NdFI. En 2015, pour le 120e anniversaire de la constitution de la Confédération générale du travail (congrès de Limoges, septembre 1895), Roger Gay a publié dans les Cahiers d'Histoire sociale de l'IHS CGT Rhône-Alpes, numéro 114, un article titré « 120 ans, un long fleuve tranquille ? » dans lequel il revient notamment sur la naissance laborieuse des Unions syndicales départementales. On ajoute en préambule un bref texte d'Alain Bujard sur la grève des verriers de Rive-de-Gier en 1832, publié dans ce même numéro dans la rubrique « le mouvement ouvrier dans la Loire avant la création des syndicats », d'après l'ouvrage Histoire du mouvement ouvrier dans le département de la Loire de Pétrus Faure (1956). Cette page vient en complément de celle sur la grève des passementiers de 1834, reproduite sur notre site, rubrique Encyclo - Histoire sociale de la Loire. Selon la formule consacrée et déjà mentionnée, les propos contenus ici n'engagent que leurs auteurs.
La grève des verriers de Rive-de-Gier
Les verriers de Rive-de-Gier et de Givors avaient depuis longtemps fondé une association puissante, possédant en 1832 91 000 francs, une somme énorme à l'époque. Aussi, grâce aux ressources de leur société, les verriers se sentaient forts. Or, les maîtres des verreries désiraient réduire les salaires alors que les ouvriers sollicitaient au contraire une augmentation. Ce fut la cause de la grève qui éclata à la fin du mois de juin. Le 27, les « grands garçons » et les souffleurs ripagériens quittèrent le travail. Par contre, les « tireurs » ne se joignirent pas au mouvement. Cette grève fut paisible. Il n'y eut aucun incident. Les grévistes se promenaient dans la rue en chantant. Cependant, comme les grévistes tentèrent d'entraîner leurs camarades de Givors dans le conflit, les maîtres verriers de ces deux villes et de Vienne décidèrent de déclarer le lock-out.
Ainsi les quatorze fours de ces verreries, dont huit à Rive-de-Gier, furent éteints. 500 ouvriers ripagériens se trouvèrent sans travail. Au bout de quelques jours, une délégation composée d'une dizaine de grévistes se rendit à la sous-préfecture de Saint-Etienne (la préfecture n'avait pas encore déménagé, ndFI) pour demander aux autorités d'intervenir auprès des patrons. En application de la loi sur le délit de coalition (loi Le Chapelier de 1791 abrogée en 1884), les autorités menacèrent de poursuivre les grévistes. Et en effet huit grévistes « grands garçons » furent arrêtés et traduits devant le tribunal correctionnel. Sept furent condamnés à un mois de prison. La grève s'acheva le 2 septembre aux conditions fixées par les employeurs...
La naissance des Unions départementales de la CGT
Ce ne fut ni simple, ni facile ! Cent vingt ans après le congrès de Limoges, il n'est pas inutile de regarder comment cela s'est concrétisé dans notre région, quel cheminement, quelles difficultés, voire quelles situations conflictuelles. Pour bien appréhender la situation d'alors, il est important de rappeler qu'en cette fin du 19e siècle, ce qui constitue les prémices du syndicalisme est un ensemble morcelé, pour ne pas dire divisé, et encore fortement marqué de l'empreinte du corporatisme.
Une réalité qui est alors à prendre en compte est l'opposition entre petites organisations et celles s'implantant dans la grande industrie naissante. La notion d'interprofessionnel se heurte aux organisations syndicales se libérant de l'étroitesse du métier en prenant en compte l'industrie. Ce genre d'initiatives allant à l'encontre des syndicats corporatistes va se concrétiser par la constitution de la Fédération des chambres syndicales de l'agglomération lyonnaise en 1881. On retrouvera ce genre d'initiative à Saint-Chamond, à Roanne. Il y eut des tentatives à Chambéry, Givors, Romans ou encore Bourg de Péage et Vienne. Pour certaines, elles seront éphémères et auront du mal à « organiser l'action » qui est fortement influencée par les organisations liées à l'évolution industrielle, marquée par la création d'usines ou de fabriques qui deviennent aussi des concentrations de travailleurs. La jeune CGT se nourrira de tout cela pour affirmer progressivement son autorité et construire son organisation en France et plus particulièrement dans notre région.
Toutefois, il faudra attendre les premières années du 20e siècle pour qu'elle réalise sa structuration en paraissant moins éloignée du quotidien du monde du travail. On constate que durant ces premières années 1900, l'adhésion à la Confédération se traduisait plus par l'adoption de thèmes ou de mots d'ordre que par une « affiliation réelle », il suffit de relire les compte-rendus des congrès qui reflètent bien cette situation. A cette époque, si les syndicats d'industries se regroupent sans trop de difficulté, il n'en est pas de même pour l'organisation interprofessionnelle dans les départements.
La naissance des Unions départementales va être laborieuse et pour beaucoup de syndicalistes d'alors elles sont ressenties comme des sortes de fédérations venant d'en haut. Dans certains cas elles apparaissent comme étant un refuge pour des militants, souvent anarchistes, écartés des Bourses du travail.
Leur implantation dans les départements de notre région s'étalera sur cinq années. La première fut fondée en 1907. C'est l'Union des syndicats du Rhône qui à partir de 1912 étendra son activité à la partie de l'Ain et de l'Isère (Bas-Dauphiné) proches du Rhône. Durant cette période se met en place une Fédération interdépartementale des syndicats ouvriers des Deux Savoies ayant son siège à Chambéry et qui en 1910 prendra l'appellation d'Union départementale. L'Ain, en 1908, créera son Union départementale avec la Franche-Comté. En 1911, ce sera l'U.D. Isère qui englobera dans un premier temps les syndicats des Hautes-Alpes, et celle de la Loire. L'année suivante naîtra celle d'Ardèche-Drôme.
Mais en fait ces Unions auront du mal à rassembler les organisations syndicales de leurs territoires respectifs. C'est ainsi qu'à la veille de la guerre de 1914, dans le Rhône, un tiers seulement des syndicats se retrouvent dans l'Union départementale. On en compte une quizaine dans l'Isère, sur 83 recensées, 77 dans la Loire sur 130, 34 sur 50 en Drôme-Ardèche (majoritairement de la Drôme), 16 sur 35 dans les Savoies. Et on constate que souvent les dirigeants de ces Unions ne sont pas des personnages de premier plan, voire même des « marginaux » plus militants révolutionnaires que syndicalistes.
Répartition géographique et sectorielle des syndicats ouvriers en 1880, 1899 et 1908. Tableaux extraits de "Les ouvriers de la région lyonnaise (1848 – 1914)" d'Yves Lequin (PUF de Lyon 1977).
A cette époque où les moyens de contact et de communication consistent bien souvent en des réunions publiques auxquelles participent les dirigeants nationaux de la CGT, on constate la faiblesse des participations et des auditoires, ce qui reflète bien les difficultés. Certains analysent cette sorte d'indifférence comme étant le résultat d'une incompréhension des thèmes développés par une propagande CGT éloignée des questions corporatives et des revendications immédiates. Mais ces difficultés se situent dans ce nouveau siècle naissant où existe une poussée revendicative et la mise en place d'un processus révolutionnaire ; la classe ouvrière étant confrontée au développement du capitalisme. Et les difficultés d'organisation telles que celles rencontrées dans notre région, avant et au moment de la mise en place du syndicalisme cégétiste, ne sont en fait que l'expression d'une organisation qui se cherche, se construit, essaye de rassembler. Et en dépit de ces difficultés, les tenants du pouvoir, les patrons d'alors, ont bien mesuré le danger que représentait cette organisation des travailleurs.
Retenons deux aspects de cette volonté de faire échec à l'implantation et au développement de cette nouvelle confédération et qui traduisent bien l'esprit de ceux qui veulent une classe ouvrière docile, voire asservie. Le premier fut, dès les années 1900, la mise en place et l'organisation du « syndicalisme jaune », véritable outil de pression patronale. Ces « officines » naîtront bien souvent à la suite de conflits au cours desquels l'autorité patronale était fortement malmenée. Ce fut le cas par exemple à Lyon où le patronat tente de créer une « Bourse du travail indépendante » et qui éditera, en 1903, un journal : L'Indépendance ouvrière. On assistera à ce même genre de tentative à Vienne en 1903. A Firminy un syndicat est créé pour « casser du rouge » comme à Grenoble avec l'Union prolétarienne, une organisation qui existera dans d'autres localités de notre région. Dans la Loire, on notera la mise en place en 1908 d'une « Fédération des syndicats indépendants de la Loire ». L'autre aspect du combat pour contrer le mouvement syndical de classe se traduit par la création d'un syndicalisme chrétien. La région dauphinoise en fut l'un des berceaux... Il s'implantera d'abord chez les employés et les ouvrières du textile. Ce syndicalisme ne présentant ni la violence ni la haine porté par les syndicats jaunes fut un courant qu'on ne peut négliger. Il a marqué l'histoire du syndicalisme dans notre région et nous lui avons consacré plusieurs articles dans nos Cahiers d'Histoire.
En traitant des débuts du mouvement syndical en Rhône-Alpes, il s'agit surtout de montrer que rien n'est simple. Bien souvent, surtout lors d'anniversaires, on a tendance à présenter les bons côtés, oubliant les difficultés, les errements, les conflits... Et pourtant c'est aussi grâce à eux que s'est construit ce syndicalisme de classe et de masse qui, encore aujourd'hui, tient une place incontournable et qui surtout peut mettre à son actif et à celui des luttes qu'il a su mener en organisant les travailleurs, un nombre de droits que les héritiers d'aujourd'hui des maîtres de forges rêvent toujours de voir disparaître.