PROMENONS-NOUS DANS LE GRAND BOIS, LES SARRASINS N'Y SONT PAS !
DES NOMS DE LIEUX ETRANGES
Nous empruntons une belle piste forestière, dite « route du comte Amelot. » Qui était ce comte ? Tout simplement l'ancien propriétaire de cette partie de la forêt, avant son rachat par la ville de Saint-Etienne. Le comte Amelot habitait un peu au-dessus du Pont Souvignet, en montant sur Tarentaise, dans un « château » dont il ne reste plus une pierre. Nous laissons à droite la « route du Roy. » Après le comte, le roi de France ? Non, cette route conserve le souvenir d'Alfred Roy, inspecteur des Eaux et Forêts dans les années trente. Toujours sur la route du comte Amelot, qui maintenant amorce une légère descente régulière, apparaît en contrebas à gauche le « sapin géant », haut d'une cinquantaine de mètres. Une allée permet d'accéder jusqu'à son pied, et des panneaux didactiques donnent diverses informations à son sujet. C'est l'un des « arbres remarquables » de cette forêt, que l'on peut découvrir au hasard des promenades, et qui sont tous signalés par des pancartes, par les bons soins de l'Office National des Forêts.
Randonneurs dans le Grand Bois
Nous voici au bord du Furan, ruisseau clair et limpide à ce niveau-là , sans rapport avec son aspect aux abords de Saint-Etienne ! Nous remontons son cours en suivant la « route Balay », gardant elle aussi le souvenir de M. Balay, l'un des anciens propriétaires du bois. Puis la piste suit un affluent du Furan, le ruisseau de la Cambuse, ainsi nommé car il prend sa source plus haut, vers la « Maison des Gardes » à qui l'on donnait parfois le surnom de « cambuse. » Ce n'est pas le seul nom de lieu étrange, en apparence du moins, dans le Grand Bois. Plus haut sur notre chemin apparaît cette pancarte :
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LA PORTE DE FER
Inutile d'imaginer une sombre histoire de cachot où le Masque de Fer aurait été enfermé, cette porte n'est qu'un « épanchoir », terme un peu barbare pour désigner le canal évacuant le trop-plein des eaux de l'aqueduc des sources, qui alimentait les fontaines de la ville de Saint-Etienne. J'y reviendrai prochainement, plus en détails. La Maison des Gardes est aussi un souvenir de cet aqueduc, et de l'époque où ses gardiens vivaient en permanence dans les bois.
Nous allons y monter, précisément, vers cette Maison des Gardes, pour suivre à gauche le « chemin du pont de bois » où il n'y a pas de pont, ni en bois ni en fer ! Le pont existait pourtant, autrefois, il servait à enjamber ce chemin creux et était utilisé par les bûcherons. Sur les cartes anciennes on voit aussi apparaître « le chemin du foin », curieux, au milieu des bois ! Mais justement ces bois n'ont pas toujours été là , il y avait jadis de nombreux pâturages, donc du foin à couper et à engranger, en le transportant par le chemin du même nom. « La source du moine » a disparu, du terrain et des cartes, elle rappelait que ce Grand Bois fut jadis la propriété des Chartreux de Sainte-Croix-en-Jarez, qui possédaient à proximité la maison de Prarouet, d'où ils pouvaient surveiller leur domaine sylvicole et agricole.
LA SARRASINIERE
Nous voici à un carrefour de chemins, au point 1181 de la carte topographique. Il y a non loin de là un site peu connu : la Sarrasinière. Pour y accéder, depuis le carrefour nous prenons le chemin à gauche, puis au carrefour suivant nous descendons par le sentier à droite, et peu après apparaît à gauche un amas rocheux, à une trentaine de mètres du sentier. C'est une petite falaise, un simple escarpement. A sa base se découpe une ouverture rectangulaire haute de moins d'un mètre, celle d'un boyau qui semble s'enfoncer dans le sol. C'est à peine si un enfant ou une personne de petite taille peut y entrer, mais un bâton engagé entre deux pierres, au fond de ce trou, disparaît entièrement. La grotte fut découverte à la fin des années quarante par Monsieur Roger Bargeton, instituteur au Bessat de 1941 à 1968. L'un de ses élèves réussit à pénétrer dans la grotte. Il s'y engagea sur une longueur de quatre ou cinq mètres.
La grotte de la Sarrasinière, dans les années 60 (photo Roger Bargeton)
Dans l'esprit des croyances populaires, n'importe quel trou dans le sol ou dans un rocher était une grotte « des Sarrasins », ou « des fées », lesquelles étaient, c'est bien connu, les épouses des premiers ! Mais cette cavité serait en fait le débouché de l'un des souterrains du château du Toil. M. Bargeton avait peint une inscription, en noir sur fond blanc, à l'entrée de la grotte :
Détail de l'inscription
Le château du Toil est à moins de trois kilomètres de là , à vol d'oiseau, plein nord, mais à une altitude inférieure : 130 m de dénivelé. Le boyau devait passer sous le Bessat et descendre vers le château. Les anciens se souviennent encore qu'étant enfants ils allaient au Toil pour s'amuser dans ses souterrains. Tout cela reste évidemment à démontrer. Peut-être la Sarrasinière n'était-elle qu'un simple souterrain-abri creusé à une époque indéterminée ? Cependant, le château ayant appartenu à la famille de Tournon, et cette partie du Grand Bois étant nommée précisément Bois de Tournon, on peut imaginer un lien de cause à effet.
L'auteur, perché sur la Sarrasinière (photo Bernard Jamet)
ROGER BARGETON, UN PILATOIS DIGNE DE MEMOIRE
Cet homme simple et affable fut le pionnier de la randonnée pédestre dans le Pilat. J'ai eu le privilège de le rencontrer à la fin de sa vie, il y a une quinzaine d'années. Il m'expliqua qu'étant en poste au Bessat, il était très effrayé à l'idée de pénétrer dans les bois. Pourtant, à force de raisonner, il convint que cela ne représentait pas de danger, sauf celui de s'y perdre. Alors il procéda par petites touches, allant chaque jour un peu plus loin, mais prenant soin de dérouler un peloton de ficelle pour être sûr de pouvoir revenir sur ses pas. Sa ficelle fut vite trop courte. Il eut donc l'idée de peindre des repères sur les arbres, des disques bicolores dont le côté blanc était toujours tourné vers le Bessat. On doit à Roger Bargeton les premiers balisages, réalisés avec ses élèves, les premiers topoguides en collaboration avec Claude Berthier, et la création du ski scolaire. Mais il fut aussi un infatigable dénicheur de curiosités. Par exemple, il découvrit près du bachat de Lescure un arbre merveilleux. Sur son tronc élancé, la nature avait dessiné, par la fantaisie des lichens qui s'y étaient accrochés, le visage du Christ, semblable à celui du Suaire de Turin ! Cette image n'a eu qu'une vie éphémère, seuls les yeux étaient encore visibles il y a quelques années. Roger Bargeton repose aujourd'hui dans le petit cimetière de Graix.