Poèmes des Maurice, fille et père; "Retour" d' André Mayat; la messe de l'Abbé Ploton dans l'enfer de Dora; les derniers mois d'une jeune fille de France; l'évocation dans un camp de la mort, par Nelly Gorce, de la famille Cave de Saint-Chamond; les prisons lyonnaises, antichambre de la déportation par Jean Nocher; l'arbre de Goethe à Buchenwald par CV; "Ton nom" de Nocher. Quelques témoignages de Foréziens publiés en leur temps dans divers recueils.
" O Morts trahis d'un triste Messidor
Morts enfouis les dents serrées
Sous l'éboulis des terres éventrées
Ne sentirez vous point s'ouvrir les portes d'or ?
Les portes au sommet de nos rêves juchées,
Dans l'azur vide enfin des fusilleurs d'enfants,
Les portes d'or des siècles triomphants
Ne les sentirez vous sur les moissons penchées ? "
Lorsque les horizons seront devenus bleus,
Ma soeur, il nous faudra nous souvenir encore
De nos rêves mort-nés dans le soir nébuleux.

Sur les têtes nues d'espoir et de liberté
Regroupez vos mémoires
Dispersées aux massacres de la guerre,
Faites jaillir la vérité
Avant que vos paroles ne soient étouffées
Sous le bruit des obus,
Avant que les flammes
Ne lèchent l'étendard de l'humanité
Et que le wagon ne s'arrête
Dans les gares sans lendemain. "
.Retour d'André Mayat, Rive-de-Gier
" Nous nous installions à même le sol, tandis que l'un de nous se chargeait de faire le guet. Pour nous avertir il ne criait pas " Vingt-deux " suivant l'argot des casernes, car la signification spéciale de ce chiffre était connue des étrangers. Nous lui avons donc subtilisé " Belote ". Sur la serviette qui remplaçait le corporal, je plaçais mon quart en guise de calice. Les hosties, à peine plus grosses que des confettis étaient déposées dans une de ces boites métalliques que nous fabriquions à la dérobée, pour notre usage personnel. Certaines avaient une réelle valeur artistique. Et sans autre vêtement que ma livrée de bagnard, symbole de tant de souffrance, je célébrais la Sainte Messe, récitant les prières en français, sauf la formule consécratoire qui doit être prononcée dans la langue de l'Eglise* " * ndlr: le concile Vatican II n'était pas encore passé par là .
Image: Le Christ de la cellule 21 du Block 11 à Auschwitz-Birkenau, Silésie-Pologne (archives FI)
" Faute de raisins, il fallut, pendant quelques mois, interrompre la messe. La dernière " de ce temps là " fut célébrée un dimanche après-midi, au début d'août 1944. L'église était le camp même; la voûte: un ciel idéalement bleu; la nef: la pente de la colline vers le block 140; les reliques: un prêtre dont le genou droit servait de table; le corporal: un bout de chiffon lavé tant bien que mal et encore gris; le calice: une boîte à sardine minutieusement nettoyée. Un chevalier du Saint Sépulcre (les membres de cet ordre sont chargés de la garde de la couronne d'épines du Christ à Notre-Dame de Paris): Georges assistait le célébrant; l'Abbé officiait assis. Etendus, comme s'ils profitaient amplement du soleil, Pierre, Roger et quelques autres, huit en tout, prenaient part à l'Offrande Sacrée. Au Pater, un inconnu qui dévalait à travers les taillis, fit un magnifique saut par dessus le "tombeau vivant" et poursuivit sa route. A la communion, les hosties passèrent de main en main. Aucun oiseau ne gazouillait, le nouveau four crématoire, inauguré la veille, lançait ses volutes de fumée dans l'azur. "
7000 religieux, prêtres et pasteurs furent déportés dans les camps. Les SS les appelaient les " sorciers du ciel ", " clowns du ciel " ou " chiens du ciel ". 5000 ne sont pas revenus. Dans l'enfer des camps, ces prêtres au risque de leur vie ont célébré la messe, donné la communion, confessé. Dans un camp, un évêque a même ordonné un prêtre. L'Abbé Ploton avait fait de sa cure du Crêt de Roch une imprimerie clandestine, il sauva la vie de nombreux fugitifs. Il fut déporté. A son retour, 5000 Stéphanois l'accueillirent à Chateaucreux et l'accompagnèrent sur sa colline où il repose.
Nelly Gorce, Journal. Michou et Marie évoquées ci-dessous sont madame Cave et sa fille, arrêtées à Saint-Chamond en 1943. Elles ne sont pas revenues. Paul, sauf erreur, a survécu.
" Etant donné les avantages de ma situation de " Zimmerdienst " je pénètre dans le couloir et demande:
-Y-a-t-il quelqu'un de la Loire ?
Une femme squelettique, au visage empreint de bonté me répond:-Ma fille et moi sommes de Saint-Chamond. Emue, je m'empresse, embrasse la malheureuse. Nous sommes voisins ! Nos visages rayonnent et nous parlons, parlons. Toutes deux sont arrêtées depuis fin juin par le trop fameux milicien Freddy, Marie seule s'occupait de Résistance, elle a été dénoncée, et le traître français, non content d'arrêter la jeune fille, emmenait le père, la mère et le jeune fils, Paul âgé de dix-sept ans, après avoir pillé l'appartement et commerce.
Marie arrive, c'est une ravissante blonde de vingt ans. J'ai rarement connu un visage plus franc que le sien, une calme douceur composait une partie de son charme, un regard brun et enfantin laissait deviner une vive intelligence. Mère et fille s'adoraient et il était touchant de voir leurs attentions réciproques, " je n'ai pas faim " disait la mère, pour que Marie puisse manger sa part, et Marie n'aimait jamais le morceau de margarine qui nous était parcimonieusement distribué le samedi.
Immédiatement nous devons inséparables. Avec Michou nous faisons le tour de nos relations et vidons notre paquetage pour trouver de quoi les vêtir. Elles sont démunies de tout, comme toutes les nouvelles arrivantes et doivent aller pieds nus, avec des robes de coton sans manches sous lesquelles elles grelottent les jours sans soleil et le matin à l'appel. Par bonheur nous devons nous occuper d'une corvée de robes qui nous permet de rapporter à chacune d'elles une tenue rayée inconfortable mais plus chaude.
" Dès que j'avais cinq minutes de répit, Marie venait sur mon lit et nous parlions de nos montagnes, du Pilat, des courses que nous y avions faites, de la Jasserie où toute la jeunesse sportive se donne rendez-vous le dimanche et de nos randonnées en ski. Souvent nous oublions le lieu où nous nous trouvons et seule l'heure de la soupe peut nous rendre à la triste réalité ". A Bergen-Belsen, camp de l'atroce, dans l'horreur du typhus, Michou meurt lentement. Déjà , la pauvrette n'est plus elle-même. Par bonheur elle ne comprendra pas la fin tragique qui lui est réservée.
" Michou, au corps si fin, au petit visage espiègle. Avant d'être engloutie par la gueule insatiable du crématoire, une mèche de tes blonds cheveux est dérobée par une fille belge. Le seul souvenir devant lequel pleurera une mère. As-tu été gazée auparavant ?
" Michou, Michou, je me souviens de ta terreur lorsque dans la nuit tu regardais les flammes lugubres se dresser vers le ciel. Pressentais-tu qu'elles enroberaient un jour ta petite personne charmante pour la livrer à l'Infini ?
Mortes, mes amies chères. Mortes, pour t'avoir trop aimée, la France. "
Carte postale (archives FI)
Ce fragment du journal de Jean Nocher, alors détenu à Lyon fut lu et commenté par Pierre Bloch à la BBC anglaise:
" Nous sommes sept dans ce cachot individuel. Cinq paillasses éventrées et autant de couvertures. La nuit, on enlève tous les vêtements. Il fait déjà froid et humide. Nous avons "dormi" -à peine- en tas, assaillis par des escadrons de punaises qui tombent par paquets du plafond. Ce matin nous en avons écrasé 476... C'est une infection. Heureusement, la tinette, -" individuelle " aussi, et qui déborde à partir de 15 heures l'après midi-nous change un peu d'odeur. Nous sortons vingt minutes par jour, à cinquante dans une cour de 40 mètres carrés, munie d'un seul robinet. Douches, une fois par semaine, qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente. Un cheval en crèverait. Mais l'homme, comme chacun sait, est supérieur au cheval. "
La prison Saint-Paul de Lyon
Nocher toujours:
" 2 octobre 1942, plus rien à fumer depuis deux jours. Nous crevons de faim: deux fois par jour, une soupe à l'eau claire où nagent quelques épluchures de patates... Presque toutes nos lettres nous reviennent. " Pas réglementaires" Plusieurs gardiens ont essayé de nous frapper. Nous leur avons donné un avertissement: " Un seul coup et on vous fait descendre par les Groupes Francs. " Un gaffe ( gardien) m'a déchiré aujourd'hui ma dernière cigarette " pour voir si je ne cachais pas de message pour Londres dedans " (...) Je me suis consolé en pensant que mon message pour Londres était dans mon tube de pâte dentifrice.
12 octobre 1942. -Ceux de ma cellule: Murat qui soigne ses côtes cassées, avec philosophie; Latour* qui, à vingt-trois ans revoit la prison pour la deuxième fois; Oriol qui remet çà lui aussi et nous initie aux mystères de la tôle; le petit Nova de Vienne qui est devenu sourd sous les coups de matraque; et le Père Roche de Roanne, gazé, grand mutilé, qui grelotte de fièvre et à qui on refuse l'infirmerie, Hautier**, un pince-sans-rire qui convoyait mes armes à Saint Etienne et que je ne connaissais pas! Enfin, Duhazé le traître que nous avons condamné à mourir de faim. Il s'éteint doucement. Nous aussi d'ailleurs. Dans la cellule d'en face, un joyeux drille hurle des airs d'opéra. C'est une vieille connaissance: Olivier***, spécialiste du "mitard". Il va bientôt être jugé avec Mme Albrecht****, au cours du grand procès de " Combat ". Je me suis mis à écrire des poèmes."
* Il s'agit de René Seyroux.
** Chef de fabrication à Saint-Etienne, il devint par la suite commandant des FFI de La Rochelle.
*** Il s'agit de Jean Perrin, le Mitard est une cellule de punition. On n'y mange qu'une soupe tous les quatre jours. Pas de couverture.
**** Une des très grandes figures de la Résistance. Secrétaire de Frenay, décapitée à la hache à la prison de Fresnes.
" 15 mars 1943. -Cette nuit, branle-bas inaccoutumé. Au matin, nous avons compris qu'il y avait de nouveaux pensionnaires. Nous sommes maintenant une centaine. A t'on fait un peu partout la cueillette des otages ? Hélas ! J'ai eu la tristesse de voir arriver, parmi eux, un contingent important de Stéphanois (...)
16 mars 43. -Les Israélites de Saint Etienne ont été déportés. J'ai craint un moment qu'ils n'aient été fusillés, les mitrailleuses s'étant remis à aboyer hier matin. Nous avons pu les voir, du fond de la cour, parqués dans une salle comme du bétail..."
Toujours d'après Nocher dans Les geôles de la Liberté, de ces Français juifs dont il nous parle, un seul, René Brunschwig, aurait survécu.
Poteaux d'exécutions de la prison Saint Paul de Lyon (Jean Nocher, Les Geôles de la Liberté, décembre 44). Légende: "Cette image hanta bien des rêves de prisonniers..."
Retour à Saint-Paul:
21 octobre 43. -Reçu dans ma cellule la visite du Père Marty*, aumônier de Saint Paul. C'est un très chic type (...) qui ferait bien davantage s'il n'était constamment espionné par le directeur Turban...
22 octobre 43. -Un nouveau détenu vient d'arriver: Louchard ; Francoz, Agostini et les bourreaux lui ont écrasé les parties sexuelles dans un étau.
*Le Père Marty fut par la suite arrêté par la gestapo, déporté et fusillé.

" Il est très difficile de vous donner nos impressions et de vous décrire toutes les souffrances par où nous avons passé, car nous ne pouvons plus juger comme vous. Nous sommes en quelque sorte habitués à toutes ces horreurs et la vie d'esclave que nous avons subie nous a marqués profondément. Je me rends compte que si ce que nous avons vu là -bas s'était passé dans les prisons Françaises, nous aurions été terrorisés et scandalisés. Eh bien pourtant, à Buchenwald, aucun de mes camarades ne trouvait anormal de s'asseoir à coté d'un cadavre pour manger sa soupe.
Henri Perrin, à Saint-Etienne à son retour de déportation. Cette photo est extraite d'un site internet qui lui était consacré.
Dès le départ de Compiègne, les S.S. nous avaient montré que nous n'étions pour eux que du vil bétail bon à être exterminé. Pour partir, ils nous ont enfermé au nombre de cent par wagon de marchandise, et nous sommes restés quatre jours sans air et surtout sans eau. Les camarades perdaient fréquemment connaissance. L'un d'entre eux, étant sur le point de mourir, on supplie le SS qui était de garde de bien vouloir ouvrir la porte afin de lui donner un peu d'air. Le S.S. nous répond froidement, sans sourire : " Je veux bien l'ouvrir si vous voulez qu'on achève ce malade! " A chaque convoi de prisonniers, il n'était pas rare de trouver, à l'arrivée, 200 morts sur 1500 déportés qui étaient au départ. Et il est parfaitement exact que , lorsqu'il s'agissait de Juifs, les S.S. étendaient une couche de chlorure de chaux sur le plancher, de telle façon que la plupart de ces malheureux étaient asphyxiés pendant le voyage.
L'arrivée au camp n'était pas faite du tout pour nous faire bien augurer en l'avenir. Les S.S., avec un sadisme tout particulier, excellent dans l'art de faire alterner le douceur et la cruauté, de telle façon que les malheureux déportés sont complètement désorientés et ne cherchent déjà plus à réagir. Je ne vous parlerai pas de la vie au camp. Il y a déjà eu de nombreux récits sur ces camps de la mort lente, et tout ce que l'on a dit est exact. Mais je voudrais surtout bien préciser une chose qui montrera aux Français qui dès maintenant, commencent à dire: " Il y a deux Allemagne: Il y a l'Allemagne Nazie et la bonne Allemagne ", combien cette affirmation est fausse et ne repose sur rien. La vie matérielle du camp était assurée par les prisonniers eux-mêmes. Ces prisonniers responsables étaient, en général, des prisonniers politiques allemands qui se trouvaient au camp depuis une dizaine d'années. J'atteste ici que ces prisonniers politiques allemands étaient pour nous, Français, beaucoup plus durs et beaucoup plus cruels que n'importe quel S.S. Et l'un d'entre eux a fait à moi-même la réflexion suivante, au moment où j'étais chargé de nettoyer les fosses de décantation où aboutissaient les égouts du camp: " Vous autres, Français, vous êtes bon à manger de la m..."
Mais oublions un peu tous ces souvenirs de malheur. Au camp, une légende circulait et c'est elle qui nous a permis d'espérer et de vivre. Cette légende disait que l'arbre qui se trouvait dans une certaine partie de Buchenwald était l'arbre auprès duquel Goethe aimait à se recueillir; et depuis toujours, les Allemands étaient persuadés que l'année qui suivrait la mort de l'arbre marquerait la destruction de l'Allemagne. Cet arbre servait de potence, à Buchenwald, pour pendre de nombreux détenus. L'année dernière l'arbre est mort ...
Mais voyez-vous notre plus grande joie, semblable à la vôtre, c'est qu'en quelque sorte nous nous sommes presque libérés seuls: nous avions réussi à former un véritable Mouvement de Résistance entre les prisonniers politiques du camp. Nous étions groupés par sizaines, comme au bon temps de l'Armée Secrète. Des camarades avaient pu camoufler quelques armes qu'ils avaient prises à l'usine d'armement dans laquelle ils travaillaient. Lorsqu'on a entendu le bruit de la bataille qui s'approchait, nous avons constitué nos Groupes Francs, pris nos armes et nous avons réussi à faire prisonniers 200 S.S., que nous avons remis victorieusement entre les mains des Américains. De nos bourreaux nous en avions fait des prisonniers de guerre. Nous avons la joie d'avoir vaincu non seulement nos terribles ennemis, mais aussi nos instincts de haine et de vengeance farouche qui, normalement, nous animaient.
Et maintenant, il faut se remettre sérieusement au travail, car je crois que la France n'a pas encore retrouvé son équilibre et que le redressement nécessaire qui devait être fait ne s'est pas encore accompli. Il ne faudrait pas que les 51 000 morts de Buchenwald soient morts pour rien.
Cela, je crois que nous ne le permettrons jamais."
Jean Nocher, Ton nom !.., Centre d'internement administratif d'Evaux, 1943.
" Sur tous les murs de mes prisons
au coeur pesant de la pierre
au plus profond de la misère
j'ai gravé ton nom...
Bagnard, en tournant en rond,
et jusque sur le grand mur
où l'on meurt, à la torture,
j'ai inscrit ton nom.
Dans les refrains de mes chansons
dans la nuit qui n'a pas de fin,
aux lueurs pâles du matin,
j'ai chanté ton nom.
Dans le désespoir sans fond
dans les ténèbres, dans le jour
qui naît, dans tous les chants d'amour,
j'ai murmuré ton nom.
Sur la tombe des compagnons
qui pleurent ou qui me sourient,
sur le tombeau de ma Patrie
j'ai dessiné ton nom.
Contre tout espoir, toute raison
dans mon pauvre carré de ciel,
dans un seul rayon de soleil,
j'ai vu luire ton nom.
Dans les douleurs du grand pardon,
dans les mains trouées des martyrs,
dans l'enfantement de l'avenir,
j'ai vu saigner ton nom.
Dans l'incendie de nos maisons,
dans le coeur meurtri de ma mie,
à mon dernier souffle de ma vie,
j'ai vu ressusciter ton nom.
Es-tu ange, es-tu démon ?
tant aimée qui nous fut ravie,
liberté, Liberté chérie
je suis enchaîné à ton nom. "
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