -il aller chercher dans le charisme de Philibert et dans ses qualités de communicateur la raison de ses succès et de sa popularité. Le fistou est reconnu par ses électeurs comme l'un des leurs ; il parle leur patois et ses campagnes sont novatrices. Avec sa fameuse moto, sa  pétarelle, il sillonne sa circonscription dans tous les sens. Il séduit par sa spontanéité et sa franchise et même ses défauts lui attirent des sympathies, comme ses stations au Chapeau Rouge ,la maison close du Puy, où il a, notamment, table ouverte  Et puis surtout, ce député, lui au moins,  il sait  faire rire Ses réparties et son sens de l'humour sont corrosifs. Lors de l'élection d'Archer un candidat, honnête syndicaliste apparait dangereux. Il se présente comme le défenseur de lentille ; mal lui en prend puisqu'il est laminé par cette phrase assassine du fistou : "Lui au palais Bourbon, mais ce serait la fin des haricots ..."

Philibert Besson ne saurait par contre  être réduit à  cette dimension comique et anticonformiste. Encore une fois et sur les conseils de Rabelais il faut savoir rompre l'os et sucer la substantifique moelle. Alors surgit un tout autre personnage, à  la fois Cassandre et prophète.

PHILIBERT  BESSON, TOUR A TOUR CASSANDRE ET VISIONNAIRE

Le Cassandre de la troisième République

Lorsqu'il est élu à  la chambre la grande crise économique importée d'Amérique frappe la France. Un large consensus réunit alors les élites pour y faire face ; la solution passe par l'orthodoxie en matière monétaire et une politique de rigueur sur le plan économique  Le député du Puy s'insurge contre ses remèdes qu'il estime catastrophiques. Il prône par exemple l'abandon de l'étalon or et la mise en oeuvre d'une politique de grands travaux concertée entre la France et l'Allemagne. Il est alors bien proche de conceptions keynésiennes et de la future démarche du président Roosevelt aux USA.

L'un des autres dogmes de l'époque tient dans un slogan : "l'Allemagne paiera ..." Ne doit-elle pas le faire puisqu'elle y est contrainte par le traité de Versailles ! Illusion tonne sans cesse Philibert Besson , l'Allemagne ne paiera pas, elle en est incapable.  Cette chimère fait, déclare t-il, le lit d'Hitler et conduit à  la guerre qu'il annonce pour 1939 ou 194 ... Quand à  la fameuse ligne Maginot elle ne sera qu'un leurre. Philibert Besson avait raison !

Le visionnaire prophète de l'Europe

Le projet de Besson rejoint le programme fédériste largement élaboré par Archer. Selon lui, la paix, comme la prospérité passe par la constitution de la fédération des Etats Unis d'Europe Préalablement à  la mise en place de la structure supra nationale appropriée, qui reste d'ailleurs à  définir, deux étapes sont requises : la suppression des barrières douanières et la mise en place d'une monnaie commune. Cette monnaie, à  laquelle on donne un nom- l'europa-et qui  sera basée sur un panel de valeurs incluant notamment l'heure de travail, les fédéristes vont la créer. Des billets sont imprimés, des pièces frappées et commencent à  circuler dans un réseau d'échanges qui se développe.  Des commerçants acceptent l'Europa comme à  Saint-Etienne le café Vial de la rue des Fossés. Il peut également être utilisé dans les trois cents dépôts de pain Philibert Besson tout en étant la devise officielle de la République Fédériste de Cizely. L'Europa est également reconnu, au moins à  titre de complément, par des structures plus importantes comme la fédération des coopératives laitières du Cantal  et le syndicat des concierges.  L'europa est ainsi la première monnaie du vieux continent mise en circulation. Les fédéristes , dont le programme correspond jusque dans sa chronologie aux étapes de la construction européenne, étaient bel en bien en avance de plusieurs dizaines d'années sur leur temps.

CONCLUSION

Pionnier aujourd'hui reconnu  du marché commun et de la monnaie unique Philibert Besson appartient à  l'histoire. Il reste par contre d'actualité ne serait ce que lorsqu'il dénonçait par exemple les affidés du ' veau d'or .... Cet extrait de l'un de ses tracts de la fin des années trente ne pourrait-il pas avoir été écrit aujourd'hui ? : "Les spéculations de cette finance vagabonde, boursières en Amérique ..., monétaires ces dernières années en France, en drainant là  bas vers la bourse, ici vers le coffre fort les capitaux nécessaires au peuple pour travailler, produire et pour consommer ont anéanti  en quelques années  les deux nations les plus riches du monde. Une transformation du régime capitaliste actuel s'impose..."

Mais Philibert a-t-il vraiment d'ailleurs disparu ? Certes, s'il n'est pas mort en Moselle d'une indigestion de caviar et de mortadelle, il est bien décédé en 1941 dans les cachots du régime né de la défaite. Voila qu'il ressuscite cependant dès  la fin de la guerre avec un bulletin de vote à  son nom systématiquement déposé dans le même bureau de vote de Saint-Etienne. Au milieu des années 1980 il s'évapore un temps mais resurgit bien vite lors d'élections professionnelles  d'une direction départementale du ministère des finances. De temps en temps aussi, dans le bureau de vote de La Baraillère, à  Saint-Jean Bonnefonds, le fistou vient encore manifester sa présence. Certainement  veut-il par là  nous rappeler que son utopie, comme bien d'autres, loin d'être des chimères , sont  bien souvent la vérité de demain.

Notes:

(1)    Laurent Eynac sera par exemple le dernier ministre de l'air de la troisième république dans le cabinet Paul Reynaud.
(2)    Le député communiste Jean Renaud s'exprime en ces termes à  la chambre lors du débat sur la déchéance de P.Besson : "Quand nous examinons impartialement ces faits, nous sommes conduits à  nous demander s'il n'existe pas au Puy, un clan composé de certains éléments officiels, de certains éléments du barreau, de certains magistrats, de certains hommes d'affaires ; désireux de se débarrasser de M. Besson par n'importe quel moyen...."
(3)    L'expression est de Pétrus Faure.
(4)    F. Lope meurt après avoir annoncé sa candidature à  la succession de G. Pompidou.