
Au musée de la mine de La Ricamarie, créé à l'initiative de la section locale des mineurs C.G.T., le visiteur découvre dès son arrivée un mannequin couché à plat ventre sur le sol. Après explication, il s'avère que ce paquet informe représente un pénitent emmitouflé dans de la toile de jute *. Le "pénitent", dans les trente premières années du XIXe siècle, avait pour mission d'enflammer les poches ou "nids" de grisou dans les galeries de mine avant la descente des mineurs qui allaient abattre le charbon. Cette pratique hallucinante s'explique par la lente évolution des techniques permettant d'une part l'aération (ou aérage) efficace des galeries et éviter ainsi la concentration des gaz nocifs ou détonants dont le grisou; d'autre part par celle des techniques d'éclairage.

Coup de grisou
Détail d'une gravure de J. Gauchard
Presque qu'inodore, le grisou, composé essentiellement de méthane, est un gaz de sinistre mémoire. Concentré dans le charbon, il est libéré par la main de l'homme et peut être inflammable ou détonant s'il est mélangé à l'air dans une proportion donnée et en contact avec une flamme. L'explosion c'est le coup de grisou, signalé, semble-t-il, pour la première fois à Rive-de-Gier dans les années 1780. Louis Simonin dans La vie souterraine (1857) a évoqué ainsi le fléau des mineurs : “ Il n’est pas de météore, quelque terrible qu’on le suppose, qui puisse être comparée à une inflammation de grisou. Que l’on imagine un de ces fléaux du ciel qui semblent avoir été inventés par la nature pour le châtiment des hommes, un coup de foudre, un ouragan, un cyclone, une trombe, brûlant, renversant, détruisant tout sur leur passage, et l’on sera encore au-dessous des effets que peut produire une explosion du gaz des mines. Un coup de canon chargé à la mitraille et tiré à bout portant sur une compagnie ; une poudrière prenant feu au milieu d’un corps d’artificiers ; un gazomètre éclatant dans une usine, peuvent donner à peine une idée d’une inflammation de grisou surprenant tout à coup les mineurs. ”
Il y a pire encore que le coup de grisou. C'est le coup de grisou qui entraîne le coup de poussière, c'est à dire l'auto combustion de la poussière de charbon en suspension. La flamme des lampes des mineurs était le plus souvent le détonateur. Jusqu'à l'invention de Davy, et même après, les mineurs utilisaient en effet la rave ou "crézieu stéphanois"; une lampe à huile à feu nu. Les pénitents précèdent les premiers vrais moyens d'aérage permettant la dilution ou l'évacuation des gaz, et l'utilisation effective des premières lampes de sûreté à treillis métallique.

Le Pénitent,
par José Frappa
Alphonse Meugy dans son ouvrage Historique des Mines de Rive-de-Gier (1848) décrit la manière d'opérer: " Deux ouvriers, dit canonniers, descendaient dans les travaux quelques heures avant leurs camarades, avec des habits de fortes toiles, et la tête couverte d'une espèce de capuchon. Ils avançaient à une certaine distance des fronts de taille et tandis que l'un d'eux se tenait caché dans une galerie voisine, l'autre armée d'une perche portant une mèche allumée à son extrémité, s'approchait en rampant, jusqu'à ce que la flamme de la mèche commençât à s'allonger. Alors il s'allongeait face contre terre après avoir mouillé ses vêtements et élevait la perche jusqu'au faîte de l'excavation. Il se produisait une détonation qui avait souvent pour effet de blesser grièvement le canonnier. Celui-ci était secouru par son camarade."
L'auteur précise que le pénitent percevait un salaire de 6 à 8 frs pour deux à trois heures de travail alors que le salaire de base d'un piqueur s'élevait à environ 4 frs, pour dix heures au fond. La dangerosité de la tâche explique ce traitement de faveur. En 1817, un pénitent est tué à Firminy. Les Annales de la Mine signalent aussi huit autres accidents mortels dans la Loire entre 1820 et 1835. Combien furent blessés ? On a pu entendre qu'il y avait parmi les canonniers des condamnés qui acceptaient ce travail contre une remise de peine. N'ayant trouvé aucune mention à ce propos, nous en concluons que cette assertion appartient à la légende noire de la mine.

Lampe de Davy
Illustration de Jules Férat pour Les Indes Noires

Coup de grisou
Détail d'une gravure de J. Gauchard
Presque qu'inodore, le grisou, composé essentiellement de méthane, est un gaz de sinistre mémoire. Concentré dans le charbon, il est libéré par la main de l'homme et peut être inflammable ou détonant s'il est mélangé à l'air dans une proportion donnée et en contact avec une flamme. L'explosion c'est le coup de grisou, signalé, semble-t-il, pour la première fois à Rive-de-Gier dans les années 1780. Louis Simonin dans La vie souterraine (1857) a évoqué ainsi le fléau des mineurs : “ Il n’est pas de météore, quelque terrible qu’on le suppose, qui puisse être comparée à une inflammation de grisou. Que l’on imagine un de ces fléaux du ciel qui semblent avoir été inventés par la nature pour le châtiment des hommes, un coup de foudre, un ouragan, un cyclone, une trombe, brûlant, renversant, détruisant tout sur leur passage, et l’on sera encore au-dessous des effets que peut produire une explosion du gaz des mines. Un coup de canon chargé à la mitraille et tiré à bout portant sur une compagnie ; une poudrière prenant feu au milieu d’un corps d’artificiers ; un gazomètre éclatant dans une usine, peuvent donner à peine une idée d’une inflammation de grisou surprenant tout à coup les mineurs. ”
Il y a pire encore que le coup de grisou. C'est le coup de grisou qui entraîne le coup de poussière, c'est à dire l'auto combustion de la poussière de charbon en suspension. La flamme des lampes des mineurs était le plus souvent le détonateur. Jusqu'à l'invention de Davy, et même après, les mineurs utilisaient en effet la rave ou "crézieu stéphanois"; une lampe à huile à feu nu. Les pénitents précèdent les premiers vrais moyens d'aérage permettant la dilution ou l'évacuation des gaz, et l'utilisation effective des premières lampes de sûreté à treillis métallique.

Le Pénitent,
par José Frappa
Alphonse Meugy dans son ouvrage Historique des Mines de Rive-de-Gier (1848) décrit la manière d'opérer: " Deux ouvriers, dit canonniers, descendaient dans les travaux quelques heures avant leurs camarades, avec des habits de fortes toiles, et la tête couverte d'une espèce de capuchon. Ils avançaient à une certaine distance des fronts de taille et tandis que l'un d'eux se tenait caché dans une galerie voisine, l'autre armée d'une perche portant une mèche allumée à son extrémité, s'approchait en rampant, jusqu'à ce que la flamme de la mèche commençât à s'allonger. Alors il s'allongeait face contre terre après avoir mouillé ses vêtements et élevait la perche jusqu'au faîte de l'excavation. Il se produisait une détonation qui avait souvent pour effet de blesser grièvement le canonnier. Celui-ci était secouru par son camarade."
L'auteur précise que le pénitent percevait un salaire de 6 à 8 frs pour deux à trois heures de travail alors que le salaire de base d'un piqueur s'élevait à environ 4 frs, pour dix heures au fond. La dangerosité de la tâche explique ce traitement de faveur. En 1817, un pénitent est tué à Firminy. Les Annales de la Mine signalent aussi huit autres accidents mortels dans la Loire entre 1820 et 1835. Combien furent blessés ? On a pu entendre qu'il y avait parmi les canonniers des condamnés qui acceptaient ce travail contre une remise de peine. N'ayant trouvé aucune mention à ce propos, nous en concluons que cette assertion appartient à la légende noire de la mine.

Lampe de Davy
Illustration de Jules Férat pour Les Indes Noires
Jules Verne dans Les Indes noires (1877) a consacré un long passage au pénitent:
" - En effet, monsieur James, vous êtes trop jeune, malgré vos cinquante-cinq ans, pour avoir vu cela. Mais moi, avec dix ans de plus que vous, j’ai vu fonctionner le dernier pénitent de la houillère. On l’appelait ainsi parce qu’il portait une grande robe de moine. Son nom vrai était le « fireman », l’homme du feu. A cette époque, on n’avait d’autre moyen de détruire le mauvais gaz qu’en le décomposant par de petites explosions, avant que sa légèreté l’eût amassé en trop grandes quantités dans les hauteurs des galeries. C’est pourquoi le pénitent, la face masquée, la tête encapuchonnée dans son épaisse cagoule, tout le corps étroitement serré dans sa robe de bure, allait en rampant sur le sol. Il respirait dans les basses couches, dont l’air était pur, et, de sa main droite, il promenait, en l’élevant au-dessus de sa tête, une torche enflammée. Lorsque le grisou se trouvait répandu dans l’air de manière à former un mélange détonant, l’explosion se produisait sans être funeste, et, en renouvelant souvent cette opération, on parvenait à prévenir les catastrophes. Quelquefois, le pénitent, frappé d’un coup de grisou, mourait à la peine. Un autre le remplaçait. Ce fut ainsi jusqu’au moment où la lampe de Davy fut adoptée dans toutes les houillères. Mais je connaissais le procédé, et c’est en l’employant que j’ai reconnu la présence du grisou, et, par conséquent, celle d’un nouveau gisement carbonifère dans la fosse Dochart.
Tout ce que le vieil overman avait raconté du pénitent était rigoureusement exact. C’est ainsi que l’on procédait autrefois dans les houillères pour purifier l’air des galeries."
Mais le brûlage au grisou n'interdisait pas une autre explosion au cours de la journée ! Il fut interdit par un arrêté du préfet de la Loire le 14 février 1825. Mais il ne cessa pas pour autant. En 1834, Emmanuel-Louis Gruner lui-même fit l'expérience avec un pénitent. Il l'évoque dans son Étude du bassin houiller de la Loire : " Voulant m'assurer du degré de danger qu'offrait le métier d'allumer le grisou, je fis mettre le feu au gaz, en ma présence, dans les travaux de la 13e couche de la mine de Méons, après m'être assuré que le gaz n'occupait réellement que les parties hautes des galeries. Couché à terre, je vis alors une nappe lumineuse blanche envahir toute la partie haute de la galerie et y persister sans détonation durant plusieurs secondes."
L'interdiction fut renouvelée en 1835 après d'autres accidents: "On se débarrassera du gaz carboné au moyens de ventilateurs ou de caisses en bois. La méthode de le faire détonner est en conséquence sévèrement défendue." Et renouvelée à nouveau un an plus tard, toujours après d'autres accidents ! En 1835 encore, le préfet obligea l'utilisation des lampes Davy dans toutes les mines de la Loire. L'invention du chimiste Humphry Davy, utilisée dès 1823 à Rive-de-Gier, permettait, grâce à un tamis de toile métallique, d'éviter que la flamme de la lampe n'enbrase les particules de gaz extérieures et les poussières. Elle jouait aussi un rôle d'avertisseur, comme un grisoumètre avant l’heure mais elle éclairait peu, se heurtait aux habitudes des mineurs et son coût n'incitait pas les exploitants à imposer son usage. Elle fut améliorée et perdura en France jusque dans les années 1880 quand elle fut remplacée par la lampe Marsaut.
" - En effet, monsieur James, vous êtes trop jeune, malgré vos cinquante-cinq ans, pour avoir vu cela. Mais moi, avec dix ans de plus que vous, j’ai vu fonctionner le dernier pénitent de la houillère. On l’appelait ainsi parce qu’il portait une grande robe de moine. Son nom vrai était le « fireman », l’homme du feu. A cette époque, on n’avait d’autre moyen de détruire le mauvais gaz qu’en le décomposant par de petites explosions, avant que sa légèreté l’eût amassé en trop grandes quantités dans les hauteurs des galeries. C’est pourquoi le pénitent, la face masquée, la tête encapuchonnée dans son épaisse cagoule, tout le corps étroitement serré dans sa robe de bure, allait en rampant sur le sol. Il respirait dans les basses couches, dont l’air était pur, et, de sa main droite, il promenait, en l’élevant au-dessus de sa tête, une torche enflammée. Lorsque le grisou se trouvait répandu dans l’air de manière à former un mélange détonant, l’explosion se produisait sans être funeste, et, en renouvelant souvent cette opération, on parvenait à prévenir les catastrophes. Quelquefois, le pénitent, frappé d’un coup de grisou, mourait à la peine. Un autre le remplaçait. Ce fut ainsi jusqu’au moment où la lampe de Davy fut adoptée dans toutes les houillères. Mais je connaissais le procédé, et c’est en l’employant que j’ai reconnu la présence du grisou, et, par conséquent, celle d’un nouveau gisement carbonifère dans la fosse Dochart.
Tout ce que le vieil overman avait raconté du pénitent était rigoureusement exact. C’est ainsi que l’on procédait autrefois dans les houillères pour purifier l’air des galeries."
Mais le brûlage au grisou n'interdisait pas une autre explosion au cours de la journée ! Il fut interdit par un arrêté du préfet de la Loire le 14 février 1825. Mais il ne cessa pas pour autant. En 1834, Emmanuel-Louis Gruner lui-même fit l'expérience avec un pénitent. Il l'évoque dans son Étude du bassin houiller de la Loire : " Voulant m'assurer du degré de danger qu'offrait le métier d'allumer le grisou, je fis mettre le feu au gaz, en ma présence, dans les travaux de la 13e couche de la mine de Méons, après m'être assuré que le gaz n'occupait réellement que les parties hautes des galeries. Couché à terre, je vis alors une nappe lumineuse blanche envahir toute la partie haute de la galerie et y persister sans détonation durant plusieurs secondes."

L'interdiction fut renouvelée en 1835 après d'autres accidents: "On se débarrassera du gaz carboné au moyens de ventilateurs ou de caisses en bois. La méthode de le faire détonner est en conséquence sévèrement défendue." Et renouvelée à nouveau un an plus tard, toujours après d'autres accidents ! En 1835 encore, le préfet obligea l'utilisation des lampes Davy dans toutes les mines de la Loire. L'invention du chimiste Humphry Davy, utilisée dès 1823 à Rive-de-Gier, permettait, grâce à un tamis de toile métallique, d'éviter que la flamme de la lampe n'enbrase les particules de gaz extérieures et les poussières. Elle jouait aussi un rôle d'avertisseur, comme un grisoumètre avant l’heure mais elle éclairait peu, se heurtait aux habitudes des mineurs et son coût n'incitait pas les exploitants à imposer son usage. Elle fut améliorée et perdura en France jusque dans les années 1880 quand elle fut remplacée par la lampe Marsaut.
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Le Pénitent
Un poème de Frédéric Marty,
publié dans Terre Noire (1896)
"Par un ciel d'hiver, d'où tombe, en fine pluie,
Un lourd brouillard, mêlé de fumée et de suie,
Des hommes noirs, chargés de pics, pelles et pieux,
Sont réunis, l'air morne, autour de la "fendue":
Deux fois, depuis trois jours, la journée est perdue,
La mine est grisouteuse et puante.
" Il vaut mieux
En finir tout de bon, dit l'un d'entre eux, farouche;
Qu'on descende au chantier ou, sinon, qu'on le bouche !
Et qu'on s'en aille aux champs manger de l'herbe; autant
Crever que de suer la peur à chaque instant !
Ou qu'on fasse passer ce soir un Pénitent.
C'est au tour de Pierrot !
- Il ment ! C'est sur lui-même
Que le sort est tombé, c'est à lui, cette fois,"
Dit un mineur aux traits étirés, au teint blême.
Lors, le premier, fendant le groupe et s'avançant:
"Un menteur, moi ? Tu vas me payer cette injure.
Rétracte-toi, sinon je vais, je te le jure,
Te tirer une ou deux pintes de mauvais sang !"
L'un sur l'autre aussitôt, terribles, s'élançant,
Roulèrent sur le sol:
" Hé ! trêve de discordes !
Dit, en s'interposant, le plus ancien mineur:
Si vous voulez mourir, mourez au champ d'honneur,
Mourez utilement. Qu'on apporte les cordes,
La torche et les torchons ! Vous autres, décidez
Qui des deux doit descendre, ou si vous entendez
Que l'on retire au sort.
- Pierrot ! criait un groupe,
Tandis qu'en coeur le reste de la troupe
Reprenait sourdement: pas de sort, à Pierrot !
- Donc exécute-toi, même sans tarder trop,
Pénitent, dit l'ancien."
Pénitent, c'est à dire
L'homme sacrifié d'avance au dur martyre
Du feu grisou, chargé d'aller, la torche en main,
Explorer le chantier grisouteux ou malsain;
Le condamné porteur de la flamme fatale
Qu'il devra promener partout dans le dédale
Pour l'assainir, ou pour provoquer au besoin
L'explosion de gaz qui sourd, de loin en loin,
Aux crevasses de houille, aux fissures des roches,
Gaz qui, s'accumulant en haut, forme ces "cloches"
Dont le danger est bien connu de nos mineurs.
" Viens là que je t'habille, endosse la cagoule !
Dit l'autre, qu'on nommait le Grand, l'un des meneurs du clan.
Le linge est bien mouillé. Viens qu'on t'y roule."
Et quand, du haut en bas, il fut enveloppé
D'amiante et de laine:
"Et bien ! il est huppé
Sous le grand capuchon, dans la robe de bure !
Au masque maintenant. Mais quoi ! Quelle figure
Fais-tu donc ? Mon ami Pierrot aurait-il peur ?

Fleur de charbon
J-B Galley
Or, on était aux temps heureux où, pour un livre,
Les moines guérissaient vite du mal de vivre
En hérétique; aux temps heureux des Giordano,
Des Vasili, non moindre à plaindre que Bruno,
De Spinoza proscrit et, comme Galilée,
Condamné, de par la vérité révélée;
Temps des sorciers et des Juifs pendus haut et court
Aux arbres du chemin, dans chaque carrefour,
Pour le grand agrément des multitudes viles,
Manants à la campagne ou bourgeois dans les villes,
Et bien ! le pauvre gueux qu'on menait au bûcher,
Et qui, tremblant, croyait déjà se voir lécher
Par les langues de feu de baiser diabolique,
Dut sembler moins transi que Pierrot ne l'était;
Et le Grand, de sa voix sarcastique, ajoutait:
"Et moi qui te croyais, mon cher, l'âme énergique
Dans un corps gringalet ! Tu me prouves, ma foi,
Que j'aurais eu grand tort de me battre avec toi."
Et l'ancien marmottait:
"C'est une belle tâche
Cependant, et rien n'est plus beau pour un mineur
Que d'aller sans trembler à ce poste d'honneur.
- Hé ! laissez-le, l'ancien, vous voyez: c'est un lâche !
- Lâche, glapit Pierrot, plus pâle encor, les yeux en escarboucles, moi ?
-Tu trembles comme un vieux !
Mais Pierrot se calmant:
Je tremble, triple brute,
Mais c'est pour mes enfants - j'en ai trois dans la hutte
Et ma femme...
- Elle aura vite un autre Pierrot !...
-Serais-tu celui-là ?
-Mais... je ne sais pas trop...
On se doit, il me semble, aux enfants d'un collègue.
-Tu me le jurerais ?
- Je le jure, devant eux tous, qui nous ont vus nous battre auparavant.
- Et bien ! enfants et femme, ami, je te les lègue,
Si je ne reviens pas et je te dis merci !
Car je puis à présent descendre sans soucis.
Vous verrez si j'ai peur, et je tremble, et si je crains d'aller au bout,
Jusque au bout de la taille !
Qu'on me donne le masque et la torche et je pars. "
Et, tenant d'une main ses vêtements épars,
Et de l'autre la torche, il passe tête haute
Devant ses compagnons tous muets de stupeur.
" Halte-là ! dit le Grand. Puisque tu n'as pas peur,
Moi non plus; cède-moi ton tour cette fois. Ôte ce costume.
- Jamais ! Puisque le sort des miens
Est assuré par toi, je le garde, j'y tiens.
-Jamais pour des enfants on ne remplace un père,
Et je veux épargner des larmes à leur mère:
J'ai vu pleurer la mienne, et longtemps.
Je conviens qu'on remonte souvent, mais cette fois j'estime
Que l'homme descendu va servir de victime,
Car la mine est bien prise. Or, l'ami, je suis seul,
Et j'aime autant ce drap qu'un autre pour linceul."
D'un brusque mouvement le vêtement de laine
Est arraché, tandis qu'aux regards étonnés
Des mineurs, qui n'ont rien compris à cette scène,
Le Grand rapidement les revêt à leur nez.
Et, riant, sous le masque:
"Adieu, les camarades !
Le bonjour aux amis si l'on ne se revoit.
Maintenant, au chantier: voilà trop d'embrassades !"
Et repoussant Pierrot, tête haute et corps droit,
Le géant, comme lui, marche à grande enjambée
Vers le puits meurtrier où l'on le descendit.
Et le vieux, qui veillait à la descente, dit:
"C'est du bon sang: son père est mort à la flambée !"
Deux ou trois jours après, derrière le cercueil
Que suivent, recueillis, deux cents mineurs en deuil,
Les infirmes, les vieux de tout le charbonnage,
Une femme traînait trois enfants en bas âge.
Les aînés précédaient, qui portaient en pleurant
Deux couronnes de buis, de lierre et de pensées,
Par leur mains, dans la nuit, pieusement tressées,
Où les passants lisaient dans les fleurs enlacées:
"Les enfants de Pierrot à leur sauveur, le Grand !"
Un poème de Frédéric Marty,
publié dans Terre Noire (1896)
"Par un ciel d'hiver, d'où tombe, en fine pluie,
Un lourd brouillard, mêlé de fumée et de suie,
Des hommes noirs, chargés de pics, pelles et pieux,
Sont réunis, l'air morne, autour de la "fendue":
Deux fois, depuis trois jours, la journée est perdue,
La mine est grisouteuse et puante.
" Il vaut mieux
En finir tout de bon, dit l'un d'entre eux, farouche;
Qu'on descende au chantier ou, sinon, qu'on le bouche !
Et qu'on s'en aille aux champs manger de l'herbe; autant
Crever que de suer la peur à chaque instant !
Ou qu'on fasse passer ce soir un Pénitent.
C'est au tour de Pierrot !
- Il ment ! C'est sur lui-même
Que le sort est tombé, c'est à lui, cette fois,"
Dit un mineur aux traits étirés, au teint blême.
Lors, le premier, fendant le groupe et s'avançant:
"Un menteur, moi ? Tu vas me payer cette injure.
Rétracte-toi, sinon je vais, je te le jure,
Te tirer une ou deux pintes de mauvais sang !"
L'un sur l'autre aussitôt, terribles, s'élançant,
Roulèrent sur le sol:
" Hé ! trêve de discordes !
Dit, en s'interposant, le plus ancien mineur:
Si vous voulez mourir, mourez au champ d'honneur,
Mourez utilement. Qu'on apporte les cordes,
La torche et les torchons ! Vous autres, décidez
Qui des deux doit descendre, ou si vous entendez
Que l'on retire au sort.
- Pierrot ! criait un groupe,
Tandis qu'en coeur le reste de la troupe
Reprenait sourdement: pas de sort, à Pierrot !
- Donc exécute-toi, même sans tarder trop,
Pénitent, dit l'ancien."
Pénitent, c'est à dire
L'homme sacrifié d'avance au dur martyre
Du feu grisou, chargé d'aller, la torche en main,
Explorer le chantier grisouteux ou malsain;
Le condamné porteur de la flamme fatale
Qu'il devra promener partout dans le dédale
Pour l'assainir, ou pour provoquer au besoin
L'explosion de gaz qui sourd, de loin en loin,
Aux crevasses de houille, aux fissures des roches,
Gaz qui, s'accumulant en haut, forme ces "cloches"
Dont le danger est bien connu de nos mineurs.
" Viens là que je t'habille, endosse la cagoule !
Dit l'autre, qu'on nommait le Grand, l'un des meneurs du clan.
Le linge est bien mouillé. Viens qu'on t'y roule."
Et quand, du haut en bas, il fut enveloppé
D'amiante et de laine:
"Et bien ! il est huppé
Sous le grand capuchon, dans la robe de bure !
Au masque maintenant. Mais quoi ! Quelle figure
Fais-tu donc ? Mon ami Pierrot aurait-il peur ?

Fleur de charbon
J-B Galley
Or, on était aux temps heureux où, pour un livre,
Les moines guérissaient vite du mal de vivre
En hérétique; aux temps heureux des Giordano,
Des Vasili, non moindre à plaindre que Bruno,
De Spinoza proscrit et, comme Galilée,
Condamné, de par la vérité révélée;
Temps des sorciers et des Juifs pendus haut et court
Aux arbres du chemin, dans chaque carrefour,
Pour le grand agrément des multitudes viles,
Manants à la campagne ou bourgeois dans les villes,
Et bien ! le pauvre gueux qu'on menait au bûcher,
Et qui, tremblant, croyait déjà se voir lécher
Par les langues de feu de baiser diabolique,
Dut sembler moins transi que Pierrot ne l'était;
Et le Grand, de sa voix sarcastique, ajoutait:
"Et moi qui te croyais, mon cher, l'âme énergique
Dans un corps gringalet ! Tu me prouves, ma foi,
Que j'aurais eu grand tort de me battre avec toi."
Et l'ancien marmottait:
"C'est une belle tâche
Cependant, et rien n'est plus beau pour un mineur
Que d'aller sans trembler à ce poste d'honneur.
- Hé ! laissez-le, l'ancien, vous voyez: c'est un lâche !
- Lâche, glapit Pierrot, plus pâle encor, les yeux en escarboucles, moi ?
-Tu trembles comme un vieux !
Mais Pierrot se calmant:
Je tremble, triple brute,
Mais c'est pour mes enfants - j'en ai trois dans la hutte
Et ma femme...
- Elle aura vite un autre Pierrot !...
-Serais-tu celui-là ?
-Mais... je ne sais pas trop...
On se doit, il me semble, aux enfants d'un collègue.
-Tu me le jurerais ?
- Je le jure, devant eux tous, qui nous ont vus nous battre auparavant.
- Et bien ! enfants et femme, ami, je te les lègue,
Si je ne reviens pas et je te dis merci !
Car je puis à présent descendre sans soucis.
Vous verrez si j'ai peur, et je tremble, et si je crains d'aller au bout,
Jusque au bout de la taille !
Qu'on me donne le masque et la torche et je pars. "
Et, tenant d'une main ses vêtements épars,
Et de l'autre la torche, il passe tête haute
Devant ses compagnons tous muets de stupeur.
" Halte-là ! dit le Grand. Puisque tu n'as pas peur,
Moi non plus; cède-moi ton tour cette fois. Ôte ce costume.
- Jamais ! Puisque le sort des miens
Est assuré par toi, je le garde, j'y tiens.
-Jamais pour des enfants on ne remplace un père,
Et je veux épargner des larmes à leur mère:
J'ai vu pleurer la mienne, et longtemps.
Je conviens qu'on remonte souvent, mais cette fois j'estime
Que l'homme descendu va servir de victime,
Car la mine est bien prise. Or, l'ami, je suis seul,
Et j'aime autant ce drap qu'un autre pour linceul."
D'un brusque mouvement le vêtement de laine
Est arraché, tandis qu'aux regards étonnés
Des mineurs, qui n'ont rien compris à cette scène,
Le Grand rapidement les revêt à leur nez.
Et, riant, sous le masque:
"Adieu, les camarades !
Le bonjour aux amis si l'on ne se revoit.
Maintenant, au chantier: voilà trop d'embrassades !"
Et repoussant Pierrot, tête haute et corps droit,
Le géant, comme lui, marche à grande enjambée
Vers le puits meurtrier où l'on le descendit.
Et le vieux, qui veillait à la descente, dit:
"C'est du bon sang: son père est mort à la flambée !"
Deux ou trois jours après, derrière le cercueil
Que suivent, recueillis, deux cents mineurs en deuil,
Les infirmes, les vieux de tout le charbonnage,
Une femme traînait trois enfants en bas âge.
Les aînés précédaient, qui portaient en pleurant
Deux couronnes de buis, de lierre et de pensées,
Par leur mains, dans la nuit, pieusement tressées,
Où les passants lisaient dans les fleurs enlacées:
"Les enfants de Pierrot à leur sauveur, le Grand !"

Notes:
* Le musée de La Ricamarie offre surtout une impressionnante collection d'objets de toutes sortes et la visite, en compagnie d'anciens mineurs, est passionnante. Nous les remercions, de même que le Musée de la Mine de Saint-Étienne pour nous avoir permis de consulter les ouvrages de sa bibliothèque.
Frappa, Galley et Marty étaient des artistes stéphanois.