Friday, June 02, 2023
C'est en vain qu'on chercherait à  Saint-Bonnet le "chatiau" éponyme élevé au XIIe siècle et "croqué" par Guillaume Revel vers 1450. A son emplacement a été élevé vers 1620 le couvent des Ursulines. Néanmoins la ville a su garder certains caractères médiévaux et surtout de nombreux témoignages des XVe et XVe siècles. Les maisons étagées aux façades massives, en pierre de taille et au décor soigné, forment des rues tortueuses et sombres qui grimpent le long du mamelon vers la collégiale qui le couronne.
 
La cité s'élève sur un plateau à  870 mètres d'altitude, à  la porte du pays arverne. Sous la domination de Rome, la ville aurait porté le nom de Chastel-Vair (Castrum Vari) mais cette appellation qui tend à  reconnaître à  la ville une certaine importance dès l'antiquité n'est pas prouvée. Le nom chrétien qui lui fut donné trouve son origine dans la translation des reliques de Saint-Bonnet, évêque de Clermont, de la capitale des Gaules vers la capitale de l'Auvergne. L'histoire s'est transmise par la tradition orale, avant que le chanoine La Mure, historien du Forez, ne la couche sur le papier: "Saint Bonnet, après avoir été grand chancelier de France, succéda à  Saint Avit, évêque de Clermont. Etant allé faire un voyage à  Rome, comme il en revenait, il tomba malade à  Lyon et y mourut le 15 janvier 719. L'évêque de cette ville voulut garder ses reliques malgré l'insistance du clergé de Clermont qui les réclamait. Ce ne fut que trois après, en 722, qu'il céda à  cette demande. Le corps fut transporté processionnellement et comme, de Lyon en Auvergne, il y a plusieurs églises du nom de ce saint, la tradition est qu'elles désignent les stations où on arrêta ses reliques. La quatrième station fut Saint-Bonnet-le-Châtel."
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En haut, la sculpture de la fontaine est la reproduction à  l'identique d'une oeuvre antique qui se trouve au Louvre. Elle a été  fondue par Dugel, maître de forges à  Paris, en 1861. En bas, l'ancienne fontaine de l'actuelle place du Commandant Marey. Elle datait du XIVe siècle, fut classée à  l'inventaire supplémentaire des M.H. le 28 juin 1938 et détruite le même jour. Le commandant Marey, chef de l'Armée Secrète de la Loire était originaire du hameau de Merle.
 
Le premier seigneur connu de Saint-Bonnet, vers les années 1130-1140, est Guillaume. La place forte est citée pour la première fois en 1239 mais date probablement de la fin du XIIe siècle. Il ne reste de celle-ci que quelques vestiges dans les jardins de l'hospice, aux abords du couvent des Ursulines. Quant à  l'enceinte urbaine, elle fut établie bien plus tard, vers 1365, et contenait encore la ville en 1815, avant qu'elle ne commence à  disparaître.
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Citée dès 1225, une première chapelle relevait de la paroisse de Saint-Nizier-de-Fornas. A Robert de Saint-Bonnet, la ville doit son premier hôpital (1222), ses premiers marchés et surtout une charte de franchises. Celle-ci est la seule du Forez a être écrite en langue vulgaire, de langue d'oc. Confirmée par ses héritiers, en 1270 et 1272, puis par François Ier en 1536, elle donnait "à  tous les hommes et à  toutes les femmes qui seraient ses sujets, qui prendraient ou auraient maison à  Saint-Bonnet, bons usages et bonnes coutumes ". En clair, en contrepartie d'obligations diverses, principalement militaires, la charte promet aux habitants la sécurité et leur octroie des libertés et des recours juridiques. Elle garantie ainsi la liberté au bout d'un an et d'un jour, à  tout serf, à  quelque seigneur qu'il appartienne, qui vient s'établir à  Saint-Bonnet. Mais elle réclame un droit de trois sous pour le seigneur pour toute action en justice. On ne peut pas saisir les vêtements d'un homme sur la voie publique et si quelqu'un injurie un homme de Saint-Bonnet, le seigneur doit lui faire réparation. Les hommes de Saint-Bonnet doivent aider le seigneur en ses guerres etc.
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Armorial de Revel. La muraille était protégée par un fossé empli d'eau de 10 mètres de large et 8 mètres de profondeur. En bas: la porte Baume, ou Montrond, marquait l'entrée sud de la cité. Elle était précédée d'un pont-levis. Elle fut reconstruite à  la fin du XVe siècle. On distingue au dessus du plein cintre actuel l'arc brisé de la porte initiale ainsi qu'une archère murée. L'échauguette ou tourelle d'angle est venue se greffer dans la dernière partie du XVe. Accolés contre la porte Baume, les beaux restes (architrave, pilastre, tympan et voussures de la porte)  d'un édifice du XVI situé à  l'origine rue A. Jonilhon. Détruit par un incendie, il fut déplacé en 1935.
 
En 1287, Josserand de Saint-Bonnet meurt et la part principale de la seigneurie revient à  sa fille Dauphine qui la transmet à  son fils Robert, né d'un premier mariage avec Guy Damas, seigneur de Couzan. Dauphine de Saint-Bonnet contracta plusieurs unions. Son second mariage, avec Guy de Bagé, seigneur de Bresse, est particulièrement intéressant car, d'après certaines généalogies, peut-être hasardeuses, de cette union naquit à  Saint-Bonnet une fille: Sybille. Celle-ci reçut de sa mère les terres de Miribel, non loin de Périgneux, et en 1272 épousa Amédée V, comte de Savoie. Du mariage entre Sybille et Amédée seraient issus tous les comtes, ducs de Savoie, rois de Sardaigne et rois d'Italie. Lesquels trouveraient donc leur origine dans les Monts du Forez avec Dauphine de Saint-Bonnet.
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sbneufCi-dessus, l'hôtel Dupuy, maison de la fin du XVe siècle, sur quatre niveaux. Elle doit son nom à  François Dupuy, qui y est né en 1451. Prêtre, auteur de La Chaine d'or des Psaumes, il fut élu en 1503 Supérieur général de la Grande Chartreuse.
 
Mais revenons à  Saint-Bonnet. Robert ne garda pas la seigneurie. En 1291, il la vend huit mille livres viennois à  Jean Ier, comte de Forez, qui reçoit l'hommage des vassaux du mandement de Saint-Bonnet. Ces terres devient ainsi une des quarante-et-une châtellenies qui forment le comté de Forez.
 
A leur tête, le comte de Forez nomme un châtelain qui le représente, assisté d'officiers subalternes.
 
En 1333, Guy VII de Forez succède à  Jean, au moment où la guerre de Cent et les exactions qui l'accompagnent touchent tout le pays. L'enceinte, percée de six portes (dont la plus célèbre, celle de la "Châtelaine") est construite dans la seconde moitié du XIVe siècle dans le but de protéger les habitants des bandes anglaises qui écument la région.

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 L'oratoire de la porte de la Châtelaine (surnommée "porte de Mandrin")  est dédié à  Notre-Dame de Bon Secours
 
La ville, qui compte 2000 habitants  (selon Etienne Fournial dans Les villes du Forez), est exemptée du vingtain, une contribution financière pour les travaux de fortifications, mais doit en assurer elle-même l'entretien et la garde. Grâce à  ses fortifications, en même temps qu'à  sa situation géographique, la ville échappa aux pillages.
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Hôtel d'Epinac: il doit son nom à  l'archevêque de Lyon, un des chefs de la Ligue qui combattit l'avènement du roi Henri IV
 
C'est à  partir de la fin du XIIIe siècle et du début du XIVe siècle que la ville commence à  se développer. L'église est agrandie, le bourg s'étend. Deux nouvelles rues, la Grand rue et la rue Dessous, sont raccordées au Grand Chemin de Forez, qui passe à  Usson et dont le trafic contribue à  la vitalité de la cité. A la fin du XIVe, le travail du fer (couteaux, grilles à  trous renflés...) et du cuir, ainsi que la fabrication du textile s'y développent. Une oligarchie de riches marchands commence à  se constituer et des corporations se créent.  Dans le domaine religieux, on a écrit que l'église primitive (nommée chapelle - capella) dépendait de Saint-Nizier et ce n'est qu' en 1351  que fut érigée une paroisse à  Saint-Bonnet, avec un premier curé: Matthieu Bolle. A partir de 1382, les habitants peuvent enterrer leurs morts dans leur ville au lieu de le faire à  Saint-Nizier. Une nouvelle église, sur l'emplacement de la précédente, est construite grâce aux dons des marchands, par exemple, celui de Guillaume Taillefer, drapier de son état. La première pierre est posée le 8 mai de l'an 1400, sous le ministère de Michel Dalmas. 18 ans plus tard, les travaux prennent fin mais des agrandissements interviendront régulièrement jusqu'au XVIIIe siècle. Dès la fin du XVe siècle, on dénombre pas moins de douze chapelles latérales, toutes fondées par des donateurs !
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Classée M.H. en 1946, cette maison date de la seconde Renaissance. Plus bas, la chapelle du couvent des Ursulines. Celle-ci comporte de nombreux chefs-d'oeuvre, dont un maître-autel classé et une décoration remarquable.En revanche, les trois sculptures qui ornaient son fronton ont disparu à  la Révolution.
 
Au XVIe siècle, la ville subit divers fléaux. La guerre avec le passage du Baron des Adrets en 1562, qui ravage l'église malgré la résistance des habitants, et la maladie, dont la peste, à  plusieurs reprises. Suit la Contre-Réforme et l'installation en 1620 de dévotes dans l'enclos de l'ancien château.
 
Deux ans plus tard, elles sont affiliées aux Ursulines et Françoise de Bermond, fondatrice de l'ordre en France s'y éteint en 1628. Les religieuses seront chassées à  la Révolution, quand Saint-Bonnet deviendra Bonnet-la-Montagne, de même que les Capucins installés au faubourg de la Bernarde et que la confrérie de Pénitents blancs instaurée à  la même époque.
 
Ces groupes religieux s'ajoutent à  la  communauté des prêtres qui s'apparente à  un chapitre de chanoines. D'où le nom de "Collégiale" donnée à  l'église. Dirigés par le curé de la paroisse, ils portent un habit particulier qui les distingue et possèdent un quartier, appelé "le cloître", situé dans l'îlot  à  l'ouest de l'église, où se trouve le presbytère avec son jardin et son verger qui montent vers l'église. Il comprend le logement du curé, plusieurs logements pour les prêtres et une grande salle commune appelée "le Cénacle", utilisée pour les grands repas de la communauté ou des confréries.
 
Ces prêtres sociétaires jouent un grand rôle. Ils forment en effet un foyer culturel important, possèdent dans l'église une bibliothèque et fondent en 1379 une école qui acquiert vite une certaine renommée. Mais la célébrité régionale de ces religieux, du XVe au XVIIIe siècles, est due à  la qualité de leur pratique de la musique, à  l'étude de laquelle ils attachent une grande importance.
 
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Un des anges musiciens de la chapelle basse de la Collégiale
 
A tel point, écrit Langlois dans son Histoire de Saint-Bonnet-le-Château, que pour faire partie de la communauté, "il faut être suffisamment instruit dans cet art". Elle fait partie de l'enseignement qu'ils prodiguent dans leur école, au même titre que la théologie, la philosophie, le latin, l'étude des Saintes Ecritures, l'histoire religieuse et profane, le droit... "Il y a une fort belle esglise, et la mieux servie du Forez, ors celle de Nostre-Dame de Montbrison, pour la cantité de bons musiciens  qu'il y a d'ordinaire en cestte ville..." écrit Anne d'Urfé en 1607.
 


Dans le domaine de la littérature, trois noms sont nés dans la petite ville. Il s'agit de François Dupuy, Antoine du Verdier et André Ducros. Ce dernier, qui était probablement calviniste, fut le médecin et le poète attitré de Jeanne d'Albret, reine de Navarre. Il est l'auteur du Tombeau d'Illustre Louys de Bourbon Prince de Condé, une pièce d'un millier de vers, d'un Discours sur les misères de ce temps qui donnait la réplique à  Ronsard, de sonnets... François Dupuy, né en 1451, expliqua les Psaumes dans la Catena Aurea super Psalmos, en hommage à  l'ouvrage du même nom attribué à  Saint-Thomas. Antoine du Verdier enfin (1544-1600) fit paraître en 1585 La Bibliothèque, première bibliographie des ouvrages de langue française.
 
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Du point de vue économique, la petite ville connaît un bel essor à  partir du XVIe siècle. Tanneurs et tisserands y sont nombreux. "En ceste ville se font les meilleures forces à  tondre drap qu'on sache en lieu du monde" écrit encore Anne d'Urfé dans sa Description du Forez. La passementerie n'apparait qu'au début du XXe siècle avec la maison stéphanoise Vallat-Perronnet qui construit des ateliers au nord de la ville. En 1911, elle emploie près de 200 personnes. A partir de 1750, et jusqu'à  l'arrivée du chemin de fer, se développe aussi dans les environs de Saint-Bonnet l'industrie du bois avec les scieurs de long saisonniers.
 
Entrée de la bibliothèque
 
Ceux-ci fournissent la matière nécessaire à  la construction des Rambertes destinées au transport du charbon. Outre la coutellerie, la production des fiches de paumelle devient florissante et perdurera jusqu'au XIXe siècle. Il s'agit des axes de pivotement qui sont fixés sur les gonds, qui supportent les volets et les portes. La plupart du temps, ce sont des agriculteurs qui les fabriquent en marge de leur activité principale. Les différentes phases de fabrication des serrures s'effectuent séparément les unes des autres dans de petites ateliers, puis les pièces sont collectées par des commis.

A compter du XIXe siècle, c'est l'armurerie qui prend le relais. Un nouveau principe du fusil, l'armement automatique à  l'ouverture, fait appel à  la dextérité des serruriers puisqu'il faut assembler une multitude de petites pièces dans la bascule mécanisée. On compte alors jusqu'à  400 compagnons armuriers travaillant, quand ce n'est pas à  domicile, dans les ateliers  Zavaterro (installés en 1906 et rachetés par Souvignet en 1937)  ou de Montcoudiol. 
 
Sur la vitre d'un bar qui porte son nom, Mandrin se rappelle à  notre bon souvenir. Le roi des contrebandiers est passé à  Saint-Bonnet durant sa cinquième « campagne » en 1754. Il n'y resta que quelques heures à  rançonner les notables et les employés de la Ferme générale.
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Au début du XXe siècle, Saint-Bonnet est un des plus importants centres de négoce de l'arrondissement de Montbrison, avec Feurs et Sury.
 
Le train arrive en 1873 et grâce à  lui, l'entreprise Daurelle-Fournier, qui fabrique des cierges et des bougies, s'installe à  Saint-Bonnet en 1879.  Mais l'exode rural et la grande saignée de la guerre de 14-18 devaient rompre l'élan économique du début de siècle, malgré la venue d'autres entreprises, Souvignet et l'armurerie Chapuis qui s'installent dans la partie nord-ouest de la commune.
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En 1977, Souvignet investit les locaux de l'ancienne Union Rubanière pour y fabriquer du mobilier de jardin sous la marque "Sopler". Cette fabrication perdure jusqu'au milieu des années 80. Les locaux sont alors reconvertis, jusqu'au début des années 90, en ateliers de montage pour des produits de la marque Ikea. Ils abritent aujourd'hui le musée international de la boule. Voilà  en effet la grande affaire de Saint-Bonnet: la boule de pétanque. 
 
"Les boules JB" sont les plus anciennes, créées par Jean Blanc et Louis Tarchier en 1927. "Obut" emploie quant à elle 150 personnes sur le site (photo du siège ci-dessous). Son histoire débute en 1955 quand Frédéric Bayet, fabricant de serrures, et Antoine Dupuy, mécanicien,  déposent la marque. En 1958, pour que l'entreprise prenne plus rapidement une autre dimension, ses fondateurs font appel à  la famille Souvignet. Depuis 1985 existe aussi aussi la "Boule noire" de compétition.
 
A signaler encore une fabrication originale, celle des paillons de seigle (enveloppes de paille pour bouteilles de verre) qui subsista de 1927 jusque dans les années 1950, quand les bouteilles en plastique eurent raison d'elle.

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Usine des boules JB