Marcel Berne, né le 18 février 1900, ouvrier ajusteur, appartient dès 1931 au Parti Communiste Français. Actif, dévoué, il est élu en 1935 au Conseil municipal de Saint-Etienne, sur la liste unitaire où figurent également Barthélémy Ramier, Marcel Thibaud et d'autres syndicalistes. Il devient fin 1938 adjoint au maire, en remplacement de Gaston Fabry, décédé. Secrétaire-adjoint de l'important syndicat C.G.T. des métaux de la Loire, membre de la commission exécutive de l'Union Départementale C.G.T., il signe cette même année, dans La Tribune Républicaine, un article intitulé "la protestation des métallurgistes stéphanois" qui dénonce les honteux accords de Munich.
Frappé de plein fouet par la répression anti-communiste et anti-syndicaliste, il est arrêté, interné à Chibron (Var), Fort-Barrault (Isère), puis à Saint-Sulpice. Remis aux occupants, il est déporté à Buchenwald (matricule 69223). Notre recherche obstinée des archives syndicales nous a permis de récupérer un document bouleversant. Il s'agit de la lettre d'un prêtre, également déporté à Buchenwald, qui fut durant plusieurs semaines le compagnon de Marcel Berne.
En juillet 1945, à son retour des camps nazis, l'Abbé Lucien Gaben salue avec émotion le courage, la loyauté et la fidélité à son idéal de Marcel Berne. Il nous décrit sa fin atroce à Torgau, commando de Buchenwald. On croit relire la poésie d'Aragon "la rose et le réséda" évoquant "celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas !"
Castres, ce 12 juillet 1945
Cher Monsieur,
Je ne vous connais pas, mais puisque vous vous intéressez à celui qui fut, pendant huit mois, mon camarade de chambre et mon voisin de lit, je m'empresse de vous écrire ces lignes en rentrant de me reposer quelques semaines dans ma famille...
Malheureusement, j'ai eu, entre autres fâcheuses conséquences de ma captivité, une perte de mémoire qui me gène beaucoup.
J'ai connu votre ami Marcel Berne, dès décembre 1944, au travail dans cette fameuse usine souterraine que nous construisions. Nous avions, l'un et l'autre, la chance exceptionnelle d'avoir un travail assez léger comparativement à nos camarade qui mourraient comme des mouches, exténués par un travail inhumain ; nous faisions partie de l'équipe des électriciens dans cette immense usine en construction. Marcel, lui, restait à l'atelier et fabriquait des pièces, crochets, supports, etc. que nous utilisions ; il était encore mieux que nous car il avait à travailler avec deux civils, assez corrects, qui lui donnaient tous les jours un peu de pain.
Un mois après l'avoir connu, le hasard m'amena dans la même chambre, même baraque que lui, où jusqu'à la fin nous avons été voisins... Il partageait son lit car nous étions deux par couche, avec un de ses amis dont je ne puis malheureusement retrouvé le nom; nous l'appelions "Andorre" parce qu'il était originaire de la petite République... Ce camarade venait aussi de Saint-Sulpice où ils s'étaient connus et ils s'aimaient comme deux frères... Ce malheureux camarade est mort en mars et cela affecta beaucoup votre ami Marcel Berne. Ce dernier me parlait souvent du camps de Saint-Sulpice dont il gardait un souvenir très précis. Il y avait suivi des cours et y avait beaucoup travaillé.
Avec beaucoup de courage, Marcel Berne supporta l'épreuve de la captivité, il était sensiblement plus âgé que nous mais il tenait le coup aussi bien que nous... A la fin cependant, ses jambes étaient enflées (oedème) et il dut même s'arrêter de travailler pendant quelques jours. Son état physique était satisfaisant, seuls ses jambes se refusaient à un exercice prolongé.
C'est sur ces entrefaites qu'arriva l'ordre d'évacuation du camp. Nous fûmes répartis en six colonnes et il ne fut malheureusement pas dans la mienne, ce qui m'aurait permis de l'aider un peu à marcher; je le voyais seulement le soir à l'étape... Son moral était excellent et lorsque nous avons quitté notre baraque le 10 avril, nous nous sommes souhaité un joyeux et prompt retour en France, car nous ne savions pas si nous nous retrouverions. La marche fatigua beaucoup Marcel; le peu de nourriture qui nous était donnée ne suffisait pas à nous alimenter. Un soir à l'étape, comme je demandais de ses nouvelles, personne ne put m'en donner. Il restait une chance, c'est qu'il se soit évadé comme je le fis moi-même huit jours plus tard. Mais cela me paraît peu vraisemblable car il était déjà trop fatigué. Il est certainement tombé au bord de la route et là , hélas, il a été achevé comme tant de nos camarades par l'un de ces assassins qui nous gardaient. Ce devait être le 13 ou le 14 avril. Hélas, il a été frappé quelques jours à peine avant la Libération, cette Libération dont nous avions tant parlé ensemble.
Jusqu'à la fin il a été fidèle à ses idées dont nous avions d'amicales discussions. J'avais toujours été frappé par sa grande loyauté et son excellent esprit de camaraderie...
Si je pouvais vous donner encore d'autres détails intéressants, n'hésitez pas à m'écrire, je me ferai un plaisir de vous répondre. Rectifiez cependant mon adresse comme suit: Abbé Lucien Gaben, 71, avenue de Lautrec - Castres - Tarn.
Veuillez agréer, Monsieur, mes sincères salutations.
Plaque commémorative à la Bourse du Travail. En tant qu'élu, Marcel Berne a également son nom gravé sur celle de l'Hôtel de Ville de Saint-Etienne.