Le général Berthelot est peu connu en France. Il contribua pourtant à la victoire de 1918, en particulier sur le front de l' Europe de l'Est. En Roumanie au contraire, son nom est encore honoré de nos jours.
Savez-vous qu'il existe à Bucarest une grande rue portant le nom d'un Forézien ? Mieux encore, savez-vous qu'un petit village roumain des Carpates (ou Carpathes) le porte aussi ? Il s'agit du général Henri-Mathias Berthelot, né à Feurs, un héros national en Roumanie est un illustre inconnu en France et dans son Forez natal. Pour évoquer son histoire, nous avons d'abord utilisé un article paru dans La Région illustrée en 1931. M. Jean-Luc Messager nous a également fourni de précieuses informations. Officier de l'Armée de terre, il fait partie de l'Etablissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense (ECPAD) qui, fin 2006, a participé au montage d'une exposition dans les salons de l'ambassade de Roumanie à Paris. Nos remerciements encore à Mme Marcela Feraru qui a réalisé pour l'ECPAD le documentaire "Le pain et le sel" dont sont extraites un certain nombre d'images illustrant notre article.
En introduction, nous vous invitons à lire celui-ci, publié en son temps sur le site " Roumanie de France".
A " Général Berthelot " le coeur se met à fondre
" Existe-t-il un endroit où, plus que dans un tout petit village de 350 habitants, au pied des Carpates, le coeur d'un Français peut fondre aussi vite ? A son entrée, un simple panneau. Dessus, son nom : Général Berthelot. Quelques centaines de mètres plus loin, la mairie. Trois drapeaux neufs, à faire pâlir de honte bien des administrations publiques de chez nous, y flottent : les couleurs de la Roumanie et de la France entourent les douze étoiles de l'Europe. Une plaque de marbre blanc, apposée sur la façade extérieure, rappelle que le 28 janvier 2001, à l'occasion du 70ème anniversaire de la mort du général français, on y a célébré sa mémoire, en présence des autorités du judet, civiles, militaires et religieuses, de la population, une garde d'honneur et la fanfare militaire interprétant la Marseillaise en l'absence de tout représentant de l'ambassade de France, pourtant chaleureusement invitée. Le héros que la " Grande soeur " lui avait envoyé pour sauver la Roumanie Quelques semaines plus tôt, à l'occasion d'un référendum local, Unirea - c'est l'appellation que Ceausescu lui avait donné en 1965 - avait décidé de reprendre le nom de Général Berthelot que ses habitants lui avaient donné en 1923 et qui avait fait sa fierté depuis lors, abandonnant l'ancienne appellation de Farcadin de Sus.
A cette époque, toute la Roumanie fêtait ce héros de la Grande Guerre que sa " Grande soeur " de l'autre bout de l'Europe lui avait envoyé à la tête d'une mission militaire pour permettre de résister aux troupes austro-allemandes et ainsi donner naissance à la Grande Roumanie. En reconnaissance, le gouvernement de Bucarest avait remis au général Berthelot une propriété de 60 hectares dans ce village d'Hunedoara, à quelques kilomètres d'Hateg. Bon vivant, chaleureux et simple, le vieux militaire appréciait beaucoup de se retrouver parmi cette population qui le touchait autant qu'elle l'adorait. Chaque fois qu'il venait dans cette belle et large demeure rustique, rien ne manquait, de sorte qu'il pouvait s'y installer comme s'il y avait habité tout le temps. La cour, le jardin, le verger, la ferme étaient dans le même état que la maison. Dès le premier soir, il pouvait descendre déguster un verre de vin qui remplissait la cave, prendre le café dans la véranda, se reposer sur le divan couvert de tapis et de fourrures, veillé par l'icône d'argent accrochée au mur, entendant dans la froide nuit hivernale les loups qui hurlaient dans la montagne. Il semblait lui-même un seigneur campagnard, né et élevé la-bas, allant pêcher des carpes dans la rivière " Galbena ", bavardant avec les paysans revenant des travaux des champs. Le général avait précisé qu'il voulait qu'à sa mort sa propriété revienne à l'Académie roumaine dont il était membre d'honneur. A charge pour elle, de s'en servir pour promouvoir toutes les initiatives servant l'amitié entre les deux pays. Malheureusement, cet engagement n'a pas été tenu sous le communisme, et la propriété est à l'abandon.
La plaque sur la mairie de Nervieux
En votant à 90 % pour reprendre le nom de " Général Berthelot ", les habitants d'Unirea, qui n'avaient jamais aimé cette appellation, courante sous le communisme et synonyme de collectivisation forcée, rêvaient sans-doute de retrouver cet âge d'or et un peu de la France. Symboliquement, le changement de nom a eu lieu le 7 décembre 2001, 140 ans jour pour jour après la naissance du général. Te Deum à l'église, défilé et cérémonie militaire, discours, programme artistique tout le judet était à nouveau présent ainsi que tous les habitants du village conviés à une " pomana ", ce repas des morts où les proches du défunt, ceux qui le connaissaient, se retrouvent, quarante jours après son décès pour célébrer sa mémoire. On y partagea les plats traditionnels, soupe de poulet, fripturi (fricassées), sarmale. Les 15 enfants des écoles interprétèrent les chansons françaises que leur maîtresse leur avaient apprises en l'honneur des nombreux hôtes de ce pays ami qui ne manqueraient pas de venir. Ion Moca, le président de l'association " Général Berthelot " avait préparé une allocution à leur intentiono. Encore une fois, l'ambassade de France était absente, mais l'assemblée se consola vite avec la présence d'un descendant du Général, Christian Vigné, seul Français à s'être déplacé et qui en revint bouleversé. Sur place, les " Berthelotani " et les " " Berthelotane " - ce sont désormais leurs noms - ne se formalisent pas de ce désintérêt. " La France est un si grand pays. Elle a sûrement d'autres choses à faire ". Clara Bacalete, la directrice d'école, qui met un point d'honneur à ce que tous les élèves du village apprennent le français, rêve cependant à l'impossible : " si seulement une école de là -bas voulait correspondre avec nos enfants."
Berthelot et la Mission Roumaine
Le général Henri-Mathias Berthelot nait en 1861 à Feurs. Militaire de carrière dans l'infanterie, il fait campagne en Afrique et en Extrême-Orient. Au commencement de la première guerre mondiale, il est brigadier puis aide-major général du maréchal Joffre en août 1914. Trois mois plus tard, il est nommé commandant de la 53ème division de réserve. En 1915 il commande temporairement le 32ème corps d'armée.
Quelques mois plus tôt, la Roumanie avait proclamé sa neutralité en faisant valoir aux puisances centrales que l'accord secret de 1883 avec la Triplice ne devait jouer qu'en cas de guerre défensive. La classe politique est alors partagée mais l'opinion publique est plutôt francophile. Le 10 octobre 1914, le Roi Carol meurt et son neveu Ferdinand lui succède. Au même moment, la France et la Roumanie renouent des relations plus étroites qui se traduisent par l'envoi en France de la mission Rudeanu qui a pour objectif d'acheter des armes et des munitions. A mesure que les négociations avancent, le Président du Conseil, Aristide Briand, juge nécessaire d'étoffer les échanges militaires. A cette époque également, le Général Joffre permet aux Roumains comme aux autres alliés de se rendre dans la zone des opérations militaires. Mais d'autres Roumains sont déjà engagés dans les forces combattantes. Bon nombre d'entre eux vivant en France ont rejoint la Légion étrangère et ont livré bataille à l'ennemi austro-hongrois. Comme les Italiens de Garibaldi ou les Espagnols de Sacristan, sous les ordres d'officiers étrangers, comme eux, ils ont fait leur choix.
Les Français pour leur part songent à envoyer une mission d'assistance en Roumanie et confient au Général Piarron de Montdésir le soin de mettre sur pied cette représentation. Avec l'aide de Philippe Berthelot, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Piarron de Montdésir entre en contact avec le ministre plénipotentionnaire roumain à Paris, Alexandru Lahovari. Avec Aristide Briand, le courant passe tout de suite, les deux hommes se rencontrent souvent mais se heurtent au refus de Bratianu de poursuivre la collaboration car ce-dernier estime « qu ' accepter conduirait, à titre de réciprocité, à admettre une mission allemande de même nature ».

Cimetière Belu, cérémonie du 11 novembre.
Chaque année le monument surmonté du coq est pavoisé aux couleurs des deux pays.
Après l'entrée en guerre de son pays, Ion Bratianu décide de renforcer la mission militaire roumaine en France. Un accord secret est signé à Bucarest entre la Roumanie et l'Entente le 17 août 1916. Ainsi la Roumanie se voit elle garantir la possession de la Transylvanie jusqu'à la ligne de la Tisza. Dix jours plus tard, elle déclare la guerre à la Monarchie Austro-Hongroise et les premiers soldats roumains franchissent les Carpates. Les Roumains de Paris sortent dans la rue et éclatent de joie à cette annonce. Autour de l'église roumaine, rue St Jean de Beauvais, c'est la liesse. Un TE DEUM est spécialement organisé à cette occasion. Devant la Sorbonne, à l'appel d'artistes et d'écrivains comme le dramaturge Miffren, les étudiants déploient des drapeaux français et roumains. Le 9 septembre 1916, l'état-major roumain désigne le Général Georgescu comme son représentant auprès des grands quartiers généraux français et britanniques. La mission militaire et diplomatique est reçue au Quai d'Orsay le lendemain de la déclaration de guerre.


Mais les troupes roumaines subissent un désastre, les deux tiers du pays sont occupés par les troupes bulgares et austro-hongroises et le typhus frappe durement la capitale. « La France, dit Bratianu, doit considérer l'armée roumaine comme l'une de ses propres armées ». Une victoire en Roumanie peut entraîner la victoire générale des Alliés et l'ouverture du 2ème Front devient une nécessité.

Le 15 octobre le Général Berthelot arrive à Iasi à la tête d'une mission militaire. Il a été choisi en raison de son expérience et de son caractère placide. Dès son arrivée, il s'efforce de trouver un écho favorable auprès des militaires rouamins. Il n'aura pas beaucoup de mal à l'obtenir. Il est adopté d'emblée par l'armée qui l'affuble du surnom affectueux de papa Berthelot. Son rôle sera autant militaire que diplomatique. C'est lui qui accueille Albert Thomas, ministre des munitions français lors de son voyage en Roumanie. C'est encore lui qui apprend à Albert Thomas, les usages traditionnels lorsqu'ils rencontrent le Roi Ferdinand 1er en Gare de Harlau. Avec lui, ils partagent le pain et le sel, signe d'une amitié indéfectible. Les efforts de Berthelot sont récompensés par la bonne tenue de l'armée roumaine qui effectue des tirs d'artillerie. Le roi en personne lui décerne l'ordre de Michel Le Brave. Les officiers des deux pays peuvent se congratuler; quand elle défile devant eux, l'armée roumaine est de nouveau prête pour la victoire.


Le roi décerne au général l'Ordre de Saint-Michel le Brave.
Documents ECPAD
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Car c'est bien là l'explication de l'ampleur de cette mission: au-delà de la petite Roumanie, c'est l'immense Russie que Berthelot a reçu mandat de maintenir le plus longtemps possible en guerre. Il est expulsé de Roumanie sur ordre des Allemands qui satellisent le pays au printemps 1918 en l'obligeant à signer la paix de Bucarest le 7 mai 1918. Mais la Roumanie n'en reprend pas moins la lutte après l'effondrement de la Bulgarie et Berthelot rentre triomphalement dans Bucarest le 1er décembre suivant, au moment même où naît la Grande Roumanie, dont il peut être considéré comme le parrain. En effet, la réunion de la Bucovine, de la Bessarabie, du Banat et de la Transylvanie font du royaume danubien une puissance régionale. La France compte désormais sur les Roumains pour jouer le rôle de gendarmes régionaux face à la Hongrie irrédentiste (guerre de 1919) et face à la Russie désormais bolchevique.

Il assiste à Iasi, en Moldavie, siège du gouvernement, au défilé des troupes victorieuses. Il est reçu à Arad par les Roumains de Transylvanie et à Bizstriza, dans les carpates orientales, c'est tout le peuple qui le fête. Asibiu, la population se regroupe pour acclamer la France et les habitants de Transylvanie montrent leur joie à Berthelot.

A la fin des hostilités, même s'ils n'ont pas combattu directement sur le front occidental, les soldats roumains sont conviés au grand défilé de la victoire le 14 juillet 1919. C'est que la petite Roumanie aura payé un lourd tribut à la guerre sur le front Est: 1 million de soldats mobilisés, 340 000 tués ou disparus, 300 000 blessés et plus de 100 000 prisonniers auxquels il faut rajouter 300 000 victimes civiles.

Le ministre de la Guerre, M. Painlevé, en citant le Forézien à l'ordre de l'armée le 28 août 1917 rappela l'importance de la mission Berthelot dans la marche vers la victoire : "Sous l'éminente direction de son chef, le général Berthelot, qui a su donner à tous ses collaborateurs une impulsion vigoureuse et éclairée et leur communiquer son ardente conviction et son sentiment élevé du devoir, la mission roumaine a brillamment réussi à remplir le rôle délicat de réorganisation qui lui avait été confié. Au cours de sévères et glorieux combats qui ont amené l'échec de l'offensive allemande dans la région du Séreth, le personnel de la mission française a, en outre, donné la preuve, sur le champ de bataille, d'un dévouement et d'un esprit de sacrifice auxquels le commandement roumain s'est plu à rendre hommage ; en contribuant ainsi à exalter le moral des armées roumaines, il a rendu un service signalé à la cause des Alliés."
Le général Berthelot fut aussi chargé d'une mission aux Etats-Unis et se vit confier en juillet 1918 par Foch le commandement de la Vème Armée qui participa aux batailles devant Reims et Epernay. Après la défaite allemande, il partit en mission dans les Balkans puis fut nommé gouverneur militaire de Metz jusqu'en 1922, de Strasbourg enfin à partir de 1923. Le général Berthelot, Grand-Croix de la Légion d'honneur, détenteur de la Croix de guerre et " citoyen d'honneur de Roumanie " s'éteignit à Paris le 29 janvier 1931.
Le général sur son lit de mort. La palme de bronze envoyée par le Roi de Roumanie aux obsèques du général Berthelot se trouve t-elle aujourd'hui à la mairie ou dans l'église de Nervieux ?
L' Hommage de deux Nations
Dès l'annonce du décès du général, le Ministre de la Guerre, M. Maginot vint saluer le corps veillé par une infirmière et son cousin Felix Berthelot. La dépouille du général était alors revêtue de sa grande tenue sur laquelle était épinglées les nombreuses décorations nationales et étrangères. Sur une table, deux cierges allumés encadraient une croix noire. Puis ce fut le tour du général Gouraud, gouverneur militaire de Paris de venir s'incliner. Ensuite se succèdèrent une foule de personnalités : Pierre Laval, Président du Conseil, Constantinescu, vice-président du credit minier franco-roumain, le général Weygand, M.D. Cesiano, ministre de Roumanie à Paris...
L'annonce du décès suscita une grande émotion en Roumanie. Georges Mironesco, Président du Conseil des Ministres de Roumanie fit parvenir un télégramme au Président du Conseil français : "La mort prématurée du général Berthelot remplit de profonde douleur la nation roumaine reconnaissante au grand général pour son importante contribution à la réorganisation de l'armée roumaine, ainsi que pour sa part glorieuse dans la victoire commune. Au nom du Gouvernement roumain je prie Votre Excellence de vouloir bien agréer l'expression de nos condoléances les plus sincères. La Roumanie gardera éternellement au grand disparu un pieux souvenir."
De nombreuses personnalités assistèrent aux funérailles célébrées à Paris en l'église Saint-Louis des Invalides le 31 janvier 1931. Parmi elles, M. Cezianu, représentant du Roi et du Gouvernement de Roumanie et le général Dimitriesco. Le Maréchal Pétain prononça l'éloge funèbre se terminant par ces mots : "Général Berthelot, votre vie restera pour nous un exemple des fortes vertus du soldat. Au nom du gouvernement et de l'armée, je vous adresse un suprême adieu."
A l'autre bout de l'Europe, tous les drapeaux furent mis en berne et un Requiem fut célébré en présence des représentants du roi et de tous les chevaliers de l'ordre de Saint-Michel le Brave. Le ministère de l'Instruction publique décida que dans toutes les écoles du pays une heure serait consacrée à la mémoire du défunt tandis que le journal Universul écrivait : "Le nom du général Berthelot restera inscrit sur le livre d'or de la nation, près de ceux des créateurs de la Roumanie unifiée."
Vers la terre natale
A l'issue de la cérémonie, le cercueil hissé sur un canon de 75 reçoit les honneurs militaires et gagne en cortège la gare de Lyon. Il est hissé sur un fourgon de l'express Paris-Saint-Etienne et s'en va vers la Loire. Il est descendu en gare de Balbigny et monté sur un corbillard ; une capote bleu horizon, un drapeau national et un képi brodé de feuilles de chênes y sont déposés. C'est sous la pluie que le cortège rejoint ensuite le village de Nervieux, distant de 3, 5 km et où l'attend toute la population et sa famille. Le cortège passe devant la maison familiale où le général aimait venir se reposer et se dirige vers l'église où le parvis est noyé sous les couronnes de fleurs. On en distingue trois en particulier, barrées de larges rubans aux couleurs roumaines, - bleu, jaune et rouge- sur lesquels se lisent ces inscriptions : "Au citoyen d'honneur, le général Berthelot, le parlement roumain ; Le Gouvernement roumain au général Berthelot ; L'Armée roumaine au général Berthelot." Parmi les fleurs, une plaque noire marquée de lettres d'or supporte une palme de bronze, offerte par le Roi Carol II. Elle a été apportée par avion de Bucarest.
L' office religieux fut célébré par le cardinal Maurin et le cortège se dirigea vers le cimetière, emmené par les anciens combattants de la commune, la garde d'honneur montbrisonnaise commandée par l'adjudant Besse, M. Heumann, secrétaire général de la préfecture de la Loire, tout le conseil municipal municipal et de nombreuses autres personnalités de la région.
Arrivée du cortège funèbre à Nervieux par la route de Balbigny
Tombe du général à Nervieux
Pour en savoir+:
Le Général Berthelot - l'action de la France en Roumanie et en Russie méridionale (1916-1918) par Jean-Noel Grandhomme, Harmattan - Aujourd'hui l'Europe 2000 / 1190 pages