
NDFI: Nouvel article de l'IHS, dans notre rubrique "Histoire sociale de la Loire". Le texte n'engage que son auteur.
Une commission paritaire a eu lieu le 16 mars 1949, l'entrevue dure une demi-heure. Ce fut une fin de non recevoir en raison de la baisse des prix annoncée par le gouvernement et de la coutume voulant que les salaires suivent la fluctuation des salaires lyonnais. Le président des Maîtres-Imprimeurs déclara "qu'il était impossible d'engager la discussion sur le moindre aménagement des tarifs actuellement en vigueur". Devant ce refus, une assemblée générale est convoquée le 17 mars, salle Sacco et Vanzetti à la Bourse du Travail, pour rendre compte de la position patronale. A l'unanimité, moins une voix, la grève est votée. Le le 18 mars au matin, les travailleurs se présentent devant les ateliers, seuls les délégués rentrent pour remettre à la direction la lettre élaborée par les bureaux syndicaux (typo et litho). Le travail reprendra immédiatement si le P2 (coefficient 100) de 90 F est augmenté de 15 %. Il est décidé qu'une permanence se tiendra tous les jours au siège et qu'un comité de grève sera désigné et mis en place.
Près de 700 grévistes vont engager une lutte qui durera près de 7 mois dans une quinzaine d'imprimeries, sur quarante impliquées dans le mouvement revendicatif.

Rapport du secrétaire général Caddéo devant le Congrès de la Fédération du livre à Bordeaux du 15 au 18 juin
Depuis le 18 mars, les sections de labeur stéphanoises ont débrayé. Cette décision a été votée par nos camarades à l'unanimité et nous ne l'avons pas prise sans avoir essayé, par tous les moyens, de parvenir à un accord, par les méthodes de conversation, de pourparlers, d'interventions diverses. Si nous nous sommes résolus à passer à l'action directe, ce n'est qu'après avoir épuisé tous les moyens possibles d'arriver à un accord. Les Maîtres-Imprimeurs stéphanois - qui ont sans doute le même tempérament que tous les Maîtres-Imprimeurs de France - ont toujours essayé de vouloir nous faire tourner en rond, pendant des mois et des mois, déclarant qu'il serait possible, peut-être, entre les deux Fédérations patronale et ouvrière, d'en revenir à un salaire national. Nous avons attendu pendant des mois - pendant six mois très exactement - et, en application des circulaires fédérales, nous avons demandé, en janvier 1949, l'augmentation de 15 % que le comité fédéral nous ordonnait de demander. Le 14 janvier, les syndicats du Livre de saint-Etienne posaient donc cette demande d'augmentation. Ensuite, devant la réponse évasive de la Chambre des Maîtres-Imprimeurs, qui nous répondait que les salaires étaient bloqués depuis le 31 décembre par le gouvernement et qu'il ne s'agissait pas de penser à cette augmentation pour ne pas gêner ce même gouvernement dans sa plitique de baisse des prix par une augmentation quelconque des salaires, nous avons convoqué nos camarades et ceux-ci nous ont mandatés pour demander la réunion de la Commission paritaire immédiatement, en insistant sur la fermeté avec laquelle les délégués devaient, une bonne fois pour toutes, poser le problème aux Maîtres-Imprimeurs. En suite de quoi, nous avons reçu une lettre d'une maison typographique de saint-Etienne, par laquelle nos camarades critiquaient la stérilité des conversations entre la fédération du Livre et la fédération des Maîtres-Imprimeurs, et nous invitaient à passer à l'action directe pour une revalorisation justifiée du métier de typo. Le 18 mars, nos camarades ont donc voté la grève. Ce mouvement n'a pas été dans le cadre des précédents mouvements qu'on a pu faire dans nos organisations. Immédiatement, les Maîtres-Imprimeurs ont fait appel à leur fédération qui, elle-même, a fait appel au gouvernement et celui-ci s'est montré le plus fidèle allié des Maîtres-Imprimeurs. Si le 18 mars, après avoir déclaré la grève, nos camarades enregistraient avec satisfaction la rentrée d'environ 350 camarades du labeur, le 21 mars, c'était pour ceux-ci l'obtention totale de notre revendication de 15 % pour toutes les catégories. Ne croyez pas que ces Maîtres-Imprimeurs qui ont accepté nos revendications ont pu travailler dans le calme et la liberté. Il y a eu de la part du gouvernement, sous l'impulsion de la fédération patronale et de la Chambre syndicale des Maîtres-Imprimeurs de Saint-Etienne, un véritable contrôle quotidien. Le contrôle économique allait chez ces imprimeurs le matin et quelquefois, dans la même journée, l'après-midi. Il examinait, en présence de l'inspecteur du travail, le livre de paye et vous ne méconnaissez pas la lettre qu'a envoyée M. Pinay, sous-secrétaire d'Etat aux affaires économiques, par laquelle il menaçait les Maîtres-Imprimeurs qui devaient accorder des augmentations de salaire, de revoir la question de la liberté des prix dans l'imprimerie. De plus, on a menacé ces Maîtres-Imprimeurs d'une amende égale au triple du montant des augmentations accordées.

La solidarité ouvrière s'organise
Ensuite, la Chambre syndicale est intervenue auprès des Chambres de commerce, auprès de tous les syndicats patronaux, pour demander aux patrons d'industries privées de n'envoyer aucun travail aux patrons qui avaient accordé des améliorations de salaires. Et nous avons été, nous-mêmes, convoqués à la Préfecture de la Loire. Le chef de cabinet du préfet nous a dit que nous étions des agitateurs, des agents de Moscou; que l'argent que nous distribuions à nos grévistes était de l'argent qui franchissait les frontières. Vous voyez d'ici la lutte qu'il a fallu mener pour tenir le coup. Mais le moral des gars de Saint-Etienne était à toute épreuve. Au sujet des contrôles et de la position de la Préfecture, nous devions enregistrer, par la suite, une nette amélioration. Le 23 avril, nous avions une première commission paritaire, en présence de l'inspecteur du travail et celui-ci démontrait, devant nous et devant la délégation patronale, qu'il était possible d'augmenter les salaires dans le Livre en se référant à l'application de la loi du 21 décembre 1947 qui prévoit à l'article 7 qu'il est possible, en travaillant au rendement, de porter à 140 % des salaires moyens légaux, les salaires des ouvriers. Et les Maîtres-Imprimeurs qui n'étaient pas pressés de nous augmenter ont dû se retrancher sur d'autres positions lorsqu'on leur a prouvé qu'on pouvait nous augmenter légalement. Ces Maîtres-Imprimeurs disaient: " D'accord, nous reconnaissons qu'il est possible de vous augmenter, mais nous ne partirons pas en flèche et en contradiction avec les instructions de notre Fédération nationale: nous vous disons également qu'il n'est pas question pour nous de penser que l'on puisse travailler au rendement. " Cela, pour nous faire comprendre que les Maîtres-Imprimeurs prétendaient qu'il n'était pas possible d'augmenter légalement nos salaires. Et alors que nous avions, nous, la possibilité de leur démontrer que l'augmentation pouvait être légale, eux se retranchaient derrière les directives de la Fédération. Cela, pour stigmatiser l'attitude absolument ferme et résolue des patrons d'imprimerie à ne pas donner d'augmentation, quelle qu'elle soit.
Après que l'inspecteur du travail eut prouvé qu'il était possible de nous augmenter, nous avons assimilé nos calculs et avons fourni aux Maîtres-Imprimeurs une seconde revendication, que nous avons déclaré valable pour une quinzaine de jours seulement, dans un but de conciliation. Ces propositions se résument ainsi: nos salaires pourraient être qualifiés P2 pour la somme de 100 francs et les 10 francs supplémentaires portés en valeur absolue à tous les salaires existants ou étant pratiqués au 18 mars 1949. Certains imprimeurs de moyenne importance ont accepté ces nouvelles revendications et une trentaine de camarades ont pu rentrer avec ces nouvelles conditions, venant s'ajouter aux 350 qui ont obtenu les 15 % à partir du 21 mars 1949. C'est donc environ la moitié de l'effectif du Livre labeur, à Saint Etienne, qui travaille maintenant avec les revendications obtenues.
Les Maîtres-Imprimeurs ont usé de toutes les ficelles dont les patrons ont la science en matière de conflit et tous nos camarades ont reçu les fameuses lettres individuelles leur enjoignant de regagner immédiatement les ateliers et, évidemment, les menaçant si cet ordre n'était pas suivi, de les licencier ou de les reprendre, mais dans un délai éloigné. A part deux ou trois défections sur environ 300 grévistes, nos camarades ont tenu bon quand même.

La soldarité patronale aussi...
La situation, pour les Maîtres-Imprimeurs, peut se résumer ainsi: nous avons trois catégories d'imprimeurs, comme dans toutes les villes d'ailleurs. Les grosses imprimeries et aussi les petits patrons. Il y a aussi les patrons des imprimeries moyennes. Celles-ci, qui groupent moins de dix compagnons, ont compris que leur intérêt n'était pas de suivre la Chambre patronale, et elles commencent à traiter directement avec l'organisation syndicale. C'est un travail de longue haleine mais qui commence à porter ses fruits. Nous avons fait un effort que je puis qualifier de capital au point de vue solidarité.
Quelques chiffres: sur le plan local, les camarades de Saint-Etienne ont versé du 18 mars au 1er avril: 25 % de leurs salaires; du 1er avril au 1er mai: 20 % de leurs salaires; du 1er mai au 1er juin: 15 %. Les sommes versées par les nôtres qui travaillent dans la presse stéphanoise sont l'ordre de 3.192.000 francs. (...) Dans le labeur, l'imposition a été également du même pourcentage mais les salaires étant moins élevés, cette imposition a rapporté 1.175.000 francs...

Le groupe régional s'est imposé, lui, de 5 %. Je ne dis pas que les 5 % rentrent arithmétiquement parlant, mais tout de même il rentre des sommes importantes et il faut souligner l'effort de nos camarades des petites sections qui versent rigidement les 5 %, et je citerai Chambéry, pour n'en citer qu'une, qui verse depuis le conflit l'intégralité des 5 % sur tous les salaires d'imprimerie depuis le 18 mars. Ces envois représentent la somme de 2.400.000 francs. Au 4e groupe, sur le plan de solidarité extérieure, nous sommes un peu moins optimistes et s'il y a des sections qui ont fait un effort, nous avons le regret de constater que cet effort n'est pas partagé par toutes les sections. La section d'Amiens nous a envoyé un total de 28.000 francs, ce qui représente 90 à 95 francs par membre. Il y a d'autres sections, comme la section de Coulommiers, qui nous a fait parvenir 1.000 francs pour 300 membres, ce qui représente 3 francs par membre depuis le 18 mars. Les mêmes comparaisons peuvent se faire avec toutes les sections, et, encore une fois, si certains camarades ont compris l'effort de solidarité nécessaire qu'il fallait faire, d'autres n'ont pas répondu avec toute la fermeté désirable à notre appel. sur le plan fédéral, la Fédération a versé scrupuleusement les 100 francs statutaires, sauf à partir du 5 mai, où elle a fait sien un voeu présenté par les sections du 4e groupe. Donc, depuis le 5 mai, le comité fédéral nous verse la somme de 150 francs par jour pour les cotisants et 75 francs par jour pour les demi-cotisants. Nos grévistes ont perçu dans les premiers mois 300 francs par jour; ils perçoivent maintenant 400 francs/jour, avec des abattements pour les femmes, les petites mains et les ouvriers non syndiqués.
Nos besoins sont très clairs: ils se montent environ à 130.000 francs/jour, ou 4.000.000 par mois. Voilà les chiffres. Devant la situation de cette solidarité ouvrière, les patrons font, eux aussi appel à la solidarité patronale et je me souviens d'un certain point de cet appel où les patrons disent qu'il serait malheureux que la solidarité patronale soit inférieure aux lourds sacrifices que consentent les ouvriers. Notre grève revêt, de par la position patronale, de par la position gouvernementale, le caractère d'une grève nationale. Si nous enregistrons un échec à Saint-Etienne, c'est toute la profession du Livre qui enregistre cet échec. Nous opposons à cette résistance patronale une solidaritéouvrière totale, et nous sommes persuadés du succès. Notre revendication est justifiée. Le salaire de n'importe quel ouvrier professionnel du labeur ne correspond pas au rang que notre métier connaissait avant la guerre, et tous nos efforts portent sur la revalorisation. Nous en arrivons précisément à un point culminant d'un combat sans merci où les patrons mettent dans la bataille toutes leursforces.
La fin du conflit et la répression
Le 6 octobre 1949, un accord national entre la fédération du livre C.G.T. et les syndicats patronaux de l'imprimerie fixe les nouveaux taux des salaires qui doivent être appliqués au 1er octobre 1949, sur lesquels il y aura lieu d'appliquer les abattements locaux. Fin septembre 49, 24 imprimeries avaient accepté l'augmentation des salaires. 15 continuaient à la refuser. Ces dernières étaient résolues à engager un véritable combat contre les grévistes et les organisations syndicales ouvrières du Livre. Lorsque l'accord national sur les salaires fut signé et que la reprise du travail fut acceptée par les bureaux syndicaux et les travailleurs encore en grève, une répression s'est exercée à l'encontre d'une partie des personnels grévistes depuis près de sept mois. Cette répression s'est exercée en particulier envers le personnel féminin (le plus facile à remplacer) et le personnel âgé de plus de 60 ans. C'est ainsi que des ouvriers et ouvrières âgés de plus de 65 ans, qui se trouvaient à cette époque dans l'obligation de continuer à travailler, la retraite des vieux travailleurs ne leur permettant pas de vivre, certains avec plus de 40 années d'ancienneté dans l'entreprise, se sont trouvés "non repris". Non repris également ceux que l'on pourrait aujourd'hui qualifier de "cas sociaux": mutilés du travail, des sourds-muets (nombreux dans l'imprimerie), mais aussi de nombreux apprentis sous contrat d'apprentissage. Début décembre 1949, la situation se présentait de la manière suivante: près de 100 femmes et près de 40 hommes se trouvaient au chômage. Un courrier a été adressé au Président de la Chambre Syndicale Patronale pour dénoncer cette situation, non conforme aux accords de fin de grève, signés par les deux fédérations. Un état des "non repris", imprimerie par imprimerie, a été établi et une demande faite pour que la Chambre Syndicale des maîtres-imprimeurs intervienne auprès de ces employeurs, dont certains invoquaient un manque de travail pour récupérer le personnel. Quelques réintégrations eurent lieu au fil des mois qui suivirent.
Quelques cas extrêmes...
Une imprimerie importante dans le quartier de Bellevue. Le patron avait demandé aux délégués, au cours de la grève, de choisir: ou une reprise du travail par le personnel, ou une reprise avec du personnel professionnel recruté sur l'ensemble du territoire (briseurs de grève). Les délégués ont refusé. L'employeur leur répond qu'il fait du conflit une question de prestige et qu'il brisera la grève. Il recruta des personnels venus de Paris qu'il n'hésitera pas à payer de 180 à 200 F de l'heure. Il réussira à convaincre quatre grévistes à reprendre qui feront "les renards" et il embauchera des femmes non professionnelles en grand nombre. A la fin de la grève ne seront pas repris 29 femmes sur 38, dont une mutilée du travail (4 doigts coupés sous une presse), 3 apprentis auxquels l'employeur réclame 15 000 F de dommages et intérêts chacun pour rupture du contrat d'apprentissage. Ceux qui ne sont pas repris reçoivent un règlement de compte où on leur déduit trois jours de salaire sur le travail accompli avant la grève pour départ de la maison sans préavis. Avec les délégués, il menaçait d'aller chercher son révolver.
Dans une autre imprimerie, du même quartier, refus de reprendre la totalité du personnel féminin, sous prétexte du manque de travail, à l'exception d'une ouvrière "indispensable". Six autres personnes non qualifiées avaient été embauchées quelques jours avant la fin de la grève. 27 personnes sans travail ayant entre 23 et 48 ans de présence dans l'entreprise, cinq d'entre elles parmi les plus âgées, ont reçu une lettre de congé spécial leur fermant la porte de la maison. L'entreprise profite de la grève pour se débarrasser de tous ses vieux ouvriers. Pour eux, également, la retraite des vieux travailleurs s'avère insuffisante pour vivre et ils n'ont plus, à leur âge, la possibilité de se faire embaucher ailleurs. Un fait odieux: un jour l'un des patrons surprend un conducteur lithographe âgé (plus de 40 ans d'ancienneté) en grande difficulté pour broyer son encre sur la pierre, ses doigts se paralysant. Il se retrouve à la rue sans la moindre indemnité. Visiteur de prison, l'employeur participe à l'édification de monuments religieux. Il a même obligé son personnel féminin à porter des statues de la madone... Ce patron, à la Libération, avait encouru les foudres du Comité de Libération. Il avait menacé de fermer son usine pour manque de papier. Enquête faite, 400 tonnes de papier avaient été découvertes. Le délégué qui s'était opposé à son arrestation et à la mise sous séquestre de l'entreprise, se retrouve aujourd'hui congédié. A la date du 15 novembre 1949, l'usine fonctionne avec 33 ouvriers ou ouvrières.
Dans une entreprise du centre-ville, aucune femme n'a été reprise, à part une qui n'était pas présente au moment de la grève. Parmi les hommes, on n'a pas osé mettre dehors le meilleur ouvrier, par ailleurs le délégué du personnel. Dans cette imprimerie, les vieux ouvriers ne furent pas repris. L'un d'entre eux, âgé de 67 ans, en apprenant la décision du patron, s'est effondré sans connaissance. Pour briser la grève, le patron avait embauché un Allemand, un faux monnayeur condamné à Marseille, un repris de justice, interdit de séjour.
Dans une entreprise du centre-ville, aucune femme n'a été reprise, à part une qui n'était pas présente au moment de la grève. Parmi les hommes, on n'a pas osé mettre dehors le meilleur ouvrier, par ailleurs le délégué du personnel. Dans cette imprimerie, les vieux ouvriers ne furent pas repris. L'un d'entre eux, âgé de 67 ans, en apprenant la décision du patron, s'est effondré sans connaissance. Pour briser la grève, le patron avait embauché un Allemand, un faux monnayeur condamné à Marseille, un repris de justice, interdit de séjour.
Dans une maison d'édition, bien connue à l'époque, dans le centre-ville, l'employeur était qualifié de patron de combat par excellence, cynique, irréductible et doublé en cela par son épouse. Sa richesse insolente: entreprise de transport, voitures de luxe, villas au bord de la Loire et à Juan les Pins. Très religieux, il affichait des crucifix dans tous les locaux. Il se présente d'ailleurs comme l'imprimeur du clergé. Attitude radicale pendant la grève, il embauche des personnels de qualité très médiocre, notamment des apprentis de l'orphelinat d'Auteuil (une bonne oeuvre). Il ne reprendra qui que ce soit de ses ouvriers, il préfère payer jusqu'à 25 000 francs par mois un soi-disant typo. Il rejettera un de ses ouvriers de plus de 40 ans de maison. Au secrétaire du syndicat lithographique, venu discuter avec lui de la reprise de son ancien personnel, il désignera, dans un geste théâtral, le crucifix de son bureau en affirmant : "je ne reçois des ordres que de celui-là ". Le secrétaire, très digne, lui répondra "j'avais entendu dire que, celui-là , avait enseigné autre chose que ce que vous pratiquez".
A noter que deux petits imprimeurs ne reprendront aucun membre de leur personnel ayant fait grève. Cependant, plusieurs mois après, l'un de ces imprimeurs est revenu sur sa décision et a réintégré tous ses ouvriers.
De ce conflit qui a pris une dimension nationale, il faut retenir les positions très dures prises par les maîtres-imprimeurs stéphanois et leur fédération nationale. Du côté des salariés, la conduite de cette grève a été exemplaire, aucun incident n'est intervenu durant ces 7 mois, malgré les provocations patronales dans 5 ou 6 grosses imprimeries, qui exerçaient des pressions constantes sur le personnel gréviste et qui, parallèlement, embauchaient du personnel pour briser la grève. Dans les années qui suivirent, cette épreuve de force a contribué à une amélioration considérable des rapports sociaux, tant au niveau local, régional que national. C'est ainsi que les deux fédérations, ouvrière et patronale, ont élaboré une déclaration commune fixant les règles de ces rapports. Les différents accords conclus depuis la Libération ont été repris pour l'élaboration d'une convention collective nationale en 1956 et qui a fait l'objet, au fil des années, de nombreux avenants. La grève de 1949 a apporté à la profession du Livre une victoire incontestable, grâce à sa conduite exemplaire, grâce à une solidarité importante, elle a ouvert une ère nouvelle dans les rapports sociaux d'une profession, qui ont duré plus de trente ans.