
Ce n'est sans doute pas l'article le plus original qui aura été mis en ligne sur FI puisqu'il concerne la première ligne de chemin de fer française, « de la Loire à Pont de l'Ane », c'est-à -dire d'Andrézieux à Saint-Etienne. Mais tout le monde ne connaît peut-être pas les derniers témoins de cette première voie.

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La première ligne de chemin de fer fut utilisée dès le 1er mai 1827 pour essai et ouverte le 30 juin 1827. Mais avant d'y venir, rendons-nous à Montbrison, comme d'autres, L-J. Gras notamment, l'ont fait bien avant nous. Dans le cimetière repose un homme qui est considéré comme le grand précurseur de l'aventure du « cheval de fer » en France. Il s'agit de Pierre-Michel Moisson-Desroches. Sa tombe, que "l'Association des Amis du Rail Forézien" a su préserver, porte l'inscription de ses mérites : « Ici repose Pierre-Michel MOISSON-DESROCHES, ingénieur en chef des mines, promoteur des chemins de fer en 1814, né à Caen le 9 juillet 1785, décédé le 30 mai 1865 ».
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Formé à Polytechnique, professeur à l'Ecole des mines de Saint-Etienne, Moisson-Desroches adressa à Napoléon en octobre 1814 un mémoire dans lequel il proposait d'abréger les distances en créant sept lignes ferrées entre la capitale et d'autres lieux de l'Empire.
En 1818, c'est un autre ingénieur en chef au Corps des mines de Saint-Etienne, Louis-Georges-Gabriel de Gallois-Lachapelle qui adressait un mémoire à l'Académie des Sciences. Ce document résultait de ses observations en Angleterre : « Depuis longtemps on faisait usage en Angleterre, de chemins garnis de bois pour le roulage des mines. (...) Les chemins de fer ne sont qu'un perfectionnement de ceux-là . Il y a une trentaine d'années, ils ont été proposés par Mr John Curr, ingénieur civil à Sheffield. Les chariots sont sur des roues en fonte, et quelquefois, ils sont entièrement construits en fer. Leur charge est d'environ 25 quintaux métriques. La plus petite inclinaison suffit pour que leur propre poids les mette en mouvement. Cinq ou six de ces chariots, enchaînés ensemble, roulent à de grandes distances sans chevaux, ni moteurs, guidés par un enfant qui en modère la vitesse au moyen d'un levier de friction ajusté aux roues. Lorsque la pente du terrain est plus rapide, ces chariots descendent un à un de la même manière ; un cheval est attelé derrière ; arrivé au bas de la côte, il remonte le chariot vide. Quand la pente est assez forte pour produire, par la quantité de mouvement acquise du chariot, une force surabondante, on en profite au moyen d'une machine (perfectionnée par Fulton). On se sert ici d'une grande poulie et d'une corde de renvoi, à l'aide de laquelle, on fait descendre les chariots chargés, qui, comme un contrepoids, font remonter un égal nombre de chariots vides. La vitesse de descente est modérée par un train qui presse à volonté la poulie (...) Pour les faire monter une colline, on a recours à des chevaux ou à des machines à vapeur...»
En 1818, c'est un autre ingénieur en chef au Corps des mines de Saint-Etienne, Louis-Georges-Gabriel de Gallois-Lachapelle qui adressait un mémoire à l'Académie des Sciences. Ce document résultait de ses observations en Angleterre : « Depuis longtemps on faisait usage en Angleterre, de chemins garnis de bois pour le roulage des mines. (...) Les chemins de fer ne sont qu'un perfectionnement de ceux-là . Il y a une trentaine d'années, ils ont été proposés par Mr John Curr, ingénieur civil à Sheffield. Les chariots sont sur des roues en fonte, et quelquefois, ils sont entièrement construits en fer. Leur charge est d'environ 25 quintaux métriques. La plus petite inclinaison suffit pour que leur propre poids les mette en mouvement. Cinq ou six de ces chariots, enchaînés ensemble, roulent à de grandes distances sans chevaux, ni moteurs, guidés par un enfant qui en modère la vitesse au moyen d'un levier de friction ajusté aux roues. Lorsque la pente du terrain est plus rapide, ces chariots descendent un à un de la même manière ; un cheval est attelé derrière ; arrivé au bas de la côte, il remonte le chariot vide. Quand la pente est assez forte pour produire, par la quantité de mouvement acquise du chariot, une force surabondante, on en profite au moyen d'une machine (perfectionnée par Fulton). On se sert ici d'une grande poulie et d'une corde de renvoi, à l'aide de laquelle, on fait descendre les chariots chargés, qui, comme un contrepoids, font remonter un égal nombre de chariots vides. La vitesse de descente est modérée par un train qui presse à volonté la poulie (...) Pour les faire monter une colline, on a recours à des chevaux ou à des machines à vapeur...»
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Carte postale des fêtes du centenaire de la ligne Saint-Etienne-Andrézieux
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Chateaucreux pavoise (1927)
Au premier plan, le buste de Marc Seguin, toujours situé à Chateaucreux de nos jours mais décalé par rapport au bâtiment.
Au premier plan, le buste de Marc Seguin, toujours situé à Chateaucreux de nos jours mais décalé par rapport au bâtiment.
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Mais Gallois ne fut pas le constructeur de la première voie ferrée française, bien qu'il fut le premier à demander l'autorisation de construire une ligne de Saint-Etienne à la Loire ; une entreprise à laquelle il renonça. Et il s'éteignit en 1825, sans avoir vu rouler en France le « cheval de fer » qui l'avait fasciné en Angleterre. Benoît Fourneyron, inventeur de la turbine hydraulique moderne, qui fut son élève, lui attribua l'honneur d'avoir évoqué le premier ces nouvelles voies de communication. Fourneyron était pourtant aussi l'élève de Moisson-Desroches ! Toujours est-il que ce fut un autre ingénieur de Saint-Etienne qui s'en chargea, avec lequel d'ailleurs Gallois avait formé en 1816 la commission temporaire des mines de la Loire (1) : Louis Antoine Beaunier. .

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Illustration publiée en 1936 avec la légende "Chemin de fer de Saint-Etienne à Andrézieux - Gare de Saint-Rambert. (d'après Deroy)". Vous aurez noté qu'il y a deux voies (?)
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Né à Melun en 1779, industriel et inspecteur général des Mines, Beaunier dressa en 1812 la première étude topographique du bassin houiller de la Loire. En 1816, il devint le premier directeur de l'Ecole des Mineurs de Saint-Etienne, qu'il fonda et transforma peu à peu en une véritable école d'ingénieurs civils. Un an plus tard, il créa l'aciérie de la Bérardière. Avec la publication du mémoire de Gallois, Beaunier décida le marquis de Lur-Saluces, Louis Boigues et quelques autres riches capitalistes de ses amis à s'associer avec lui dans le but de construire un chemin de fer. Le 5 mai 1821, ils formulèrent auprès du Ministre de l'Intérieur la Demande en autorisation de construire un chemin de fer qui, tracé sur le territoire houiller de Saint-Etienne, mette en communication la Loire et le Rhône. Après enquête, l'ordonnance royale du 26 fevrier 1823, après avis de Becquey, directeur des Ponts et Chaussées et des Mines, autorisa l'entreprise « attendu que le commerce et l'industrie retireront de grands avantages de cet établissement, particulièrement pour le transport de la houille que fournissent en abondance les contrées qu'il doit traverser. » L'ordonnance du 21 juillet 1824 autorisa la constitution d'une société anonyme nommée Compagnie du chemin de fer de Saint-Etienne à la Loire. Capital : un million, divisé en 200 actions de 5 000 francs. Beaunier fut son premier directeur..

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Le tracé du chemin de fer fut présenté par Louis Antoine Beaunier le 8 décembre 1823. Son point de départ était situé au Pont de l'Ane, sur la route de la Montat (RN 88 actuelle, à l'époque route royale de Lyon à Toulouse). Alentours, de nombreux puits de mine : La Baraillère, Méons, Bérard, Monthieu... La ligne poursuivait ensuite vers le Marais via l'Etivallière dont la ligne présente suit le tracé initial. Elle traversait le Furan et passait vers l'actuel siège du Crédit Agricole, où fut construite la première gare de la Terrasse. Elle coupait la Grand-Rue pour continuer sur le Bois-Monzil, traversant le ruisseau Riotord sur un pont de pierre toujours existant puis suivait la rive gauche du Furan en direction d'Andrézieux..

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Pont du Bois-Monzil, à deux pas de la cité minière dite "des Marocains".
Il s'agit du plus ancien pont ferroviaire d'Europe continentale !
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Elle longeait l'ancien moulin Porchon (la station d'épuration actuelle), le moulin Saint-Paul (La Fouillouse) et le moulin Thibaud après La Réjaillère. Elle passait à la station de La Quérillière pour arriver enfin à la gare d'Andrézieux, la Maison Riboulon. Ici se trouvaient les dépôts de charbon des négociants.
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Anciens chariots de roulage (d'après Géricault)
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Jusqu'à la construction de la voie ferrée, « l'or noir » du XIXème était transporté à dos de mulet depuis Saint-Etienne vers Saint-Just-sur-Loire via Côte-Chaude et Saint-Genest-Lerpt. A Saint-Just, le charbon était alors déchargé dans les Rambertes qui allaient l'acheminer en remontant le fleuve. La construction de la route de Roanne au Rhône via Feurs et Saint-Etienne inaugura un nouveau trajet, plus facile pour les pauvres bêtes et Andrézieux devint le port d'embarquement. La voie ferrée ! Il fallut d'abord démontrer par des expériences que l'ouvrage était pratiquable. Elles eurent lieu au 7, rue de la Préfecture. Un chemin de fer en miniature fut construit et on se livra à des expériences sur l'action des forces centrifuges dans ses courbes..
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Pour se rendre à la Quérillière (ou Quérillère), il faut dépasser La Fouillouse, prendre à gauche en direction de Saint-Just-Saint-Rambert (en passant sous l'autoroute), poursuivre jusque vers la bétonnerie, tourner à droite puis tout de suite à gauche. On passe alors derrière la bétonnerie et on longe le Furan. A gauche, l' écurie pour les chevaux, à droite: la station.
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Plate-forme de la voie
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Elle n'avait qu'une voie. Des garages se trouvaient sur son parcours pour permettre le croisement des trains circulant dans les deux sens. Deux lignes en fonte (composées chacune de rails de 1 m. 14 de longueur pour 1 cm de haut et un poids de 20 kg. 500) s'appuyaient sur des dés de pierre et leurs extrémités taillées en biseaux étaient reliées par des coussinets en fonte. C'est en 1837 que la fonte des rails fut remplacée par du fer laminé. Le halage se faisait au moyen de chevaux avant que la machine à vapeur ne prenne le relais (en 1844 sur cette ligne). Chaque animal tractait trois wagonnets (ou chariots) portant une charge de houille de 30 hectolitres. Le tonnage total pouvait être estimé à 120 000 tonnes. .

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Pont sur le Furan, à Andrézieux, quelques centaines de mètres avant la gare de déchargement
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Promesse avait été faite d'élever une statue à la Vierge si le chantier ne causait la mort d'aucun ouvrier. La statue de la Vierge se trouve aux abords du Théâtre du Parc
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La construction, exécutée par Mrs Thirion et Gillet (2), sous les ordres de Beaunier, coûta 1 554 000 francs et l'outillage 230 000 francs. Pour s'indemniser des frais de construction et d'entretien, la jeune Compagnie exploitante fut autorisée « à percevoir à perpétuité un droit de 0 fr.0186 par 1000 mètres de distance et par hectolitre de houille et de coke, ou par 50 km de matières ou de marchandises de toutes sortes. » Les travaux d'art consistèrent en douze ponts (nommés alors « percements ») sur le Furan, d'entailles de rochers, de maisons de cantonniers, de ponceaux etc.
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En 1826, la duchesse d'Angoulême, fille de Louis XVI, vint à Saint-Etienne. On lui fit visiter le chantier et un cheval au trot tira à la descente 10 000 kilos de houille. Cette visite tint lieu d'inauguration. Le 21 août 1827, la comtesse Bertrand, épouse du maréchal de Napoléon, exilé avec lui à Sainte-Hélène, parcourut toute la ligne sur un char mis à sa disposition. En 1829, le « prince de la critique », Jules Janin, qui vint au monde à Saint-Etienne, écrivait : « Le chemin de fer est une des merveilles du monde. Dans ces deux lignes de fer est contenue toute la fortune d'une ville. Elles feront de Saint-Etienne un entrepôt universel. ».

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Immédiatement, les tonnages transportés furent très importants. En 1829, 150 chariots transportaient 80 000 tonnes de charbon ! De quoi charger plus de 2000 Rambertes. Mais la navigation des Rambertes se faisaient à sens unique. Parties d'Andrézieux, elles pouvaient gagner Roanne mais pas naviguer entre Roanne et Andrézieux. Elles ne revenaient plus d'où une surcharge des frais de transport. Pour remédier à cela, deux ingénieurs, MM. Mellet et Henry, proposèrent logiquement de prolonger le rail d'Andrézieux jusqu'à Roanne. Le 1er juillet 1828, ils obtinrent la concession d'un chemin de fer, le 3ème en France. Longue de 77 km, la ligne fut ouverte de 1832 à 1833. Elle se séparait de la première à La Quérillière et s'arrêtait en réalité au Coteau, sur l'autre rive de la Loire, aux Varennes, où le charbon était transbordé dans les bateaux de Loire.
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Chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon, gravure sur bois en couleur (Collection Musée historique de Lyon ?)
Chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon, gravure sur bois en couleur (Collection Musée historique de Lyon ?)
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Entretemps, une ordonnance (7 juin 1826) avait approuvée la concession de la seconde ligne française : Saint-Etienne - Lyon. Elle fut concédée au profit des frères Seguin qui fondaient la Compagnie du chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon, au détriment de la Compagnie du chemin de fer de Saint-Etienne à la Loire qui, dès 1823, avait proposé de se charger de celle-ci aussi. Longue de 58 km, elle fut ouverte de 1830 à 1832. Cette ligne Saint-Etienne-Rive-de-Gier-Givors-Lyon entrait en concurrence directe avec le canal de Givors à Rive-de-Gier qui connaissait un grand succès depuis son ouverture en 1780. Mais la mauvaise gestion de ce dernier facilita la tâche au chemin de fer dans sa course au monopole. Sur cette ligne roulèrent les premières locomotives françaises que Marc Seguin construisit à partir de la locomotive de George Stephenson, mais équipée de la chaudière tubulaire qu'il inventa et qui multipliait leur puissance. En revanche, c'est seulement le 1er août 1844 que la première locomotive arriva à Saint-Etienne, en raison de la dure rampe venant de Rive-de-Gier, et qu'elle put circuler sur la voie d'Andrézieux.
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La ligne Saint-Etienne-Lyon vers 1840, Archives départementales de la Loire, fonds Chaleyer
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Billet de 1834 (titre de transport), certainement un des plus anciens du monde (Collection des Amis du Vieux Saint-Etienne)
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C'est la ligne Saint-Etienne-Andrézieux qui, la première, fut ouverte aux voyageurs, le 1er mars 1832. L-J. Gras, dans son ouvrage « Chemins de fer » (1924) a rapporté l'article du Mercure Ségusien à ce propos, quelques semaines avant le premier voyage : « Les voyageurs partiront du bureau de l'entrepreneur M. Gorand jeune (place de l'Hôtel de Ville). La voiture les conduira, avec ses roues vulgaires, pour ainsi parler, jusqu'au lieu La Terrasse, où passe le chemin de fer (à un quart de lieue environ de la ville). Là , au moyen d'une grue, la voiture sera enlevée, son train se détachera aisément et sera remplacé par un autre, adapté aux rails. Cette opération se fera en moins de cinq minutes et sans secousse, sans ébranlement pour les voyageurs qui n'auront point à mettre pieds à terre. » En 1842, la ligne fut empruntée par 29 000 voyageurs. Ils furent plus de 49 600 en 1845. Soutenu par un tarif attractif, le chemin de fer devait connaître un essor extraordinaire...
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Plan de 1835: les trois lignes foréziennes: Saint-Etienne-Andrézieux, Andrézieux-Roanne, Montrond-Montbrison. Cette dernière ligne(16 km) fut ouverte fin 1835.Uniquement à traction animale, elle fut abandonnée en 1848.
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Le 30 septembre 1853, les trois lignes, Saint-Etienne-Andrézieux, Saint-Etienne-Lyon et Andrézieux - Roanne, fusionnèrent pour former la Compagnie des chemins de fer de jonction du Rhône à la Loire. Elle fut reprise la même année par le réseau du Grand Central, lui-même repris par le P.L.M. en 1857. Le 24 novembre 1857, le tracé de la ligne Saint-Etienne - Andrézieux fut modifié. Les gares de Saint-Etienne Mottetières, de Saint-Etienne Pont-de-l'Ane et de Bois-Monzil furent fermées au trafic voyageur. Les gares de La Fouillouse et Villars ouvrirent leurs portes..

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La Quérillière. au premier plan, une passerelle (refaite) sur le Furan, où passait le tracé de la première voie.
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Le 15 juin 1864, la gare d'Andrézieux Port ferma aux voyageurs, de même que celle de La Réjaillère. En 1889, c'est le trafic marchandise de la gare de Saint-Etienne Mottetières qui fut abandonné. La gare de Saint-Etienne La Terrasse entra en activité.
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(1) Chargée d'instruire les demandes de concession de mines de houilles. Gallois découvrit aussi à Terrenoire les gisements de fer. Il forma, avec Milleret, la Compagnie des Mines de fer de Saint-Etienne, dont il se retira en 1822. C'est cette compagnie, reprise par La Ville-Leroux qui fournit en 1826 les rails en fonte du chemin de fer d'Andrézieux..(2) Gillet s'occupa de l'exploitation de la ligne jusqu'en 1855 et la municipalité lui éleva un monument, dans le cimetière actuel..

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A un train d'enfer