L'Omnium Sportif Club Stéphanois (OSCS) a fêté son centenaire il y a quelques jours. Il a été fondé le 13 octobre 1913 et comprenait à l'origine trois sections: la boxe anglaise, qui a perduré jusqu'au milieu des années 40 et dont le plus célèbre représentant fut Jean Gachet, la lutte, jusqu'en 60, et les poids et haltères.
Nous ne revenons pas sur les carrières de Jean Gachet et surtout de Louis Hostin, déjà évoquées dans des articles. On retrace ici, dans les très grandes lignes, l'histoire du club, en faisant un focus sur Pierre Bugnand, cofondateur, qui aurait été sacré en 1910, en Autriche, l'homme le plus fort du monde, et auquel la revue La Culture physique avait consacré de nombreux articles.
Voici une petite biographie publiée en 1914 par A. Bourdonnay-Schweich:
« C'est, aujourd'hui, Pierre Bugnand, le sympathique leveur de poids amateur qui figure sur notre couverture. Le puissant champion stéphanois doit, en effet, être considéré comme un des hommes les plus forts qu'ait connus l'athlétisme amateur. Il vient encore de se signaler par l'accomplissement de performances de premier ordre, en dépit d'une profession extrêmement dure et d'un constant manque de temps qui lui interdit tout entraînement un peu suivi. On sait, ou on ne sait pas, que notre homme est chauffeur sur le réseau de P.-L.-M. Or, avec les monstres modernes qui ont noms Atlantic, Pacific, Consolidation, etc., etc., le métier est pénible au dernier point, pour le chauffeur tout particulièrement. Ce dernier, en effet, sur les machines faisant les rapides, [doit] pourvoir sans arrêt à l'appétit démesuré d'un brasier qui paraît sans fond ; les reins courbés, les mains crispées sur le manche de la pelle, la face cuite par la terrible chaleur, le front ruisselant, le traditionnel foulard rouge balayé par un vent étourdissant et glacial ” dangereux contraste avec l'atmosphère d'enfer qui règne quelques centimètres plus loin, constamment déplacé sur ses jambes ployées, trébuchant dans les courbes, aux prises avec les caprices d'une porte de foyer qui se ferme au moment du jet de pelle, les oreilles, enfin, broyées par un assourdissant vacarme auquel on s'habitue mal et, aussi, soucieux des signaux, qui défilent comme des flèches, tel est l'état physique et mental du chauffeur moderne, son compagnon, le mécanicien, étant tout entier occupé à la conduite du régulateur et des freins. On comprendra sans peine qu'un pareil « business» prépare mal à la levée des poids lourds, qui demande tant de recueillement et de possession de soi-même.
Eh bien, malgré cela, Bugnand, qui est un homme foncièrement fort et résistant, a trouvé moyen d'établi des performances hors ligne qui font de lui, à l'heure actuelle, et si l'on met à part Maspoli (un célèbre champion lyonnais, NDFI), probablement au rang des retraités de la fonte, l'amateur le plus fort de France. Bugnand vient, au surplus, de se distinguer d'une façon toute particulière. Il a jeté pour la première fois 140 kilos en barre à deux mains, arraché 110 kilos, ce qui est magnifique, et développé 100 kilos correctement; enfin, à une main, il a arraché à droite 89 kilos et soulevé de terre 165 kilos, ce qui battrait les records amateur et professionnel, pour ce dernier mouvement.
Pierre Bugnand est né à St-Etienne le 18 avril 1884. Il est fils unique de parents de remarquable constitution. Ses mensurations sont les suivantes : hauteur, 1m.70; poids, 92 kilos ; cou. 42: bras, 42; avant: bras, 34; cuisse, 65; mollet, 42. Du type rond et épais, la peau foncée, très brun, il donne une grande impression de force; ses « temps » sont peu marqués, son jeté facile et il excelle dans les mouvements lents. Ce sont là les caractéristiques de l'homme naturellement fort. Bugnand a d'ailleurs toujours fait impression et il nous l'exprime originalement par cette déclaration : " Dès mes premières année, j'eus toujours l'admiration de mon entourage par ma bonne venue" . Ce terme est très juste, remarquez-le.
A dix ans, le jeune Pierre bondit sur une bicyclette et s'y distingue déjà ; plus vieux, il fait de nombreuses courses, mais un jour, une "pelle" royale le guérit de cette toquade. Heureusement, pour les "Poids et Haltères ! Il a dix-neuf ans et les sports athlétiques l'attirent. Un ami, qui devait s'y connaître, voit en lui l'aptitude à faire lourd, car, nous dit Bugnand lui-même, « faire lourd primait à ce moment-là sur le véritable but de l'athlétisme ». C'est une belle réflexion pour un homme fort. I1 entre donc dans l'unique Société sportive que comptait Saint-Etienne et en fait partie quatre mois seulement. Le premier jour, - ” ceci est du plus haut intérêt” - Bugnand arrache 55 kilos à droite et jette en barre à deux mains 83 kilos 1/2. Comme début, c'était gentil. Mais, quatre mois plus tard, notre jeune champion réussit 67 kilos 1/2 à l'arraché à droite, 63 kilos à gauche, 70 kilos au développé à deux mains, 100 kilos au jeté et dévisse enfin 77 kilos à droite avec une barre très mauvaise de 34 millimètres de diamètre et à boules presque pleines. A noter, d'ailleurs, que cette barre de 77 kilos ne fut arrachée d'une main que par Bonnes en 1904 et Bugnand, lui-même, en 1911.
Salle Louis Hostin de l'Omnium, rue André Malraux
Le régiment (service militaire, NDFI) vient interrompre l'entraînement du valeureux amateur. A son retour, il prend la profession de chauffeur qui nuit énormément à sa forme. Du reste, Bugnand espère pouvoir bientôt être plus libre et se remettre alors à un entraînement suivi qui lui permettra de battre tous ses records, peut-être même de véritables records du monde. Nous le souhaitons vivement, car il est vraiment regrettable de voir des hommes de cette valeur rester jusqu'à huit mois sans toucher au moindre haltère, comme cela lui arriva en 1912. Pourtant, on se souvient sans doute du match qu'il disputa et gagna sur Duchâteau, alors champion de Paris, le 1er décembre de l'année dernière. Un second match devait avoir lieu en 1913, mais il nous faut, maintenant, en faire notre deuil. Espérons-le pour 1914.
Les maxima de Bugnand sont les suivants : Arraché à droite, 89 kilos; à gauche, 80 kilos; développé à droite, 49 kilos; à gauche, 46 kilos 1/2; jeté à droite, 97 kilos; à gauche, 90 kilos ; arraché à deux mains, 110 kilos; développé, 101 kilos; jeté en barre, 140 kilos; soulevé de terre d'une main, 165 kilos. C'est là un ensemble magnifique appelé sans doute à être encore amélioré, Bugnand songeant à battre le record du monde amateur de l'arraché à deux mains, détenu par Vasseur avec 111 kilos, depuis le 4 avril 1910. Bugnand a déjà réussi,nous l'avons dit 110 kilos. Il est donc parfaitement fondé à réalisé son dessein. Comme c'est un excellent garçon, nous le lui souhaitons de tout coeur et l'applaudirons, le cas échéant, de toutes nos forces.»
Souvenir d'un temps, celui des ancêtres où il existait de nombreux mouvements différents, à un ou deux bras, alors qu'aujourd'hui (et depuis 1972), en matière d'haltérophilie, il n'y a plus en compétition que deux mouvements: l'arraché et l'épaulé-jeté (à deux bras). La force athlétique, dans laquelle brille aujourd'hui tout particulièrement l'OSCS, comporte quant à elle trois mouvements dont une où l'athlète est en position allongée.
Un numéro de La Revue culturiste avec en photo Bugnand, champion de force poids lourds, Berthou, président de l'A.S.S., et Emile Kuntz, champion de force des poids légers aux championnats amateurs de la Loire de 1909.
Le champion en 1908. " Le 26 mars 1908, une réunion athlétique avait été organisée au siège social de l'Association Sportive de Saint-Etienne, 8, rue de Lodi. Au cours de cette fête, M. Pierre Bugnand, âgé de 24 ans, membre de l'Association Sportive de Saint-Etienne, a enlevé très correctement 181 livres au dévissé à droite. Cette merveilleuse performance, si elle avait été officiellement homologuée, battrait de 25 livres le record du monde amateur, qui appartient à M. Géranton, par 156 livres. M. Bugnand a également arraché d'une main 160 livres et jeté à deux mains 240 livres."
C'est à la veille de la Grande Guerre qu'est fondée la Fédération Française de Poids et Haltères, à laquelle s'affilia la jeune société. Celle-ci est alors située rue Dormand. Elle a déménagé plusieurs fois au cours de son histoire, pour s'installer aux bains douches de la rue du Treyve, dans la rue du Jeu de l'Arc, à nouveau rue Dormand, à la Chaléassière, à L'Etivallière et près de Bellevue, et enfin rue Malraux où sa salle porte le nom de Louis Hostin. Parmi ses nombreux présidents, citons un certain docteur Forissier, le tout premier, et Marius Martin, deux fois champion de France et 4e aux Jeux Olympiques de 1924.
Marius Martin, photo publiée en 1958 dans L'annuaire des sports
La section de culture physique naît en 1949. Deux ans plus tard est créée la section "cyclos". Elle dura six ans. Dans les années 50 et 60, les couleurs du club sont défendues, notamment, par Francis Madaule, Jean Lycakis, Louis Mialon, Guy Dos Santos, François Messana.... A l'aube des années 70, il compte environ 70 athlètes. Dans les années 70 et 80, ce sont - pour n'en citer que quelques-uns -, Jacques Fellice, Christophe Pouget, Yves Fontaney, Jean-Claude Longuet - ce dernier participe au championnat du monde junior en Italie. Le club aligna jusqu'à trois équipes d'haltérophiles mais la discipline, à partir de la deuxième moitié des années 1990, devait y marquer le pas, inexorablement, au profit de la force athlétique représentée par Justin Grizard, Axel Fintz, Fanny Brimboeuf, Cécile Courqueux, Martine Servajean, David Berthet, Rémi Allirot, Patrick Bruyas, etc.
Le palmarès récent se passe de tout commentaire. En haltérophilie, l'OSCS a glané, depuis 2002, un titre de champion Rhône-Alpes (2005), 8 titres de champion de la Loire, 4 titres de champion Rhône-Alpes vétérans et 11 titres de champion de France dans cette même catégorie, dont 6 pour Alain Belli, celui-ci ayant aussi été sacré champion d'Europe en 2003 et 2012, et terminé deux fois second. Par équipe, l'Omnium a empoché la Coupe Rhône-Alpes en 2006. En force athlétique, par équipe toujours, les Stéphanois ont terminé, depuis 1999, 8 fois à la première place de Coupe de France. Toutes catégories confondues (équipes, individuel, hommes et femmes), il a engrangé 34 titres de région, autant de nationaux et un titre international.
Pour faire court, et sans compter la moisson de 2013. Aujourd'hui, l'Omnium compte entre 120 et 130 licenciés dont une cinquantaine de compétiteurs. Il engagera quatre équipes lors de la prochaine Coupe de France de force athlétique, en décembre à Avallon (89).
__
Merci à M. Yakoubi, trésorier de l'Omnium, pour son aide.