Tuesday, October 03, 2023
Le gouvernement du front populaire et, dans son prolongement, les accords de Matignon de juin 36 ont conduit à  la reconnaissance de droits nouveaux pour les travailleurs: semaine de 40 heures, congés payés, délégués du personnel, conventions collectives... Leur mise en place conduit à  des négociations auxquelles François Royer participe activement. Il fait preuve dans ces discussions d'une connaissance et d'une détermination qui en font un interlocuteur respecté par le patronat et ses représentants.

Parallèlement, à  travers des fonctions d'administrateur d'une Caisse d'assurances sociales, créée en 1930, émergent les prémices d'une activité militante sociale qui ira en se développant à  travers la création et la mise en place de la Sécurité Sociale.


1937 - 1938: le gouvernement Blum proclame la "pause sociale". La situation internationale se dégrade et, en septembre 39, la guerre contre l'Allemagne est déclarée. En octobre, il est mobilisé et jeté dans la drôle de guerre. Prisonnier en Allemagne au stalag 8, il est libéré en 45. En octobre de cette année, le gouvernement du général de Gaulle promulgue les ordonnances relatives à  la Sécurité Sociale. Dès janvier 46, sous l'impulsion d'Ambroise Croizat, ministre du travail, se mettent en place les premières structures du système. François Royer est élu président de la Caisse primaire de l'arrondissement de Roanne. Il est à  la même époque président d'honneur de la Caisse de solidarité mutualiste n° 351. Cependant, ses responsabilités de secrétaire de l'UD et surtout l'ostracisme du patronat qui le prive d'emploi au plan local le conduisent à  venir habiter à  Saint-Etienne à  la fin de l'année 1946. Il sera à  cette époque candidat PCF et élu à  un poste de Conseiller de la République. Le Conseil de la République était alors la chambre haute du Parlement, remplacé en 58 par l'actuel Sénat. Bien que son nom ait été publié au Journal Officiel, il ne siégea pas au palais du Luxembourg, l'élection ayant été annulée.

En 1947, il est élu secrétaire général adjoint par le congrès de l'UD, mais surtout, cette même année, ont lieu, le 24 avril, les premières élections des conseils d'administration des Caisses de Sécurité Sociale. C'est un important moment de mobilisation et de sensibilisations des travailleurs, dans un contexte de paix retrouvée, mais aussi de précarité économique: " la ration de pain sera maintenue au 1er juillet, grâce à  l'achat de 7 millions de quintaux de blé", indique le journal local "Le Patriote" du 7 avril, tandis qu'un journal national précise "qu'un retraité ne perçoit par jour qu'un montant de pension équivalent à  une heure de travail d'un ouvrier parisien". Dans le contexte de campagne électorale, la CGT doit défendre la jeune Sécurité Sociale déjà  en butte aux attaques du patronat. Henri Raynaud, secrétaire de la CGT, en charge de ces questions, écrit dans "Le Patriote" du 11 avril que les salariés "savent où vont leurs cotisations car la loi prévoit le détail de la répartition sur les différents risques, limite à  10% les frais de gestion et assure un contrôle sévère  des moindres frais. C'est ni sombre ni compliqué, c'est lumineux !" Les salariés entendront cette appel, tant au plan local que national. A Saint-etienne, à  la CPAM, les 116 000 électeurs votent à  plus de 76% et apportent 46% des suffrages à  la liste CGT, avec 9 élus. Et 4 à  la CFTC, 4 mutualistes, une association familiale et six employeurs. La collusion anti-CGT conduira à  la l'élection d'un représentant de la Mutualité Française à  la présidence de la Caisse. Au plan national, la CGT est confirmée comme première organisation syndicale.


De nouvelles élections ont lieu le 17 novembre 1955 et François Royer conduit toujours la liste CGT.  A cette époque, l'organisation syndicale demande la gratuité de tous les soins de santé, dénonce les fraudes patronales (plus de 150 milliards de francs) et les détournements du gouvernement à  l'égard de l'organisme: 75 milliards en 1954. Elle demande également la suppression de toute cotisation ouvrière et le financement du système à  la charge exclusive du patronat et de l'Etat. En matière de retraite, elle revendique le droit à  celle-ci à  60 ans et à  55 ans pour les femme et dans les métiers pénibles et insalubres, le maintien des régimes spéciaux et les droits acquis par les personnels à  statut. Enfin, l'intégration des salariés de l'agriculture dans le régime général et la mise en place d'une sécurité sociale pour tous les Français. Il faudra attendre la loi de généralisation de 1978 pour que l'ensemble de la population française soit couverte par un régime obligatoire. La loi du 22 mai 1946, présentée par Croizat et votée à  l'unanimité par l'Assemblée Nationale, n'a jamais été mise en application.

La confiance des salariés en la CGT se confirme à  la CPAM de Saint-Etienne. La liste recueille 39% des voix et obtient huit sièges, néanmoins c'est un administrateur CFTC qui est élu président. Son mandat va durer jusqu'en 1961. Au cours du conseil d'administration du 23 mars 61, François Royer recueille 11 voix contre 9 à  Florent Badiou, 1 à  Antonin Réal, président de la mutualité, et deux bulletins nuls. Les élection de décembre de l'année suivante confirment cette confiance en l'organisation syndicale. Il n'y en eut plus jusqu'en 1983.

Sans entrer dans le détail, cette mandature s'articule autour de trois grandes lignes de force:
- l'amélioration des droits des assurés sociaux et de leur famille;
- celle des structures, des fonctionnements d'accueil du public et leur décentralisation, des conditions de travail des personnels;
- la défense de la Sécurité Sociale contre les attaques gouvernementales et patronales qui vont s'amplifier.

En matière d'accès aux soins, le conseil a notamment ouvert l'accès des centres d'examen de santé - dont la caisse est novatrice - aux assurés et conjoints de plus de 60 ans - CA du 26 mars 64 au cours duquel le président rend hommage à  la mémoire de Joseph Gouttebarge, administrateur CGT brutalement décédé quelques jours auparavant (faire une recherche dans nos pages sur les prêtres ouvriers, ndFI). Il est intervenu pour le développement général des structures hospitalières de manière à  ce qu'elles correspondent à  l'importance et aux besoins prévisibles de l'agglomération stéphanoise (CA du 28 octobre 65). Egalement pour le maintien de l'indexation des pensions d'invalidité et de vieillesse sur les salaires de la manière la plus favorable aux assurés. Enfin, un effort important a été réalisé pour le conventionnement du corps médical. "Nous sommes passés de 61 médecins libéraux conventionnés en 1961 à  190 aujourd'hui", déclara François Royer en présentant son bilan en conférence de presse fin septembre 67.    

En matière d'amélioration des structures, il faut noter le développement de l'atelier mécanographique, une rénovation complète des locaux d'accueil, rue Elisée Reclus. La mise en place de minibus dans les quartiers, l'ouverture de nouveaux centres à  Saint-Chamond, Montbrison, Andrézieux, sans oublier l'avant projet de l'immeuble central de "l'îlot Boivin", présenté au CA du 30 janvier 1964 avant d'être soumis aux instances du personnel et d'être agréé par la Caisse nationale (CA du 26 juin 64). La durée de temps de travail des personnels a été ramenée de 45 à  43h15, sans diminution de salaire. Un congé exceptionnel pour les mères de famille ayant un enfant malade a également été voté. Conjointement un effort important de formation fut conduit. En 1967, 80 agents sont titulaires du diplôme de technicien de l'école nationale de Sécurité sociale.

Il est important de souligner la présence d'une équipe de direction de haut niveau à  la tête de l'organisme. Autour de Pierre Bontemps, directeur général, collaborent M. Portelli, agent comptable, J. Fulcrand et P. Trapet, directeurs adjoints. Ce dernier deviendra directeur général de la CPAM du Var. Il est parallèlement adhérent à  la CGT des cadres et assure à  ce titre des responsabilités au plan national. Enfin, le conseil, toujours très attentif à  l'évolution de la sécurité sociale, examine les différents rapports et projets de loi élaborés à  cet effet.

Ne disposant pas d'une majorité suffisante pour faire passer ses projets de réformes du système par la procédure parlementaire habituelle, le gouvernement Pompidou choisit de passer en force en demandant les pleins pouvoirs. Il les obtient avec quelques voix de majorité en mai 1967, et en pleine période estivale, le 21 août, il publie les ordonnances "relatives à  l'organisation administrative de la sécurité sociale". Celles-ci comportent notamment l'augmentation des cotisations des salariés, la réduction de remboursement de médicaments et de soins, l'éclatement de l'unicité du système par la création de trois caisses nationales, la suppression des élections des administrateurs et l'entrée en force du patronat à  travers la mise en place de conseils paritaires.


Lorsque ces textes sont débattus au conseil d'administration du 27 septembre, François Royer déclare entre autres: "doté des pleins pouvoirs accordés par une faible majorité et effrayé par un débat public au parlement, le gouvernement a pris ses responsabilités; il a renié ses promesses, mais le débat reste ouvert devant le pays. Jamais nous n'avaliserons une telle politique de régression sociale..." Il poursuit: " Alors que la production, la productivité du travail, le revenu national  ont augmenté dans des proportions très sensibles, en particulier par l'effort des masses laborieuses qui effectuent les longues semaines de travail de 45, 48, 54, 60 heures, et parfois plus, nous sont offerts un retour en arrière de plusieurs dizaines d'années et la remise en cause d'avantages acquis depuis plus de vingt ans."

Il fustige encore le pouvoir: "Ces ordonnances, c'est le refus à  ceux qui sont les vrais créateurs des richesses nationales de sauvegarder leur seul capital qui est leur force de travail. est-ce cela la grandeur française ?"

Cette condamnation des ordonnances sera également partagée par les administrateurs CFDT qui en dénoncent le contenu "largement inspiré par le CNPF au point qu'on retrouve dans les nouveaux textes comme dans les commentaires officiels qui en ont été faits presque mot pour mot un rapport d'un des représentants les plus qualifiés du patronat français".

Les confédérations CGT et CFDT qui combattent les ordonnances ont décidé dans le cadre d'un accord national de ne pas présenter de candidat aux postes de président de caisse et d'appeler les travailleurs à  manifester leur refus de ces ordonnances lors de la mise en place des nouveaux conseils. C'est dans ce contexte que se déroule la dernière séance de la mandature le 26 octobre 67.

Au cours de celle-ci, Louis Imbert, CGT, représentant du personnel au CA, remercie celui-ci pour la bonne compréhension qu'il a toujours manifestée à  l'égard du personnel et déclare qu'il "éprouve en ce moment de vives inquiétudes pour l'avenir de la convention collective de la profession".

J. Pralong, CFDT, ajoute: " J'ai vu pas mal de modifications dans la sécurité sociale, et l'hommage rendu par le directeur aux administrateurs est un hommage à  cette gestion à  majorité ouvrière à  laquelle il convient d'ajouter tous les représentants. Une page se tourne et bien que je sois un des plus âgés, je ne désespère pas de l'avenir."  

Puis le directeur, M. Bontemps, confie: " Je voudrais dire tout le respect que j'éprouve pour notre président avec qui nous avons toujours la plus efficace collaboration et je rends un hommage sincère et appuyé à  l'activité de M. Royer et à  sa compréhension de nos problèmes."

Celui-ci conclue la discussion en déclarant: " Il est vrai que je ne serai pas candidat à  la présidence. Ce n'est pas de gaieté de coeur. Lorsque par notre lutte, notre travail, nous conquérons un poste qui nous permet de pouvoir élargir nos possibilités d'actions, nous le défendons avec la conscience d'un militant. Demain, je me retrouverai administrateur assis autour de la table et j'essaierai de jouer mon rôle avec toutes les possibilités et les connaissances qu'on pu me donner sept ans de présidence de la caisse. Nous regretterons l'atmosphère de sérieux et de travail que nous avons connue au cours de ces années bénéfiques pour les assurés et pour le fonctionnement de la caisse. Je veux également remercier les syndicats de personnels des trois organismes sociaux qui ont pensé, qu'en qualité d'employés, ils avaient le devoir de défendre plus que les autres, les assurés sociaux".

Un nouveau conseil d'administration paritaire sera mis en place le 13 novembre, à  l'issue d'une manifestation organisée par les UD CGT et CFDT. Il élit à  sa présidence le représentant du patronat local, J. Violet, et à  sa vice-présidence, le représentant de FO: J. Sofietto. François Royer en resta membre jusqu'en novembre 1971, parallèlement, il assura d'autres responsabilités importantes dans les structures de sécurité sociale. D'abord à  la fédération nationale des organismes de sécurité sociale (FNOSS) présidée par Henry Raynaud, secrétaire confédéral de la CGT, qui sera dissoute en 1967 et remplacée par l'union nationale des caisses de sécurité sociale UNCASS, avec des prérogatives moins importantes. Il sera aussi vice-président de la CRAM Rhône-Alpes aux côtés d'un autre militant CGT, Henry Forest, président de l'organisme, et siègera à  l'URSSAF de Saint-Etienne.

Solliciter à  plusieurs reprises pour venir renforcer le tout jeune secteur social confédéral, il s'est toujours, disait-il, refusé à  quitter son quartier et son jardin de Solaure pour la vie parisienne. L'activité militante de François Royer s'étend aussi au domaine économique et associatif. Il représente la CGT au "comité des prix" qui siège à  la préfecture, ainsi que dans d'autres organismes paritaires, notamment en matière de logement.

Le début des années 50 fut marquée aussi au niveau du monde du travail par la crise des prêtres ouvriers auxquels l'Eglise Catholique a demandé de rentrer dans le rang. C'est à  dire de quitter leur travail et pour beaucoup d'entre eux, de rompre avec la CGT. C'est dans ce contexte de tension que l'ancien évêque de Lyon, Mgr Ancel vint donner une conférence intitulée "L'Eglise et la classe ouvrière" à  la Bourse du Travail de Saint-Etienne le 24 octobre 1949. Alfred Ancel signa par ailleurs plusieurs ouvrages dont un écrit avec Joseph Jacquet, ancien secrétaire régional CGT. François Royer, orateur de qualité, lui apporta la contradiction lors de cette conférence.

Fondée au lendemain de la guerre, l'Association Familiale des Travailleurs de la Loire constitue la seconde corde, avec la Sécu, de son arc militant. L'Association gère la maison de Pouilly-lès-Feurs qui accueille les stages de formation syndicale; le centre de raccomodage qui, en convention avec la CAF, permet aux familles d'acquérir des vêtements à  moindre coût; le camping de Confonlens dans les années 70 pour la réalisation duquel il fut aidé par E. Viozat, cadre de la CAF de Saint-Etienne. C'est aussi le service juridique qui offre une aide concrète aux travailleurs isolés, sans oublier l'école de musique et de danse qu'il contribue à  créer dans son quartier...

Au plan politique, il a été candidat à  des élections cantonales et municipales. Il occupe en particulier une des premières places aux côtés de C. Buard, H. Bouchardeau, M. Pierre dans la liste d'union conduite par Michel Olagnier, en tête au 1er tour des élections municipales de 65 à  Saint-Etienne. En 72, il prend sa retraite. Deux ans plus tard, il reçoit la médaille du mérite social. Reconnaissance modeste des pouvoirs publics envers une si riche activité.