
Durant la décennie 1820, la population protestante de la région stéphanoise était sans structure religieuse et attirait des prédicateurs étrangers. Ainsi, deux expériences ont précédé celle d'Henriquet. Celle de l'Anglais Walter Croggon, disciple de Charles Cook, pasteur méthodiste dans la vallée du Gier qui prêche à Saint-Julien-en-Jarez en 1823. L'année suivante, une communauté quaker est fondée à Saint-Jean-Bonnefonds (2). Elle compte une trentaine de membres. Alexandre Henriquet était pour sa part originaire de Suisse. Le livret de 46 pages qu'il a laissé est d'un intérêt exceptionnel. Il raconte le quotidien d'un "missionnaire" dans le bassin stéphanois, alors plongé dans le tourbillon de la Révolution Industrielle naissante, et évoque le "Réveil" dans notre région. Il révèle, enfin, ses relations avec les autres communautés religieuses et met à jour ses difficultés avec l'autorité civile.
A travers son livret, on peut dépeindre quelques traits de son caractère. Il affiche un certain mépris envers ceux qui ne partagent pas sa sensibilité et parfois preuve d'un orgueil à peine dissimulé. Il se pose souvent en gardien du Temple: "Un tel n'est pas mûr pour recevoir la communion, un tel doit encore attendre, etc." Il ne supporte pas la remise en question de la doctrine qu'il défend, et qui est pour lui la seule Vérité. Toutefois, sa personnalité offre souvent des facettes contrastées qui en font un personnage souvent attachant: il est toujours très disponible, ne se ménageant pas pour le troupeau dont il a la charge, même lorsqu'il est malade. On append justement qu'il est de santé fragile: il ne peut assurer ses réunions le 3 mars, le 28 mars, le 30 mars, le 7 avril, le 23 avril... Il se révèle très humble, dans l'épisode de la femme possédée de Jonzieux: il s'agissait d'une habitante de ce village, possédée par le diable. Apprenti thaumaturge, il s'en remet à la seule puissance de Dieu, se considérant seulement comme l'instrument de la volonté divine. C'est une âme tourmentée, au questionnement incessant. Il renvoie l'image d'un homme d'une grande sensibilité.

Le filet évoque le célèbre pictogramme ICHTUS.
C'est le symbole de l'Eglise toute entière rassemblée.
"Je vous ferai pêcheur d'hommes"
Les sermons portaient sur des questions très précises où la rémission des péchés tenait une grande place mais le thème favori restait celui du mérite et de la Grâce. Venaient ensuite les questions des deux règnes sur terre, celui de Dieu et Satan; la différence entre Rédemption et Salut; celle des devoirs du Chrétien. Autant de leitmotiv que l'on retrouve souvent avec des observations de la part des fidèles qui parfois lui reprochent, telle Mme Defuz, d'effrayer les pécheurs par le contenu des sermons ou de croire au fatalisme.
A lire les annotations de son livret, on constate que l'expression de la foi est empreinte d'un grand sentimentalisme:
25 février: "On ne voit pas en lui le combat spirituel."
28 février: "On ne peut lui parler du seigneur sans qu'elle ne verse de larmes."
11 août: "Ses yeux se mouillent de larmes."
Alexandre Henriquet se déplace beaucoup. Il prêche à Annonay chez des particuliers, se rend au temple de Lyon, à celui de Bourgoin, à Clermont... Comme au XVIe siècle, il distribue des livrets religieux, des Nouveaux Testaments. Dans la Loire, une petite vingtaine de personnes assistent à ses assemblées qui se déroulent chez des particuliers . Il écrit parfois leurs noms mais rarement leur profession: Delorme, la veuve Morel, Vaillant, Bottaux (boulanger), Brossy et sa femme, sa belle-soeur, Moudet et sa femme... Il évoque aussi une gouvernante à Saint-Genest-Lerpt "et dont le maître est janséniste." Certains parmi ses fidèles appartiennent peut-être à la communauté des Béguins (3) avec lesquels les relations semblent se passer pas trop mal, les deux communautés partageant un certain nombre de points de vue: le prosélytisme, le caractère familial de la pratique religieuse, l'importance de la lecture des Ecritures Saintes, la méfiance vis à vis de Rome, que le pasteur appelle "Babylone" dans son journal, l'attirance pour les prophètes... Dans son journal, à la date du 9 août, Henriquet écrit: "Plusieurs (Béguins) commencent à perdre confiance en leur Elie et nous espérons qu'ils se rapprocheront des enfants de Dieu." Le 29 mai, il note que les Jansénistes habitent le quartier de Polignais. C'est le quartier où vécut le Père Popin un des chefs de file du Jansénisme dans le Forez (4). Vingt ans après, le groupe existe toujours. On sait encore que le 4 août, Henriquet rencontra le maître de maison de Saint-Genest-Lerpt, évoqué à propos de la gouvernante. Il "regrette l'infaillibilité du pape" , note le pasteur.

Les difficultés survinrent avec l'arrivée d'un pasteur de l'Eglise Réformée, Mr Montandon, qui essaya de faire cesser ces réunions. Certains, par crainte de la prison, les "désertèrent" et rejoignirent l'église officielle. Les choses se passèrent bien plus mal encore avec les Catholiques. Henriquet est traité de ministre du diable et le journal du 16 mars indique que trois fanatiques s'en prirent à lui. A la date du 6 juillet, le pasteur fait part de sa lassitude: " Contre mon gré, me voici encore à Saint-Etienne." Face à l'adversité ambiante, aux difficultés administratives, aux nombreuses plaintes déposées contre lui, il fut contraint à quitter Saint-Etienne. Mais d'autres parmi ses fidèles persistèrent pour voir leur culte reconnu en 1836 . Mais n'étant pas Concordataires, ils ne purent prétendre à aucune aide de l'Etat. En 1850, cette "Eglise libre" fit construire un lieu de culte place Royet à Saint-Etienne, nommée "La Chapelle". Elle ne rejoignit l'Eglise Réformée de France qu'en 1938.
1) Né en Angleterre vers 1740, il tire son nom d'exercices spirituels menés selon une méthode précise.
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2) D'après un Mémoire de Maîtrise d'Histoire de Cécile Perrier (1994).
Le mouvement quaker est né au XVIIe siècle en Angleterre. Fondé par G. Fox, il se différencie notamment par l'absence de toute structure hiérarchique.
3) Les Béguins appartenaient à un courant du Jansénisme et/ou Jansénisme convulsionnaire. La plupart d'entre eux ont rejoint les églises protestantes. C'est un de nos vieux projets que de mettre en ligne un article à ce propos (NdFI)
4) Le Père Popin du "caveau des Jansénistes" au cimetière du Crêt de Roc (NdFI)
5) Cette jeune communauté est placée sous la protection du Consistoire de Lyon. Dans la tradition de la Réforme calviniste, c'est l'organe de direction d'une église locale, formée du pasteur et d'un certain nombre de laïcs. Sous le régime concordataire, et jusqu'en 1852, l'église locale est remplacée par une "Eglise consistoriale" pour 6000 fidèles dirigée par un consistoire formés de notables élus parmi les plus riches.