A la Libération, certaines places et rues de Saint-Etienne retrouvèrent les noms qui étaient les leurs avant Vichy. Dans le quartier Saint François par exemple, la place de l'église, « place de Prague » entre 1940 et 1944, retrouva le nom de Jean Doron, un des premiers stéphanois acquis aux idées du communisme, d'après François Menard dans Saint-Etienne, pas à pas. La rue de Saint-Chamond qui longeait la place, elle, n'avait causé de tort à aucun camarade.
C'était sans piston venu de l'Allier qu'elle s'étirait, depuis belle lurette, de Fourneyron vers Monthieu et ouvrait la voie vers Lyon. Elle fut pourtant rebaptisée « rue des Alliés » le 9 novembre 1944. Un choix plutôt étrange puisque c'est sur la place Doron que se dressait à la même époque l'église Saint François Régis, deuxième du nom. Meurtrie, ouverte aux quatre vents, elle témoignait aux yeux de tous du bombardement américain de sinistre mémoire qui avait frappé la cité quelques mois plus tôt. Mais peut-être les autorités provisoires voulurent-elles justement affirmer, en choisissant précisément cette rue, qu'elles pouvaient s'accomoder bon gré mal gré, en guise de dommages collatéraux, d'enfants de choeur et de communiants écrasés sous l'autel de la Liberté. Quant à la population qui avait maudit les aviateurs yankees en mai, elle avait fin 44 autre chose à penser...

Mais commençons par le commencement, en 1858 quand fut construite Saint-François-Régis, première du nom.

En 1857, les 7000 âmes des quartiers de Bérard, la Richelandière, Monthieu n'avaient pas d'église. Les habitants devaient se rendre au Soleil, seule paroisse de la commune d'Outre-Furan qui avait été rattachée à Saint-Etienne deux ans plus tôt. L'abbé de Laplagne, issu d'une famille connue de Montbrison, acheta à ses frais (pour une somme de 21 000 francs) un terrain proche de la mine du Gagne-Petit qui occupait une partie de la place actuelle et qui avait cessé ses activités en 1830. L'église qui devait être provisoire fut inaugurée le 24 octobre 1858. En 1860, par décret impérial, elle fut érigée en paroisse sous le vocable de Saint-François-Régis, du nom de l'évangélisateur du Velay ; nom que prit tout le quartier. Deux années plus tard, elle recevait ses trois cloches fondues à Lyon et qui avaient pour donateurs le Baron Vital de Rochetaillée, François David et Camille de Rochetaillée.


Construite dans le style néo-byzantin, peu courant à l'époque, elle fut aussi une des premières églises édifiée en ciment armé. Le choix de ce matériau s'expliquant d'abord par ses avantages : rapidité de construction, légèreté, solidité... Il devait permettre, selon l'architecte Noulen-Lespès, de supprimer les points d'appui et les supports encombrants. De la sorte, il facilitait le groupement des 1500 fidèles qu'elle pouvait accueillir autour du prêtre et de l'autel. L'église fut en outre érigée sur le modèle de la basilique Saint-Vital de Ravenne et son clocher en forme de « cigare » s'élevait à 42 mètres de haut ! Autant de particularités qui, dans une ville qui n'a pas de cathédrale digne de ce nom, faisaient de l'église un monument remarquable.

Son plan était (« est » puisque l'église actuelle est construite sur cette même base, seul vestige du joyau) la croix latine mais avec un choeur qui pouvait paraître au visiteur plus long que la nef. Le frontispice principal auquel on accédait par un monumental escalier consistait en un grand cintre haut de 15 mètres qui donnait à son entrée un aspect imposant. Mais en entrant sous le porche et en avançant vers la porte, par des défoncements successifs l'ensemble redevenait plus humain. Le grand cintre était supporté par deux hauts pieds-droits, lesquels étaient chacun formés à leurs angles supérieurs par de courtes colonnes qui supportaient une frise sculptée. Sous l'arc s'étalait une vaste composition moulée retraçant des scènes de la vie du Saint Patron de la paroisse. Il semblerait qu'il était représenté sur son lit de mort, entouré de ses proches à genoux, tous dominés par les visages imposants (de face) du Christ et de la Vierge. Ce tympan était soutenu par deux torses d'animaux, grandeur nature. Un taureau et un lion, deux des animaux de l'Apocalypse qui symbolisent aussi les évangélistes Marc et Luc.


Enfin, le chevet plat, aux angles à peine coupés, se terminait par une chapelle absidale à cinq pans.


Et immanquablement, le tableau se noircit : "Mais hélas ! cette fleur, que nous avons connue si fraîche, s'est vite, dans pareille atmosphère, étilée, fanée. Sa blanche parure, ses tons vifs, ses polychromies, bien qu'âgés de moins de quatre lustres, paraissent déjà prématurément anémiés. Le souffle brûlant de Saint-Etienne convenait mal à tant de grâce et de pureté."

La nef était un octogone irrégulier, formé, au carré, de quatre immenses arcs de cloître en ogive, et, aux pans coupés, dans la partie supérieure, de loggia dans le goût italien. Huit colonnes torses supportaient, sur des arcs à peine bombés, le tablier ajouré des tribunes étagées à faible hauteur et des loggia, puis l'ensemble de la nef. La coupole, également octogone, était ravissante, posée avec grâce et en légèreté. Elle possédait en outre de nombreuses baies tamisant une lumière abondante. Le ch�?ur, de l'avis de ceux qui l'ont vu, semblait trop exigu en raison d'une sorte de déambulatoire qui contournait le maître-autel. Ce-dernier était dominé par un retable d'un blanc immaculé et aux lignes plutôt sobres. Enfin, l'église était éclairée par des baies nombreuses et étroites. De nombreuses peintures, reliefs et incrustations de mosaà¯ques complétaient la décoration intérieure.
26 mai 44
C'est à Marc Swanson, un Canadien, que nous devons de connaître en détail le déroulement de l'opération de bombardement qui devait causer la destruction de l'église. Ce 26 mai 1944, en milieu de matinée, il fait un grand soleil sur Saint-Etienne. Quelques heures auparavant, 176 « forteresse volantes » ont décollé d'Italie. Leur objectif : les installations ferroviaires de Saint-Etienne. Les premières bombes tombèrent à 10h 17. Elles furent larguées à une altitude comprise entre 6000 et 7 150 mètres, pour éviter les tirs d'une DCA�?� fantôme puisque les Allemands n'avaient pas installé de « flak » à Saint-Etienne. A une telle altitude, on ne s'étonnera pas des dommages collatéraux que causèrent les 1000 ou 2000 bombes US : 1000 morts environ, 1500 blessés dont 500 gravement. Parmi les tués : 50 enfants de moins de 6 ans, 60 enfants de 6 à 13 ans, 360 femmes ou jeunes femmes. 20 000 sinistrés. Au niveau matériel, si la gare de triage et Châteaucreux furent détruites, 580 autres bâtiments dont l'école Tardy subirent le même sort.


A la Libération, le quartier avait pour église un squelette surmonté d'un clocher miraculé en forme de cigare. Les offices religieux étaient célébrés dans une salle de gymnastique. C'est encore un prêtre, l'abbé Court qui entreprit la reconstruction. Une troisième souscription fut lancée et le travail fut confié à Mr Hur, un architecte stéphanois. Il fut décidé de reprendre à peu près le plan de l'ancienne église et de conserver le clocher. L'église actuelle fut inaugurée le 10 juin 1954 sous la présidence du cardinal Gerlier. Hélas, elle ne devait garder son clocher rescapé que jusqu'en 1972. Atteint de la maladie du ciment, il fut renforcé de l'intérieur mais dès 1967 il fut envisagé de le « déconstruire ». En 1972, le « cigare » fit ses adieux définitifs.

Quand le clocher fut supprimé, les cloches (qui étaient celles de la première église et celles de la seconde) furent temporairement remisées dans une espèce de campanile extérieur à l'église. Mais à en croire le témoignage de Mr Coste publié en 1988, elles auraient été envoyées « en mission » dans des îles lointaines du Pacifique, peut-être les îles Tonga ? C'est embêtant une église sans cloche, c'est un peu Pâques sans chocolat. Huysmans dans Là -bas s'est fait leur champion à travers le sonneur Carhaix:



Les curiosités les plus remarquables de cette église sont les deux oeuvres de l'artiste stéphanois Jean-Alexis-Bobichon (1911-1985). Ce peintre imagier, spécialiste de la peinture sur verre a réalisé deux panneaux en verre fumé qui se trouvent chacun dans une nef latérale. Le premier, à gauche quand on est tourné vers l'autel, représente une crucifixion. Autour du Christ en Croix, l'artiste a représenté les industries traditionnelles du quartier: un puits de mine, un mineur casqué manipulant un marteau-piqueur, un métallurgiste, des scieries, des ouvriers du bâtiment ainsi que divers objets et figures (tenailles, enclume...) dont certains évoquant la Passion : un dé à jouer, un coq... L'autre panneau est consacré à Saint-François-Régis dans sa mission évangélisatrice dans le Velay. On y remarque un carreau de dentellière, une vue de la Louvesc, des paysans en prière, des arbres...


