Sunday, December 03, 2023

veciomscPaul de Vivie, dit Vélocio (notice)

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De Pernes à  Saint-Etienne

Paul de Vivie voit le jour le 29 avril 1853 au relais de poste de Pernes (Vaucluse).  Il appartient par son père, Edmond de Vivie de Régie, Maître des Postes, à  une vieille famille noble de Gascogne. Sa mère, Marthe Roman, était Arlésienne. La famille quitte rapidement ce gros bourg provençal pour Digne (Basses-Alpes), où son père exerce alors le métier de conducteur de diligence. Sa mère y décède d'une pleurésie le 2 février 1858. La famille habite ensuite à  Tarascon mais le petit Paul, d'une santé fragile, vit une année au hameau de Saint-Pierre, près de Martigues où l'abbé Valet, un parent, l'initie au grec et au latin. En 1865, son père se remarie avec Rosalie Ursule Raoux; ce qui entraîne un nouveau changement de domicile, à  Meyzieu dans l'Isère, proche de Lyon où Paul suit des études à  l'institution Lachassagne (cours de la Faculté de Lyon). En 1871, à  l'âge de dix-huit ans, il intègre une maison de soierie lyonnaise. A côté de son métier, qui ne le passionne guère, il poursuit ses études, lit beaucoup et s'essaie à  la poésie. Dès 1875, ses employeurs lui confient une mission à  Saint-Etienne. Il s'y installe et fonde une famille. En 1876, il avait épousé une jeune Lyonnaise: Laurence Burnoud. Trois ans plus tard naît un premier enfant, prénommé Edmond. Le couple habite alors sur le cours Jovin Bouchard. Il déménage ensuite pour habiter un immeuble de la rue Brossard, puis à  nouveau pour vivre rue de la Bourse. Mais c'est à  Lyon qu'un deuxième enfant, Marthe Marie Magdeleine, vit le jour en 1881. Tombée malade, la fillette décède moins de deux ans plus tard. Une autre fille devait naître; pour s'éteindre aussi quelques mois plus tard.

Paul de Vivie et un de ses "carrosses". Pour l'anecdote, sa première bicyclette (1886) fut une Rover, de J.K. Starley

Le Club des Cyclistes Stéphanois

On doit à  l'ouvrage de Raymond Henry (voir notes) d'en savoir plus sur les pratiques sportives du futur "Vélocio". A Saint-Etienne, le jeune père de famille pratique l'escrime, le tir au pistolet et l'équitation. Des activités à  l'initiation desquelles son père, ancien officier, ne fut certainement pas étranger. Il intègre aussi la section locale du Club Alpin Français. C'est en 1881 qu'il apprend à  se tenir en équilibre sur un vélocipède de type Michaux. Il achète ensuite un bicycle doté d'une grande roue avant de 125 cm de hauteur. Son premier voyage le conduit jusqu'à  Lyon qu'il rejoint après 10 heures d'efforts et de nombreuses gamelles. Cette même année, avec d'autres passionnés, dont les frères Gauthier, il fonde le Club des Cyclistes Stéphanois, dont il est le secrétaire. L'association a pour but d'organiser des courses,  d'"agréables promenades"...  Une première course est organisée en 1882. Elle doit relier Saint-Etienne à  Feurs. Les participants, éreintés, ne dépasseront pas Montrond. De Vivie roule tantôt à  bicycle, comme cette année 1886 où il parcourt 150 km avec " Fantasio ", le trésorier de l'association, tantôt sur un tricycle anglais Sparkbrook, doté de deux vitesses. Il essaye encore d'autres machines  qui lui permettent de gagner la capitale des Gaule en trois heures. C'est bientôt le temps de la bicyclette. En1886, lors d'une course donnée au Rond-Point, Pierre Gauthier monte sa première machine mais ce n'est qu'à  partir de 1890 que cette machine s'imposera devant les autres. Paul de Vivie décide cette même année (1886) de fonder l'Agence Générale Vélocipédique.

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Photo/AMSE

"L'apôtre" sur un médaillon provençale. En 1923, il fut croqué dans La Pédale par Martin qui lui donna l'auréole des saints, une auréole en forme de roue de cycle. Innombrables furent ses voyages à  vélo au départ de Saint-Etienne,  avec ses compagnons de ce qu'il nomma "L'Ecole Stéphanoise" (Panel, Laffont, Ginet, Eynac, Denis...) du Mont Ventoux au col du Parpaillon, le plus haut col cyclable de France en 1900, de l'Auvergne aux Alpes suisses, du sud au nord... Il fut encore à  l'origine des « Diagonales de France » et l'initiateur de grandes rencontres amicales comme « Pâques en Provence ».

L'A.G.V. et le Cycliste Forézien

Ce curieux commerçant, qui avait fourbi ses premières armes dans le négoce du ruban, fonde un an plus tard Le Cycliste Forézien (Le Cycliste tout court dès l'année suivante), abondamment illustré et dont la publication sert de support publicitaire à  l'A.G.V. La revue lui permet aussi de faire oeuvre de propagande pour le véloce quand son supplément a la forme d'un catalogue. L'Agence a d'abord son siège au 22, rue de Roanne (Charles de Gaulle) puis au n° 5. Elle "se charge de procurer bôna fide et au comptant, franco dans toutes les gares de France, des machines de tous système et de toutes provenances... à  des prix exceptionnels. " De Vivie devient l'agent local des marques réputées, anglaises notamment, qu'il vend, et s'essaie un temps à  la location. Dans un local proche du siège de l'A.G.V, il ouvre aussi une salle d'exposition et se lance dans la vente de pièces détachées et accessoires. En 1889, l'A.G.V. lance une bicyclette spécialement fabriquée pour l'Agence, La Stéphanoise, qui, à  partir de 1890, est fabriquée à ... Birmingham. La Lyonnaise est quant à  elle importée de Coventry. En 1888, la fabrication stéphanoise de cycles, bicycles et tricycles se résume à  celle des ateliers, Gauthier notamment. Cette même année, Vélocio - c'est un des pseudos qu'il s'est choisi dans la rédaction du Cycliste. Il signifie "celui qui va vite à  vélo" - note dans le n° de mai qu'il a appris "la constitution définitive d'une Société pour la fabrication en France des vélocipèdes. Elle a choisi pour titre un nom qui promet: L'Hirondelle." L'Hirondelle sera commercialisée plus tard par la Manufacture Française des Armes et Cycles, future Manufrance. 

Et c'est aussi grâce à  Paul de Vivie qui, inlassablement,  a défendu avec force et conviction la fabrication de cycles, et plus encore de pièces détachées à  Saint-Etienne, que la France a pu prendre son envol dans ce domaine. Il participa lui-même à  la fondation, en 1892, de La Nouvelle Manufacture Stéphanoise (cycles et pièces détachées) qui s'appuie sur des petits ateliers locaux pour commercialiser la marque sous laquelle elle est plus connue: La Gauloise. Parmi les grandes maisons stéphanoises, mentionnons, en cette fin du XIXe siècle, les maisons Dombret et Jussy, rue de l'Heurton, fondée par Auguste Dombret (marque Ouragan) et Victor Jussy,  Dombret aîné, à  la Chaléassière. Et encore l'Association des ouvriers vélocipédiques de la Loire, sans compter les ateliers de petite taille et, plus tard (1899) la marque Svelte, fabriquée par la Société Manufacturière d'Armes et Cycles, et puis encore Ravat et Argaud, la marque Wonder.

Les évolutions techniques

Véloceman acharné, Vélocio teste les différents modèles vendus par l'A.G.V. et ses nombreux avis ne tardent pas à  faire autorité. Curiosité et ingéniosité font de lui, qui n'avait aucune formation en mécanique, un redoutable spécialiste de toutes les questions techniques. Toujours à  l'affût des découvertes de la science et des industries, il livre ses commentaires dans Le Cycliste, devenue au fil du temps une revue de référence où le lecteur pose ses questions et l'utilisateur donne son avis. Dès novembre 1887, par exemple, Vélocio évoque l'aluminium. Les freins, la polymultipliée, c'est à  dire le changements de vitesse dont il fut l'ardent promoteur, les pneumatiques... rien n'est oublié.

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L'Apôtre du cyclotourisme

D'abord cyclosportif, c'est au gré de ses nombreuses escapades avec les "alpinistes à  roulettes du CAF" notamment, dans les environs de Saint-Etienne, dans les Monts du Forez, le Roannais (aller-retour Saint-Etienne/Charlieu en 1889), le Pilat (balade au col de Pavezin en 1890 par -8°) et jusqu'au Vercors et la Provence, que Vélocio devient véritablement un "touriste à  pédale". Le néologisme ''cyclotouriste''  apparaît pour la première fois dans Le Cycliste en octobre 1889, même s'il faudra attendre 1895 pour qu'il soit adopté définitivement. A travers sa revue qui rend compte des excursions faites par lui même ou par les cyclotouristes abonnés, son investissement dans les premières associations de cyclotourisme, notamment le « Club des Cyclistes Stéphanois » en 1881, Paul de Vivie est un peu le père du Touring club de France et par là  même du cyclotourisme organisé au sein d'une grande fédération sportive : la Fédération Française des Sociétés Cyclotouristes. Dès 1888, il avait lancé l'idée d'un Club national des Vélo-Touristes. C'est qu'à  l'époque, l'Union Vélocipédique de France, fondée en 1881, s'oriente plutôt vers la performance et un Cyclist' Touring Club à  la française (le CTC anglais regroupait alors 23 000 membres, y compris dans les autres pays ) fait défaut. Le Touring Club de France naquit en 1890 avec, pour premier organe de presse, Le Cycliste. Vélocio pose également les bases d'une hygiène de vie pour la pratique du cyclotourisme, défendant le végétarisme, et apparaît comme un précurseur de la diététique sportive ; des règles résumées dans « Ses 7 commandements du cycliste », chers aux adeptes de l'Ecole Stéphanoise.

- Haltes rares et courtes, afin de ne pas laisser tomber la pression.
- Repas légers et fréquents : manger avant d'avoir faim, boire avant d'avoir soif.
- Ne jamais aller jusqu'à  la fatigue anormale qui se traduit par le manque d'appétit et de sommeil.
- Se couvrir avant d'avoir froid, se découvrir avant d'avoir chaud et ne pas craindre d'exposer l'épiderme au soleil, à  l'air, à  l'eau.
- Rayer de l'alimentation, au moins en cours de route, le vin, la viande et le tabac.
- Ne jamais forcer, rester en dedans de ses moyens, surtout pendant les premières heures où l'on est tenté de se dépenser trop parce qu'on se sent plein de forces.
- Ne jamais pédaler par amour-propre.

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La maison où vécut Vélocio pendant 50 ans et devant laquelle il trouva la mort, renversé par un tramway, le 27 février 1930. Une plaque y est apposée, inaugurée en 1936, qui rappelle le drame. Cette plaque de bronze, gravée par Rocher, fut faite à  l'initiative d' Albert Raimond et dévoilée en présence de nombreuses personnalités.

Les obsèques de Vélocio eurent lieu le 6 mars 1930 à  La Charité. Le curé de La Versanne, un de ses amis, présida la messe. Sa dépouille fut mise en terre à  Lyon, au cimetière de Loyasse où, des décennies plus tard, les Stéphanois déposèrent une plaque avec ces mots gravés: "A notre maître vénéré". Une légende tenace dit que ses cendres ont été dispersées du haut du Mont Ventoux. C'était, semble-t-il, sa dernière volonté. Quant à  sa revue, Le Cycliste, elle perdura jusqu'en 1973, disparaissant avec son dernier directeur: André Rabault.

Une légende et un "maître vénéré"

Saint-Etienne, qui fut durant longtemps le centre de l'industrie vélocipédique française, doit beaucoup à  Paul de Vivie qui joua un rôle essentiel dans l'industrie du commerce et du cycle. Plaque commémorative située 5 rue Charles de Gaulle à  l'endroit ou la mort l' a surpris bicyclette à  la main le 27 février 1930, stèle commémorative au col de la République, rue Paul-de-Vivie et plus récemment rond point Vélocio, autant de jalons posés dans la ville et les proches environs, pour rendre hommage à  l'une de ses personnalités les plus attachantes. Mais la réputation de Paul de Vivie ne s'arrête pas à  Saint-Etienne, ce qui est la moindre des choses pour cet illustre touriste à  bicyclette, et de nombreux hommages publics lui sont rendus ailleurs, notamment en Provence. Depuis 2003, une statue trône même devant le complexe sportif à  Pernes.

Le Monument du Col des Grands Bois, sur les hauteurs de Saint-Etienne (commune de Saint-Genest-Malifaux, massif du Pilat) fut inauguré le 22 mars 1931 en présence de l'épouse de Paul de Vivie et de son fils Edmond, des représentants du Touring-Club de France et de la Chambre Syndicale du Cycle. Le discours fut lu par Joanny Panel. L'élévation de ce monument ne s'est pas faite sans problème, l'inimitié étant grande entre Joanny Panel, qui présidait le  Chemineau Touriste Stéphanois (à  l'origine d'une journée Vélocio bis) et qui fut à  l'origine des cartes postales immortalisant  l'Ecole Stéphanoise et son saint-père, et Albert Raymond, constructeur du dérailleur "Le Cyclo" , lequel dérailleur avait détrôné sur le marché celui du premier ! C'est pourquoi on ne trouve pas mention du cyclotourisme sur le monument mais de la polymultipliée. Il fut même question, un temps, de deux monuments concurrents !

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Le rond-point Vélocio à  Saint-Etienne et la route qui mène au Pilat

La journée Vélocio

C'est le 2 décembre 1888 que fut établi le 1er record des Grands bois, de la Digonnière à  Sainte-Agnès (actuel col de la République) en 1h14. C'est le tout premier temps de référence de ce qui deviendra le Vélocio. En 1922, Jean-Frédéric Boudet qui accompagne parfois Vélocio dans ses excursions et deux industriels du cycle proches de notre infatigable baroudeur, Jules Barellon et Albert Raimond, décident d'organiser une manifestation cycliste en l'honneur du « Maître ». La montée du col des Grands Bois, qu'affectionnait tant Vélocio, s'impose comme une évidence. La première journée a lieu le 11 juin 1922, la 84e édition le 7 juin 2009. Et ils sont toujours plus nombreux à  participer à  cette formidable aventure humaine et sportive, un rite de pratiquant en quelque sorte qu'il faut avoir accompli au moins une fois dans sa vie pour faire partie de la grande famille des cyclotouristes.

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Photos/AMSE

Pour en savoir + sur Vélocio, lire l'ouvrage encyclopédique de Raymond Henry (540 pages !): "Paul de Vivie dit Vélocio; l'évolution du cycle et le cyclotourisme"

Edité par le Musée d'Art et d'Industrie de Saint-Etienne, 2005

Le texte emprunte également au dossier de presse des AMSE, communiqué à  l'occasion d'une exposition.

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