A la suite de l’intéressant article de Ph. Dubuy dans le cahier d’histoire n°7, nous avons cherché qui étaient les instituteurs CGT de la Loire. D’après Jacques Ozouf dans son livre “Nous les maîtres d’école”, ils étaient peu nombreux. “Ces révolutionnaires n’ont fourni qu’une poignée de syndicalistes”. Proches de la Ligue des Droits de l’Homme, beaucoup demeurent attachés à leur amicale des instituteurs. Ils font carrière le mieux possible en évitant ce que Jaurès appelle “l’ornière du métier”. Il y en eut cependant pour adhérer à la CGT dans la Loire. Nous ne citerons que les plus connus: Joseph Baldacci, son épouse Francine, Jean-Pierre Allamercery et Antoine Moulin.
Le premier est né à Saint-Bonnet-le-Château en 1855. Normalien à Montbrison, il créa le Syndicat des Instituteurs de la Loire. Allamercery est né à Trevoux et Antoine Moulin à Champdieu. Ils furent tous deux normaliens, instituteurs à Saint-Chamond, au Soleil puis à Montbrison.
Les Instituteurs CGT sont sur leurs gardes à l’école qui est un sanctuaire républicain
Le livret syndical CGT leur rappelle : “ l’instituteur n’a pas à chercher les mots d’ordre chez le ministre ou ses serviteurs”. Ainsi Baldacci et son épouse publient le Gotha des Arrivistes pour critiquer l’Inspection Primaire. Le “piston” est vivement condamné. Les règles de fonctionnement de l’école devront être établies en commun par les maîtres.
Malgré la révocation de l’instituteur Nègre pour action syndicale (voir note), ils militent et sont réprimandés tous les trois en 1912 pour avoir signé le Manifeste de Chambéry approuvant le Sou du soldat. Créé par la CGT, c'était une aide financière aux jeunes syndiqués durant leur service militaire. Les pouvoirs publics y voyaient à raison un moyen de propagande antimilitariste à l’intérieur même des casernes.
Ils participent aux campagnes de la CGT contre les brimades, contre les opérations coloniales, contre l’Armée qui intervient au moment des grèves et tire. En tant que socialistes, ils approuvent les idées de Jaurès. Ils ne veulent pas de guerre de revanche (pour l’Alsace- Lorraine). Ils veulent étendre le rôle de l’école et contribuer à une véritable éducation populaire : conférences de vulgarisation. C’est principalement le rôle des époux Baldacci à la Ruche Laïque de Firminy.
Les instituteurs CGT et la guerre
Seul Baldacci part au combat, les autre étant dispensés ou trop âgés. Comme antimilitariste, il est inscrit au livre B et aurait pu être interné. La participation de la CGT à l’Union Sacrée le mobilise. Il n’est pas question de déserter. La France a été attaquée et défend le droit. Bouleversé, il part pour le front. Son épouse Francine, comme beaucoup de militants CGT, devient rapidement pacifiste. Dès 1916, elle participe à un congrès clandestin d’instituteurs à Paris et défend, dans le département de la Loire, les militants pacifistes qui se sont rendus à la Conférence de la Paix de Kienthal. Elle est mise en minorité. Elle milite à Saint-Etienne au comité d’action du prolétariat pour la défense des victimes de la guerre. Elle ne retrouvera pas son poste en 1918.
Allamercery et Moulin militent quant à eux dans les organisations antimilitaristes. Moulin anime “la Vague”. Ce groupement est né pendant la guerre à la suite de l’action du député-instituteur Brison. Il est très populaire dans les tranchées. “La Vague” soutient la révolution bolchevique.
Entre les deux guerres
Les anciens que nous avons cités poursuivent leur combat après la guerre: adhésion au parti Socialiste, puis à la SFIC (1921). Ils rejoignent la CGT-U et militent à l’ARAC.
En 1918, à la fin de la guerre, les souffrances et les tueries sur tous les fronts ont bouleversé toutes les consciences. Que devient le Pacifisme ? Faut-il soutenir la révolution russe puis bolchevique? Parmi un grand nombre de militants, nous évoquerons principalement Claudius Buard, né à Firminy, et son épouse Claudine, dite Claudia, Albert Dolmason et Marie Doron.
Les Pacifistes
Ils sont nombreux chez les instituteurs. Lorsque l’Union Fraternelle des Instituteurs organise une cérémonie d’hommage aux morts (26 mai 1921 à Montbrison), elle publie en outre une petite plaquette patriotique et doute de son succès. On peut lire entre les lignes quand elle déclare: “Ne nous montrons pas hostiles ou indifférents à cette cérémonie”. Ce pacifisme se nuance aussi avec l’apparition de l’objection de conscience, comme chez Alfred Mouillaud, instituteur à Précieux.
Pacifistes et antimilitaristes, Albert Dolmason et Marie Doron sont arrêtés en 1932 et incarcérés quatre jours. Ils ont diffusé la revue Clarté. Elle est née du combat de l’ancien combattant Henri Barbusse qui a rejoint le parti communiste.
Claudius Buard
Il reprend le combat de Baldacci. Militant communiste, à la CGT-U où il exerce des fonctions importantes, il est journaliste au Cri du Peuple et soutient l’action coopérative de l’Union des Travailleurs. Lui aussi diffuse le revue Clarté, mais il le fait au centre d’aviation maritime de Toulon, pendant son service militaire. Il est arrêté et condamné à cinq mois de prison (nov. 1921) pour menées anarchistes et propagande antimilitariste. Libéré le 28 février 1922, il est privé d’emploi, puis réintégré dans le corps des instituteurs.
Son épouse Claudia, petite-fille d’un communard, milite à Saint-Etienne dans l’association “les femmes contre le guerre et le fascisme”.
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“Je dis donc aux maîtres, pour me résumer lorsqu’une part, vous aurez appris aux enfants à lire à fond, et lorsque d’autre part, en quelques causeries familières et graves vous leur aurez parlé des grandes choses qui intéressent la pensée et la conscience humaine, vous aurez fait sans peine en quelques années, oeuvre complète d’éducateurs. Dans chaque intelligence, il y aura un sommet et ce jour là bien des choses changeront”.
Jean Jaurès
Note: Marius Nègre (1870 - 1952) fut l'un des fondateurs et le premier secrétaire général de la Fédération des membres de l'Enseignement laïque, créée en décembre 1905 et affiliée à la CGT. Il fut révoqué en 1907 pour avoir bravé l'interdiction faite aux fonctionnaires de se syndiquer et pour prosélytisme en faveur de la CGT. Il fut réintégré quelques années plus tard.