
Au lavoir, chacune avait sa pierre lisse et sa place réservées mais il était de coutume que la plus ancienne soit en tête du lavoir pour bénéficier de l'eau la plus pure. Lieu de travail, le lavoir était aussi le coin des cancans, des éclats de rire et des chansons. A genoux dans leurs banches (caisson de bois), Jeanne, Marie et les autres lavaient et frottaient le linge des clients, celui des petits bourgeois ou de la famille de l'instituteur, ou bien encore les soutanes du curé. Elles travaillaient sans lessive mais avec de l'alcali et du savon de Marseille. Le salaire était dérisoire: un sou pour un mouchoir. Le linge était ensuite porté "au pré" pour qu'il blanchisse. Le rinçage avait lieu l'après-midi et le soir venu, le linge était étendu. Les draps surtout devaient impérativement passer la nuit dehors, sans quoi ils auraient jauni.

Les draps parfois n'étaient lavés qu'une fois l'an. C'était le jour du "buia", c'est à dire le grand nettoyage. Le linge était entassé dans de grands cuviers de terre cuite, surmonté du "charri", une grande toile de chanvre contenant de la cendre de bois faisant office de détergent. On arrosait d'eau chaude et le liquide (le "lessi") recueilli par-dessous, était chauffé et passé à nouveau. Les cendres de bois contiennent en effet du carbonate de potasse, qui, mêlé avec les corps gras, constituait une sorte de savon. Les meilleurs cendres étaient celles des arbres fruitiers, des chênes, des charmes ou de l'orme.



Le travail pouvait se faire aussi sur les berges des fleuves et des rivières. Dans certaines régions on distinguait alors les laveuses, des professionnelles qui travaillaient pour les autres, et les lavandières qui nettoyaient leur propre linge. Sur une planche en bois, agenouillées au bord du fleuve, elles savonnaient le linge. Frappé au battoir, rincé et essoré, il était ensuite étendu sur les galets de la rive pour sécher. On a pu lire aussi, chez les lavandières antillaises, une tenue de coutume au bord des rivières qui ne semble pas avoir eu cour sous nos tropiques. Mais l'image est si belle : "Elles relevaient très haut leur jupe et, afin d'avoir les bras libres, n'enfilaient pas les manches de la robe qu'elles attachaient sur le devant au niveau de la poitrine."



A Saint-Etienne, les femmes utilisaient l'eau du Furan, notamment à son entrée dans la cité, au niveau du Rez, entre la colline de Valbenoîte et l'avenue de Rochetaillée. Une buanderie fut ici la dernière dans les années 1960 à s'établir directement sur les eaux de la rivière.
Unieux, buanderie sur les bords de l'Egotay
Jean-Marius Nijak, dans un bulletin des Amis du Vieux Saint-Etienne (1994) a évoqué cette époque révolue." Des pierres lisses, posées dans l'eau claire, penchées de manière à émerger à moitié, servaient de surface de travail aux actives et bavardes laveuses. Chacune était équipée d'une caissette en bois, à trois côtés, dans laquelle elle installait un coussin avant de s'agenouiller. Les opérations étaient complexes: le linge était bouilli dans les chaudières du buandier, puis rincé plusieurs fois à l'eau froide et si nécessaire passé à l'eau javellisée, battu ensuite énergiquement à grands coups de maluche, brossé vigoureusement avec des brosses de chiendent, tordu, essoré et enfin mis au pré. L'immense prairie derrière le lavoir permettait au linge de bénéficier de l'action conjuguée de la chlorophylle et du soleil. Ah que le linge fleurait bon quand, repassé et plié avec soin, on le rangeait dans la grande armoire de noyer, avec les bouquets de lavande et de serpolet !"
C-dessous: les bords du Vizézy à Montbrison et un lavoir sur les bords de la Valcherie au Chambon-Feugerolles



A cette question, elle répond sans hésiter que "certes la machine c'est pratique mais finalement, elle ne lave pas aussi bien qu'une spécialiste." En fait, elle ne se résout pas à abandonner son lavoir et son passé. Ce n'est pas un travail mais une passion. Elle conclut en disant qu'elle a toujours lavé son linge au lavoir, qu'elle aime ça, qu'elle l'a toujours fait et que rien ne pourra la dissuader de s'arrêter.
Renaison. Les eaux du Renaison étaient appréciées des lavandières. Puis des industries textiles. "Ni calcaire, ni ferrugineuse, elle assure un lavage efficace des fils de coton (des fils simples non retors) ", souligne Violette Blanc, la bien nommée, dans un article paru dans un ouvrage collectif consacré à Roanne (2000)
Les grandes manoeuvres: bateau-lavoir à Roanne mis en service dès les années 1870 (pub pour le savon coquille)