L'entrée principale, la gigantesque porte Binet, était située sur la place de la Concorde. Le visiteur se dirigeait vers le pont Alexandre III. Flambant neuf, il relie l'esplanade des Invalides, sur l'autre rive de la Seine, et, de son côté, l'avenue, baptisée, pour cause de russophilie aigue, du nom de Nicolas II - c'est aujourd'hui l'avenue Winston Churchill. De chaque côté de celle-ci ont poussé, exprès pour l'Expo, deux grands palais, l'un plus que l'autre. Ils remplacent le vieux Palais de l'Industrie, mis à bas.
Ce dernier avait été construit pour accueillir en 1855 la première Exposition Universelle (ou Internationale) organisée en France. Parmi les milliers d'exposants des rubaniers, armuriers, verriers de la Loire. Nombre d'entre eux avaient rapporté des bords de Seine des médailles. Citons, sans distinction de récompense: Epitalon Frères, Giron Frères, Cussinel, Mollin et Vaucanson... (rubanerie); Chapelon, Escoffier, Petin-Gaudet,... (armurerie); Hutter et Cie (verrerie); Verdié, Flachon et Cie, Descreux, Jackson frères et Gerin,... (mines, construction mécanique, métallurgie), etc. Et des artistes au rang desquels Bonnassieux, Foyatier, Montagny.
Vue d'ensemble. Au premier plan,le pont Alexandre III, la porte Binet et les deux palais. L'exposition s'étend aussi sur le Trocadéro, le Champ de Mars, sur les deux quais de la Seine...
A noter tout de même que Jean-Marie Bonnassieux reçut aussi la Légion d'honneur. Originaire de Panissières, il est l'auteur de la statue monumentale de Notre-Dame de France, réalisée plus tard, qui domine la ville du Puy. Denis Foyatier, natif du village de Bussières, a réalisé notamment la statue équestre de Jeanne d'Arc à Orléans (1855). On retrouvera un troisième sculpteur originaire des Montagnes du matin, à l'exposition de 1900, en la personne de Jean-André Delorme. Natif de Saint-Agathe-en-Donzy, c'était un élève de Bonnassieux. Montagny, décédé en 1895, était un Gagat. Elève de Rude, on lui doit les deux célèbres statues, La Rubanerie et La Métallurgie, qui encadrent l'escalier de la mairie. Près d'un demi-siècle plus tard, le Grand Palais est dédié aux Beaux-Arts (peinture, sculpture...). Il accueille trois expositions:
- dispersée dans 25 salles, la centennale qui est une grande rétrospective de la production artistique française depuis le Ier Empire. Corot, Delacroix, Chassériau, Ingres, Manet, Daumier, Daubigny, Seurat, Sisley, David,... sont exposés.
- l'exposition décennale couvrant la période de 1889 (date de la dernière exposition de Paris) à 1900,
- les oeuvres des sections étrangères.
Le Petit Palais, lui, propose une grande rétrospective de ce qu'on appellerait aujourd'hui les métiers d'art: travail des métaux, des ivoires, la poterie, les émaux, le bois, la porcelaine ou encore la dentelle.
De nombreux musées, des collectionneurs, des églises ont apporté leur concours à l'exposition centennale et à celle du Petit Palais. On lit dans les Annales de 1900 de la Société impériale d'agriculture, industrie, sciences, arts et belles-lettres du département de la Loire que le musée de Saint-Etienne exposa plusieurs peintures dont une de Detaille: Les victimes du devoir. Et d'autres d'Hippolyte Flandrin, de Gabriel Tyr, Maignan, etc. Gabriel Tyr (1817 - 1868) était déjà présent à l'Expo de 1855 avec sa toile L'Ange gardien.
Du musée d'artillerie (actuel Musée d'Art et d'Industrie) furent expédiés deux coffres des XVe et XVIe siècles, deux morions (casque du XVIe siècle), une arquebuse du XVIe siècle. Roanne envoya une statuette de Saint-Antoine, faïence de Nevers (1712), deux hallebardes et une poire à poudre. Le Catalogue officiel illustré de l'exposition rétrospective de l'art français cite aussi un panneau des stalles du Choeur de l'abbaye de La Bénisson Dieu, divers guttus, urnes et vases. Et une grande plaque faîtière en plomb du XVIe siècle.
Visite au Petit Palais
A l'exposition décennale, plusieurs peintres foréziens, ayant travaillé en Forez ou dont certaines oeuvres sont conservées dans la Loire,auraient exposé. La Société impériale d'agriculture, industrie, sciences, arts et belles-lettres de la Loire, toujours elle, cite Beauverie (Soleil couchant et Les saltimbanques à la foire de la Bouteresse), Chabal- Dussurgey de Charlieu, Charnay (Retour de chasse), Noirot (Lever de lune à Saint-Maurice sur Loire), Flandrin, Vuillefroy, Gagliardini, Firmin Girard, Japy (Lever de lune près de Feurs), José Frappa (La signature du Concordat).
Le tableau de Beauverie Les saltimbanques à la foire de la Bouteresse est exposé au Musée de Feurs. Charles Beauverie est décédé à Poncins en 1923.
De tous ces artistes, on ne trouve la photographie que d'une seule toile - et ce n'est pas la meilleure, celle du Stéphanois José Frappa (1854 - 1904) dans L'Exposition universelle de 1900, catalogue officiel illustré de l'exposition décennale.
Albert Maignan présenta les aquarelles des modèles de La Soie et La Houille, tapisseries des Gobelins destinées à la décoration de la Chambre de Commerce - c'est à dire l'actuelle Maison des Avocats où elles se trouvent toujours. Des oeuvres des sculpteurs Delorme (Désespoir, plâtre), Picaud (Jeune fille au tombeau, plâtre) et Vermare (Le Giotto, marbre) furent aussi exposées.
La maison natale de Jean-André Delorme se trouve toujours dans son petit village natal. Il a notamment réalisé la statue de Boileau, à l'hôtel de Ville de Paris (1882). Quant à Charles-Louis Picaud, s'il était Lyonnais, c'est à Roanne qu'il s'est éteint en 1919. Il a donné à Roanne la sculpture assez célèbre des Pauvres Gens. Il a sculpté aussi l'allégorie de La Loire, ou La vague, représentée par une jeune femme qui folâtre dans les flots au pied de l'escalier d'honneur de la Préfecture, à Saint-Etienne. Pierre-Adrien Chabal-Dussurgey est décédé à Nice, croyons-nous, un ou deux ans après l'Exposition. Armand Charnay était comme lui originaire de Charlieu. Il est décédé en 1916, emportant dans la tombe sa Légion d'Honneur...

Dans ses Annales, la Société, qui regrette au passage le Palais de l'Industrie et qui insinue que plus d'oeuvres foréziennes auraient pu figurer à l'Expo, félicite en particulier Emile Noirot (1853-1924) pour un "grand et admirable panneau décoratif" représentant Roanne avec, de chaque côté, d'autres sites foréziens illustrés par M. Barbier. " Le tout était destiné à orner le haut du grand escalier qui donnait accès à l'exposition des tisseurs roannais."
On lit encore- rappelons que nous sommes l'année de l'exposition Universelle - un passage intéressant à propos de Jean-Paul Laurens. Le président de la Société des Artistes Français n'avait alors pas grand chose à voir avec notre département, si ce n'est qu'il était passé chez nous en 1897 et qu'une scène l'avait frappé. " Après avoir fait la course habituelle qui consiste à se diriger vers le barrage de Rochetaillée pour en revenir par Terrenoire, son attention fut attirée par un coucher de soleil lugubre avec des fumées noires, des feux de fours à coke, une forêt de cheminées, un puit de mine d'où sortait une escouade de mineurs, etc." Et la Société d'Agriculture etc., d'expliquer que l'artiste avait fait un premier croquis et qu'il "exprimait récemment son désir de revoir notre pays et cette scène qu'il avait à peine aperçue". Le tableau de grande dimension la représentant, nommé Le peuple de Saint-Etienne, se trouve aujourd'hui dans la salle des fêtes de la Préfecture.
On s'attendait à trouver quelques informations complémentaires sur les oeuvres exposées dans Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire. Mais le quotidien préféra s'attarder, à peine, sur le Salon des Artistes Français. En effet, le traditionnel Salon eut lieu comme chaque année, en marge de l'Exposition. Organisé dans le Palais de l'Industrie, il déménagea à Grenelle et souffrit beaucoup de la concurrence de l'exposition décennale. Le Mémorial: " Tous ces visiteurs sont d'ailleurs unanimes à déclarer que cette année le Salon est beaucoup moins intéressant que par le passé et qu'il contient fort peu d'oeuvres véritablement supérieures. Faut-il croire que nos grands peintres et nos grands sculpteurs, les artistes illustres, les chers maîtres se sont réservés pour l'exposition décennale (...) ou faut-il admettre que, par une coïncidence facheuse, la production générale s'est trouvée cette année de qualité inférieure comme il arrive parfois que la récolte des pommes de terre ne vaut pas la récolte précédente." Le journal citait parmi les exposants foréziens Joseph Lamberton, Alexandre Séon, Mme Cayron-Vasselon...
Le visiteur, après s'être gorgé d'oeuvres d'art, pouvait aller prendre l'air sur le pont Alexandre III. Il porte le nom de l'Empereur de Russie décédé six ans plus tôt, auquel succéda son fils Nicolas II. On a déjà écrit qu'à l'aube du XXe siècle, la France, isolée sur la scène internationale, battue par la Prusse trente ans plus tôt, humiliée il y a peu lors de l'affaire de Fachoda, était allée chercher l'alliance de la Russie. Alexandre avait signé et Nicolas posé la première pierre. Le pont fut inauguré en même temps que l'Exposition par le président Emile Loubet. Ce que l'on sait moins, c'est que plusieurs entreprises fabriquèrent les voussoirs formant la quinzaine d'arcs de la structure porteuse, et parmi elles les Forges et Aciéries de Firminy (deux arcs) et celles de la Marine et des Chemins de fer de Saint-Chamond (quatre arcs).
La Société Anonyme des Aciéries et Forges de Firminy avait été créée en 1867, succédant à la Société F.-F. Verdié et Cie, établie elle-même en 1854. Elle employait vers 1900 environ 2200 ouvriers. Ses fabrications étaient variées: toutes sortes d'acier, pièces de forge, enclumes, cordes de pianos, etc. La Compagnie des Hauts Fourneaux, Forges et Aciéries de la Marine et des Chemins de Fer trouve son origine dans les établissements métallurgiques fondés par MM. Pétin et Gaudet de 1837 à 1854, année où elle prit sa nouvelle dénomination par la fusion de plusieurs sociétés. Appelée plus tard Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et d'Homécourt, elle possédait à l'époque qui nous intéresse, hormis l'usine de Saint-Chamond, des établissements à Assailly, Rive de Gier, Givors et au Boucau (Basses-Pyrénées). Elle employait environ 6000 ouvriers rien que dans la Loire dont la moitié à Saint-Chamond et possédait des forêts et des mines de fer en sardaigne et des mines de houille (Unieux et Fraisses). Elle fabriquait sur ses différents sites de grosses pièces de forge, des moulages d'acier, tôles et matériels de guerre: blindages, tourelles et coupoles cuirassées.
Atelier de montage des tourelles à Saint-Chamond
Le Mémorial, dans son numéro du 25 août 1900, consacre un long article sur les pièces qu'elle expose à Paris, en précisant qu'il faudrait plusieurs numéros de ce journal pour reproduire le catalogue des objets exposés. Parmi les pièces les plus remarquables, il y a un lingot d'acier de 100 tonnes employé pour les canons de la marine; un tube de canon de 305 pour la marine (26600 kilos); un tube pour canon de 320, usiné mais non fini (8300 kilos); de nombreuses plaques de blindage, anciennes et nouvelles; des aciers fondus au creuset à Assailly; des ressorts de suspension pour locomotives; des obus de rupture de différents calibres... Ainsi qu'une tourelle qui peut être visitée et qui enthousiasme un autre journal local, Le Stéphanois (édition du 26 juin 1900): " L'exposition de l'artillerie de bord et de côte est extrêmement intéressante ; il y a là une tourelle qui sort des Forges et Aciéries de la marine, à Saint-Chamond, qu'il faut visiter dans tous ses détails. Cette tourelle, qui peut être établie à bord des vaisseaux ou à terre dans les batteries de côte, est disposée pour recevoir deux pièces jumelles de 305 mm., de cinquante tonnes chacune. Ces canons, qui ont une longueur de 44 calibres, sont du système Darmancier et Dalzon ; grâce à une disposition particulière, la manoeuvre de culasse peut se faire avec une extrême rapidité, sans nuire au fonctionnement des appareils de sûreté destinés à prévenir les accidents provenant des ratés ou des prises de feu prématurées. La mise de feu est électrique et à percussion ; on peut, suivant le cas, utiliser l'une ou l'autre. L'affût qui est des plus simples, est muni d'une puissance telle, que le recul de cette masse énorme n'excède pas 80 cm. La mise en batterie s'effectue automatiquement.Des canons comme ceux-ci peuvent tirer jusqu'à six cents coups à charge de combat, sans perdre de leur précision. L'usure d'un canon dépend de la qualité du métal employé et de la façon dont il a été usiné ; or, il faut le dire bien haut ici, ce sont les usines françaises qui tiennent le premier rang dans celte industrie. Des pièces de 155 mm ont été poussées jusqu'à deux mille coups sans déformation appréciable de l'âme. Cette expérience, très coûteuse, a pu cependant être faite en profitant de circonstances favorables. L'Etat ayant commandé, à Saint-Chamond, deux mille freins qui devaient être éprouvés chacun par trois coups tirés à charge de combat, on se servit pour ces épreuves de trois pièces de 155 mm., qui tirèrent chacune deux mille coups, après lesquels on ne constata aucune altération du métal. C'est un beau résultat."
Darmancier, dont il est question dans l'article, était ingénieur du service de l'Artillerie et des Cuirassements aux Aciéries de la Marine. Dalzon était son collaborateur. En 1897, il signa un chapitre de l'ouvrage La Loire Industrielle, publié par la Chambre de Commerce. Son président était alors Adrien de Montgolfier. C'était aussi le directeur de la Compagnie. C'est lui qui introduisit en 1884 dans la Loire la construction d'ouvrages cuirassés: casemates, tourelles, etc.
Matériel de campagne de 75 mm. léger à tir rapide, fabriqué par les Aciéries de Saint-Chamond et exposé à Paris
Fermeture de culasse pour canon de 21 centimètres (Saint-Chamond)
Aux côtés de Hotchkiss ou Schneider, un autre exposant de matériels de guerre de la Loire était présent à Paris. On le sait grâce aux Rapports du Jury International, groupe XVIII (Armées de terre et de mer), classe 116 (armement et matériel d'artillerie). Lequel Jury décerna 33 grands prix, 25 médailles d'or, 29 d'argent...Il s'agit des établissements Brunon et Vallette de Rive-de-Gier, créés en 1832, qui exposèrent des tubes étirés sans soudure, des obus divers et des pièces d' affûts et de caissons. A noter encore que les Aciéries de Saint-Chamond étaient aussi représentées par son service des armes portatives qui fabriquait des fusils et carabines brevetées Daudeteau. La société Le Nickel exposant des produits des usines où elle traite les minerais de nickel et cobalt, divers objets furent présentés en provenance d'Unieux (Jacob Holtzer et Cie), de la Compagnie des Forges et Aciéries de Saint-Etienne ou encore des établissements Claudinon (Le Chambon).
Une autre grande industrie stéphanoise était représentée à l'Exposition Universelle. On veut parler bien sûr de la Rubanerie. 25 rubaniers exposaient à Paris, réunis dans la classe 83, au sein du groupe XIII comprenant les fils, tissus et vêtements. L'exposition se tenait dans un des palais situés sur le Champ de Mars (dédié aux sciences et techniques), en l'occurrence celui entre le Palais des Mines et de la Métallurgie et le Palais de la Mécanique.Soit trois de plus qu'en 1889, d'après La Revue Forézienne Illustrée. Dans son numéro de juin 1900, elle donne leurs noms: MM. Barlet, Albert Bélinac, Béraud et Chenouf, J.-B. Bernard, Boudarel et Chavanon, Brossy et Balouzet, Camille Brun, Brunon-Duplanil et Cie, Chillet et Collonges, Chorel et Escorbia, Colcombet et Cie, J.-B. David, Décot. J.-B. Dumas, Epitalon Frères, Forest et Cie, Fraisse, merley et Cie, Gauthier (Antoine), Giron Frères, Gotard et Décot, Marcoux et Châteauneuf, J. Montagny, Neyret Frères, Peyret et Larcher, Serre et Cie, Pierre Staron et Meyer, Troyet, Varagnat et Garde.Rappelons en quelques chiffres l'importance à l'époque de la rubanerie dans l'économie stéphanoise. Ce sont ceux cités par Lucien Thiollier dans l'ouvrage La Loire Industrielle, déjà mentionné (1897): 16 740 métiers à tisser à Saint-Etienne, tous confondus (à bras, mécanique aux fabricants et chefs d'ateliers) et 6 286 dans le reste de la Loire. Il y avait à l'époque à Saint-Etienne, note l'auteur, environ 170 fabricants de rubans "possédant un goût et des connaissances techniques remarquables". Dont Charles Rebour, décédé il y a peu.
A l'Exposition, la classe 83 était divisée en trois sections: celle de Lyon, Paris et Saint-Etienne. Le Mémorial, dans son édition du 18 mai, écrit: " Ah ! les jolis rubans et avec quelle admiration les contemplent les rares visiteurs que le hasard amène dans cette partie des palais du Champ de Mars...." C'est que les vitrines de l'exposition lyonnaise sont pour la plupart encore vides. Ce qui nuit à l'exposition stéphanoise qui, elle, est prête. Les visiteurs "ressortent donc sans avoir rien vu, persuadés qu'il n'y a rien à voir".
" J'ai voulu savoir à quelle époque l'exposition de Saint-Etienne serait inaugurée.
- Mais d'abord, Monsieur, m'a-t-on répondu, nous ignorons si elle sera inaugurée, ou plutôt si il y aura une cérémonie d'inauguration.
- Pourquoi donc n'y en aurait-il pas ? ai-je demandé.
- Parce que l'exposition de Saint-Etienne fait en quelque sorte corps avec celle de Lyon, quoiqu'elle se trouve dans une salle à côté..."
Il y eut bien une inauguration, bâclée, relatée dans le journal du 30 mai. Le quotidien regrette d'abord la situation du pavillon, qui semble privilégiée mais qui offre en fait plus d'inconvénients que d'avantages: " Les visiteurs qui viennent par l'avenue de La Bourdonnais ou par l'Avenue Rapp, ceux qu'amènent le chemin de fer électrique ou le trottoir roulant trouvent une grande porte. Ils entrent. Ils se trouvent aussitôt dans un immense salon, tout autour duquel ils aperçoivent des vitrines emplies d'écheveaux et de bobines de soie; ils jettent un coup d'oeil indifférent si même ils ne passent pas sans regarder, ne voyant qu'une chose, la porte située juste en face et de l'autre côté de laquelle ils devinent les jardins du Champ de Mars. Ils passent donc en coup de vent... Pour les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des visiteurs, la classe 83 n'est qu'un passage, une espèce de large couloir destiné à leur permettre d'aller de la porte Rapp au Champ de Mars..." Et le reporter devient de plus en plus amer: " Les soieries de Lyon et de Saint-Etienne se couvriront de gloires. En attendant, elles se couvrent surtout de poussières..."
C'est Alexandre Millerand, Ministre du Commerce, de l'Industrie et des Postes et Télégraphes qui inaugura en vitesse le groupe XIII. " Les Lyonnais et les Stéphanois ne sont pas contents, et cela se conçoit sans peine, de cette inauguration faite à l'improviste et qui, - ce n'est, je l'espère, qu'une simple apparence, ressemble à un escamotage." Toujours d'après le Mémorial, la Fabrique stéphanoise n'était représentée que par deux membres: le président de la Chambre de Commerce, M. Gauthier (sic) et un Monsieur Brossy. Il s'agit de Clément Brossy, fabricant de rubans et président de l'union des chambres syndicales, élevé au rang de chevalier de la Légion d'honneur pendant l'Exposition. Le journal commet une erreur concernant M. Gauthier. Il s'agit d'Antoine Gauthier, vice-président de la Chambre, et non son président. Celui-ci aussi sera promu dans l'ordre de la Légion d'honneur cette même année, devenant pour sa part Officier. Il était lors de l'Exposition le responsable du Comité de la rubanerie local. Des Comités locaux, en effet, s'étaient formés dans chaque département et dans chaque branche des industries. Dans la Loire, celui de l'armurerie était dirigé par Jean Gaucher, fabricant d'armes; celui des mines et de la métallurgie par Villiers et Cholat. Le président de la Chambre de Commerce, M. de Montgolfier, dirigeait l'ensemble.
Vue du Champ de Mars au moment de l'Exposition
La Revue Forézienne également, faisait part de sa déception:" L'exposition des Stéphanois serait d'un effet superbe si - et c'est ce "si" qui me désole - elle n'était placée dans un cadre trop sombre, ce qui diminue considérablement son effet." Et l'auteur, Petrus Dorel, d'ajouter: " Bref, je crois pouvoir dire, qu'on me pardonne le calembour, que les Lyonnais ont relégué les Stéphanois, s'adjugeant la part du Lyon."
Il passe en revue chacune des vitrines. Signalons au passage que c'est Lamaizière, l'architecte de la Chambre de Commerce (la maison des avocats) qui fit exécuter les travaux d'installation matérielle de l'exposition. C'était déjà le cas en 1889. Varagnat et Garde en particulier, "se sont particulièrement distingués. Il y a là de magnifiques choses" dont un ruban mesurant 2 mètres 50 de dessin, sur 40 cm de largeur, représentant une floraison de tulipes en des teintes très douces. Il est signé Ferdinand Garde. Il mentionne encore un portrait du pape Léon XIII (célèbre pour son encyclique sociale) et un autre du président Emile Loubet. Ce portrait tissé lui a été offert lors de l'inauguration. J.-B. Bernard expose "de très beaux ombrés réunis en des choux très coquets", MM. Boudarel et Chavanon des façonnés couleurs, mossouls, rubans tricolores, espagnols,... et Neyret Frères des représentations de fameux tableaux: Jehanne d'Arc écoutant ses voix de Lemotte ou Maria Virgo, d'après Lacaille.
" Flora, d'après E. Sonrel, m'a particulièrement charmé, écrit le reporter. Une jeune fille tient d'une main un rameau d'églantier, tandis qu'une colombe vient se poser sur l'autre main levée au ciel. Un mignon chérubin, chargé d'une moisson abondante de fleurs, précède la jeune fille comme pour lui montrer le chemin qu'elle doit suivre dans un parterre de fleurs et de gazon."
Staron et Meyer exposèrent notamment des reproductions de la porte monumentale de l'Exposition, réalisée par René Binet.
La plupart des exposants furent distingués. Les grands prix furent décernés à Colcombet et Cie, Giron Frères, J.-B. David, Troyet et Cie, Epitalon Frères, Décot et Cie et J. Forest. Neuf reçurent des médailles d'or dont Varagnat et Garde, Neyret Frères et Fraisse-Merley. Boudarel fils et Chavanon, et Montagny, se contentèrent du bronze. Pour en savoir plus sur les récompenses décernées, il faut se reporter, en plus du Mémorial qui en donna des listes parcellaires, à l'ouvrage de Gras Les industries stéphanoises aux expositions. Publié en 1904, à la veille de l'Exposition de Saint-Etienne, il relate dans les grandes lignes la participation locale à toutes les expositions depuis 1802. D'après l'auteur, les exposants de la Loire, toutes catégories confondues, raflèrent au total 36 grands prix, 96 médailles d'or, 157 d'argent, 139 de bronze et 47 mentions honorables.
Trois des grands prix furent décernés aux Aciéries de Saint-Etienne, de Saint-Chamond et Firminy dans la classe 29 relative aux modèles, plans et dessins de travaux publics. Les Aciéries de Firminy décrochèrent un autre grand prix dans la classe 17 des instruments de musique pour ses cordes d'acier pour piano, et un autre encore dans la classe 64 (grosse métallurgie). De même d'ailleurs que ses consoeurs de Saint-Etienne et Saint-Chamond et pour ne citer que les distinctions les plus élevées. Dans la petite métallurgie, l'or fut décerné à Dorian-Holtzer Jackson et Cie et Mermier et Cie.
De nombreux armuriers stéphanois, on s'en doute, présentaient aussi leurs productions. Ils étaient au nombre de 23 sur un total de 174 exposants, toutes nationalités confondues. Deux Stéphanois étaient d'ailleurs membres du jury et exposaient donc hors concours: Joannès Verney-Carron et Joseph Ronchard-Cizeron. Joseph Ronchard-Cizeron dont le jury loue l'exposition de canons, "absolument remarquable", et salue la mémoire.
Ses rapports ( publiés en 1902) indiquent que les fabricants d'armes étaient réunis dans un palais du Champs de Mars, le Palais des Forêts, et qu'elle était divisée en trois parties distinctes:
-les fabricants d'armes de Saint-Etienne et de province,
-l'exposition rétrospective (avec l'aide notamment du musée de Saint-Etienne)
-les fabricants d'armes et articles de chasse de Paris et artificiers, etc.
Disposition des stands stéphanois (Armurerie)
14 grands prix furent décernés, toutes nations confondues. Trois d'entre eux ont distingué l'industrie stéphanoise:
- La société Didier Drevet et Fils (canonniers): " Leurs divers types de canons en damas et en acier avec les différents genres de bandes et d'assemblage réalisaient une irréprochable perfection", relève le Jury.
- L'Ecole d'Armurerie: il s'agit en fait d'un grand prix collectif décerné aux sections d'armurerie, complémentaires, de deux écoles distinctes: l'Ecole pratique d'industrie et l'Ecole Régionale des Arts Industriels. L'Ecole pratique d'industrie (de garçons) a été fondée en 1882 (celle des filles en 1897) et installée d'abord, pendant trois ans, rue Saint-Denis - l'actuelle rue Michelet. Sept professions y étaient enseignées : armurerie, tissage, modelage, sculpture, menuiserie, forgeage, tournage des métaux et ajustage. 300 garçons environ y étaient formés vers 1900. L'Ecole Régionale des Arts Industriels est l'ancêtre de l'actuelle Ecole Supérieure d'Art et Design. Elle était dirigée au moment de l'Exposition par M. Dablin et formait notamment des graveurs, ciseleurs et incrusteurs sur armes de luxe. "Les résultats obtenus dans ces deux écoles sont des plus remarquables, particulièrement en ce qui concerne la décoration de l'arme", note le jury.
- L'exposition collective de Saint-Etienne: elle réunissait des fabricants d'armes fines, des maisons qui produisent en grande quantité, d'autres qui ont établi le travail mécanique dans leurs ateliers,... Ici le Jury regretta " soit que le principe de la collectivité n'ait pas été uniformément adopté pour la fabrique de Saint-Etienne tout entière, soit que les expositions particulières n'aient pas été la règle uniforme" "Les mérites de ces divers fabricants ne sont assurément pas de même degré", notait-il.
Trois fabricants stéphanois enfin, Darne, Durif, Mimard et Blachon (pour leur carabine "Buffalo" notamment), reçurent l'or. 15 médailles d'or au total ont été décernées à la France. Brun-Latrige reçut l'argent en particulier pour un modèle de pistolet de poche à répétition. On lit dans Le Mémorial un certain nombre d'autres décorations décernées à des Ligériens. Concernant les Mines (matériels, procédés et produits): le comité des houillères de la Loire (or); MM. Perrin (Houillères de Saint-Etienne), Pequet et Devun des Mines de la Loire et Demortier et Vefour des Ateliers Biétrix (argent). A l'échelon de bronze, Louis Bonicel (Mines de Montrambert) et encore les Ateliers Biétrix. Un Mr Lagoutte, maître cordonnier au 38e Régiment de Ligne, a reçu l'argent. On lit encore mention de la Maison Dumas, distinguée pour ses tissus élastiques et d'un Mr Joannès Jinot, récompensé pour sa Junipérine et sa citronnelle blanche. Cette récompense de bronze étant, souligne le journal, "la plus haute récompense que pouvait obtenir cette maison qui exposait pour la première fois".
Sises toutes deux à Saint-Etienne, une Société d'Etudes Economiques de la Loire et une Maison Saint-François Régis ont également reçu l'argent. L'ami Gras signale encore la verrerie de l'établissement des eaux minérales de Saint-Galmier; les Mines de Roche-la-Molière et Firminy pour leurs sociétés de prévoyance et la source Parot de Saint-Romain-le-Puy.