Parmi les nombreux sites d'intérêt exceptionnel de la région Rhône-Alpes, il y a les Gorges de la Loire. Ce fut même en 1999, si l'on en croit son Syndicat mixte d'Aménagement, le premier grand site classé de notre département. A 12 km de Saint-Etienne (à vol d'oiseau), du Pertuiset à Saint-Just-Saint-Rambert, sur 1 500 hectares, il est aussi le plus pittoresque du Forez.
Sur la rive gauche de la Loire, le pays de Chambles, « sur un plateau lumineux et fertile où l'on respire un air très pur, constamment brassé par les courants aériens », ainsi que l'écrivait Albert Boissier dans les années 30, offre un panorama exceptionnel. Cette contrée bien connue des promeneurs et des sportifs est également un site historique de premier plan.
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Essalois
Notre balade commence à Essalois. Le château a été construit un peu en contrebas d'un petit mamelon où les Gaulois Ségusiaves avaient construit un oppidum et sur le site duquel des fouilles ont révélé, notamment, de nombreuses pièces de monnaies d'origines diverses, indiquant qu'Essalois mériterait bien son étymologie, soit « Uxellodunum », c'est à dire « passage ».
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Vue sur le château depuis Notre-Dame de Grâces
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On sait peu de choses sur l'ancien château, la bâtisse actuelle, fantaisiste, ayant été élevée par Hippolyte Sauzéa au XIXe siècle. A ce riche Stéphanois, Marcilly-le-Châtel, dans la plaine, doit aussi une bonne partie de son château, toute aussi fantaisiste. Il existait ici au XVe siècle une tour fortifiée qui aurait appartenue à un certain Béraud de la Bâtie. Vers 1580, un château fut construit par Léonard de Bertrand, maître des Eaux et Forêts à Montbrison. Dix ans plus tard, il fut assiégé par Honoré d'Urfé à la tête des Ligueurs. Il devint ensuite la propriété d'une famille de Sury, les Sourdis, qui le léguèrent en 1671 aux ermites du Val-Jésus que nous évoquerons plus loin.
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Grangent
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Vue aérienne sur Essalois, le barrage de Grangent, l'île et les Camaldules (à droite)
Photo FI
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Dans l'axe du château d'Essalois, au sein même du fleuve, Grangent est une île coiffée d'un château et d'une chapelle. Quand les nuages effacent Bélénos et que les eaux et les rochers de Grangent se teintent d'une égale noirceur, il ne manque plus au tableau que Nessie pointant le bout de son nez. Mais cette touche exotique est due à l'intervention des hommes. C'est la construction du barrage qui fit le lac et l'île de Grangent. Autrefois, c'était un éperon de rochers d'une trentaine de mètres de hauteur s'avançant dans le lit du fleuve. Les Ségusiaves utilisaient probablement l'endroit comme port d'attache pour les marchands étrangers, grecs notamment.
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Vue depuis le plateau de la Danse: Essalois (à gauche) et Grangent (au centre
Photo: Dominique Charrière
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De nombreuses légendes entourent ce lieu. D'abord celle de la dispute effroyable que se livraient les paroisses de Saint-Just et de Saint-Victor pour sa possession. Jusqu'au jour où un cataclysme ouvrit dans le sol un ravin gigantesque séparant les deux paroisses. Jugement de Dieu était rendu : Grangent appartiendrait à Saint-Just. L'autre légende (encore une histoire de propriété) concerne Pâquerette. Cette ravissante jeune femme fut enlevée par un seigneur de Grangent et enfermée pour son bon plaisir dans le manoir. Mais le diable, jaloux, la disputa au brigand. Les deux coquins se querellèrent tant et tant qu'ils en oublièrent la pauvrette qui agonisa dans son coin ! Jusqu'au jour où minuit sonnant, on vit un dragon enlever l'âme du seigneur cruel et l'emmener vers les Enfers. Et Pâquerette revint, nimbée de lumière. Elle eut juste le temps d'embrasser son vieux père avant d'être enlevée à nouveau, par deux anges.
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Dessin du XIXe
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Le château est cité pour la première fois en 1173, l'année où le comte de Forez et l'archevêque de Lyon conclurent enfin un traité qui définissait les limites de leurs territoires respectifs. Mais il est certainement bien plus ancien. Construit sans doute au IXe siècle, il a appartenu à la puissante famille de Jarez, puis passa aux Lavieu (qui possédait déjà Cornillon, Feugerolles, Oriol, Roche-la-Molière), puis aux Chauderon d'Ecotay (d'origine écossaise ?) et enfin aux Capponi de Feugerolles, originaires d'Italie. La tour s'élève à dix-huit mètres de haut pour dix-huit mètres de circonférence. Elle comporte trois étages.
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La chapelle fait partie d'un ancien ermitage qui comprenait aussi deux étroites cellules, une pièce plus large et un vestibule. D'après l'abbé Signerin, c'est là le premier ermitage fondé en France, vers 1600, par les Camaldules, disciples de Saint Romuald. A la même époque, ils s'établirent aussi à la Sauvanière (lire notre article «Cotatay, vallée industrielle et bénie») et à Bouthéon (Notre-Dame-de-Consolation). L'ordre, qui devait presque entièrement s'éteindre au XVIIIe siècle, porte le nom de la cité italienne où fut fondé le premier ermitage en 1012 : Camaldoli, en Toscane. Quelques années plus tard, de nombreux autres ermitages camaldules devaient naître dans la région de Chambles : en 1610 à Notre-Dame-de-Grâces, l'ermitage de Saint-Joseph, près de Vassalieu en 1615, de Val-Jésus en 1628, tous fondés par Vital de Saint-Pol dont nous reparlerons plus loin à propos de Vassalieu et de Notre-Dame-de-Grâces.
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L'ancienne voie ferrée vers Firminy
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Mais pour l'heure et concernant l'ermitage de Grangent, placé sous l'autorité du prieur de Bouthéon, voici les noms des deux premiers ermites qui vinrent s'y isoler du monde : les Révérends Pères François Ximénès (un Espagnol) et Ange Marni, d'origine italienne ou espagnole.
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Photographie de Joseph Redon,
communiquée par son petit-fils, Mr Mongour
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Le barrage
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Construit entre 1955 et 1957 par EDF, le barrage-pont de Grangent s'élève à 70 mètres de hauteur pour une longueur de 206 mètres. Le complexe assure une production électrique de 100 millions de kwh/an. Sa retenue d'eau permet d'alimenter le canal du Forez (canal d'irrigation). Sa construction, qui n'a pas été sans effet sur l'écosystème et qui produit encore des boues toxiques, a donné naissance à un plan d'eau de 23 kilomètres, large de 400 mètres et d'une profondeur de 50 mètres.
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Le Val-Jésus
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L'ermitage du Val-Jésus (le lieu est aussi, et de plus en plus, désigné sous l'expression « Les Camaldules ») est situé non loin en amont du fleuve. Son nom viendrait d'une légende qui évoque ici la venue du Christ en personne. A l'état de ruines dans les années 30, cette « miniature de petit village », avec son église construite en 1628 et les cellules des ermites, a été remarquablement restaurée. Approcher ces lieux (privés), c'est aussi avoir une pensée pour Dom Jérôme, dernier des ermites du Val-Jésus qui prit le maquis durant plusieurs années, avant de succomber sur l'échafaud en 1793.
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Le Val-Jésus en hiver
Photo de D. Charrière
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La chapelle Saint-Roch
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A quelques centaines de mètres des Camaldules, en montant à travers bois où résonne le cri de la chouette, vers les rochers où se fait entendre parfois (si c'est vrai !) le son aigre d'une cornemuse, il y a les ruines de la chapelle Saint-Roch. Elle fut fondée par Vital de Saint-Pol « à cause de la peste dont Dieu affligeait alors la province ». A son origine, elle était également desservie par les Camaldules et fut au XVIIe siècle un important lieu de pèlerinage.
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Vassalieu
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Il est temps maintenant d'en apprendre un peu plus à propos de cette famille de Saint-Pol. Et pour celà , rendons-nous dans le hameau de Vassalieu, sur le plateau de Chambles. Il s'y trouve un beau château (ou manoir) qui leur appartint. Le village porte le nom de ses premiers habitants, notamment un Ponce de Vassalieu qui y aurait vécu vers 1280. Le fief passa ensuite aux mains de la famille de La Lande, possessionnée à Saint-Marcellin-en-Forez, puis à Louis de Saint-Pol, originaire de la Tour-en-Jarez. En 1497, Sébastien de Saint-Pol reconstruisit la demeure en ruine et l'augmenta de deux tours, l'une au nord et l'autre au sud. Il en reste une (la tour carrée, coiffée d'un toit pointu) qui flanque le logis principal dont la porte est surmontée de mâchicoulis du XVIe siècle.
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Vue sur Notre-Dame-de-Grâces depuis Vassalieu
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En 1633, Vital de Saint-Pol racheta le château à sa soeur Jeanne. La charité fut la grande affaire de Vital qui était aussi empreint d'une intense ferveur mystique. Nous avons déjà écrit qu'il avait fondé la chapelle Saint Roch. Il fut surtout le père de Notre-Dame-de-Grâces, élevée en 1608 après avoir fait le voeu de dédier un sanctuaire à la Vierge s'il se remettait d'un grave accident. Une fois la chapelle achevée, il y fit venir en 1610 les deux ermites de Grangent, Ximénès et Marni. Mais ceux-ci y restèrent peu de temps et regagnèrent leur ermitage de Grangent. Ils furent remplacés à Notre-Dame par des prêtres de l'Oratoire et une grande église fut construite pour accueillir la communauté. C'est à ces derniers que Vital de Saint-Pol, par testament, allait léguer son château en 1639.
Notre-Dame-de-Grâces
Le lieu reste surtout connu du grand public pour l'assassinat de l'ermite Brunel, le 18 juin 1891. Et le crime est resté dans les mémoires en raison de son auteur, le célèbre Ravachol. Nous n'évoquerons pas ici ce fait divers qui sera développé ultérieurement dans une petite bio de l'anarchiste. En revanche, nous allons nous attarder longuement sur l'histoire religieuse de Notre-Dame et de ses occupants. Nous empruntons ici, avec son autorisation, à l'article de Mr Franck Maurel-Segala : Notre-Dame-de-Grâces en forest : une académie de la congrégation de l'Oratoire en France, publié dans les Actes du colloque consacré à Port Royal et l'Oratoire (2000). Un petit mot à propos de l'auteur. Originaire de la « Ville rose », ancien professeur à la fac des Arts Plastiques de notre ville (qui à ses yeux n'a jamais été noire), Mr Maurel-Segala, après avoir apprécié la fonctionnalité d'un logement « made in Le Corbusier », a choisi de vivre à Notre-Dame-de-Grâces. Ou plutôt « dans » Notre Dame-de-Grâces puisqu'il habite dans une partie des bâtiments. Ce passionné d'architecture, qui se remet difficilement de l'attentat de la maison Peurière à Saint-Etienne (il n'est pas le seul !), nous apprend la grande histoire de ce lieu qui vit passer, nous dit la petite histoire, le célèbre Bossuet.
La chapelle de Notre-Dame-de-Grâces (1608) est encore visible. Elle est adossée au choeur de l'église des Oratoriens, construite en 1623. Le projet de Vital de Saint-Pol, en faveur des Camaldules, dépassait de loin ce premier ermitage. Il en fit construire un second en 1614, dit du « Mont Jésus », un peu plus à l'ouest. Puis un troisième en 1615, entre Notre-Dame et Vassalieu, destiné à l'éducation de six orphelins et dont s'occupèrent les Oratoriens jusqu'à la Révolution. Et enfin, un quatrième, destiné à deux ermites femmes, Alix Ravel et Cibile Chenevier. Mais cette « Auberge du Bon repos » dut fermer ses portes en 1620, les deux femmes ayant été invitées par l'archevêque de Lyon à ne point demeurer dans le voisinage des ermites.
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Ermite camaldule
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La présence des Camaldules à Notre-Dame eut pour conséquence d'attirer de nombreux pèlerins et la sérénité des lieux en fut troublée. C'est la raison pour laquelle les ermites regagnèrent Grangent et que Vital de Saint-Pol y installa en 1620 des prêtres de la Congrégation de l'Oratoire qu'il avait lui même intégré en 1617. Le premier supérieur de la communauté fut désigné par le cardinal de Bérulle, général et fondateur de la congrégation de France. Il se nommait Etienne Bonvelot.
En 1623, l'église fut construite par Faure de Gourgois. En 1626, son clocher, rarissime parce que trilobé (à trois tours accolées), fut élevé. A l'origine, trois dômes couverts de tuiles vernissées le surmontait et il possédait cinq cloches et une horloge. L'église fut aussi la dernière demeure de nombreux seigneurs issus des plus illustres familles foréziennes : Vital de Saint-Pol, Balthazar de Gadagne d'Hostun...
En 1623, l'église fut construite par Faure de Gourgois. En 1626, son clocher, rarissime parce que trilobé (à trois tours accolées), fut élevé. A l'origine, trois dômes couverts de tuiles vernissées le surmontait et il possédait cinq cloches et une horloge. L'église fut aussi la dernière demeure de nombreux seigneurs issus des plus illustres familles foréziennes : Vital de Saint-Pol, Balthazar de Gadagne d'Hostun...
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L'expansion de la congrégation fut rapide. Sur les quarante établissements oratoriens que compta le royaume, Notre-Dame fut le onzième en importance numérique. Elle reçut en 1680 le titre d'Académie qu'elle partagea seulement en France avec le collège de Juilly. Elle fut de fait la plus importante maison d'éducation du Forez. La vocation éducatrice de l'Oratoire datait de 1613, quand le pape Paul VI la lui imposa, faisant d'elle la concurrente féroce de l'Ordre des Jésuites. Si ces derniers, dans la Loire, étaient présents uniquement à Roanne, il est à signaler que l'Oratoire possédait une autre maison, à Montbrison, où loge actuellement la sous-préfecture.
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De 1620 à 1791, 31 supérieurs se succédèrent à la tête du collège de Notre-Dame. Combien d'élèves y furent instruits dans les domaines du Latin, de l'Histoire, des Mathématiques, de la Géographie... Selon Auguste Broutin, historien du XIXe siècle, « toute la jeune noblesse du Forez s'y donnait rendez-vous ». Il estime que jusqu'à 400 élèves pouvaient y être reçus, y compris des élèves de basse extraction. Bossuet, futur évêque de Meaux, connu pour ses oraisons, y passa quelques temps. De même, sans doute, que Massillon, évêque de Clermont dont le passage à Montbrison est attesté. En revanche, le passage de Fouché, ancien élève oratorien et futur chef de la police de Napoléon, bien que souvent évoqué, n'a jamais été démontré.
L'abbé Jean Chapelon a écrit à propos de la valeur de l'enseignement donné à Notre Dame:
« Les Muses de tout tion s'ay fant lour demouranci
Vou-eyt ici lou sejour de la bella elouquenci
Et vous, que say resta, devindris si savant
Que lengun n'osarat vous prendre par davant »
« Les Muses depuis toujours font ici leur demeure
C'est ici le séjour de la belle éloquence
Et vous qui vous demeurez ici deviendrez si savants
Que personne n'osera vous affronter »
Notre-Dame reçut d'innombrables dons, parfois de très grandes familles étrangères, comme les Joyeuse ou les Combourg, mais aussi de simples gens. Ainsi Claude Michalon, laboureur de Périgneux, qui en 1637 lui offrit tout son héritage.
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Bossuet
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Haut lieu du Jansénisme
Mais on ne peut évoquer l'Oratoire sans dire un mot de la doctrine janséniste dont certains de ses prêtres furent de farouches zélateurs. Le Jansénisme, condamné par la bulle Ungenitus du Pape Clément XI en 1713, doit son nom à Jansénius (ou Jansen). Cet évêque catholique hollandais écrivit dans les années 1630 l'Augustinus qui devait déclencher, ou plutôt relancer puisqu'il existe depuis Saint-Augustin, un grave débat théologique au sein de l'Eglise. Selon cette doctrine, l'homme, qui tend vers le mal d'une manière naturelle, ne peut recevoir le Salut que par la Grâce accordée par Dieu. Cette grâce exige de ceux qui la reçoivent une foi à toute épreuve et un combat quotidien contre le Mal. Ainsi que l'a écrit René Taveneaux : « à la morale de l'honnête homme, les jansénistes opposent celle de la sainteté ». Cette idée de la grâce qui ne serait, de fait, accordée qu'à un petit groupe d'élus (symbolisée sur les crucifix jansénistes par un geste étroit des bras du Christ), s'approche de l'idée de la prédestination de l'homme développée par le Calvinisme. Pourtant, le Jansénisme (ou Augustinisme) reste dans le giron catholique dans la mesure où il révère les saints et pratique tous les sacrements du dogme catholique, en particulier la confession et la fréquente communion.
Les thèses jansénistes connurent un grand écho dans le Forez. Propagées par les prêtres de Notre-Dame et du collège de Montbrison, elles devaient gagner les paroisses et les habitants. A tel point qu'en 1804, soit douze années après la fermeture définitive de Notre-Dame-de-Grâces, le vicaire général Jauffret, visiteur des écoles dans les Monts du Forez, fut stupéfait par « des enfants de douze ans de certains villages, capables de restituer fidèlement les plus subtiles distinctions des débats théologiques sur la grâce. »
Ces prises de position ne furent d'ailleurs pas le seul fait des Oratoriens. Ainsi, deux moines camaldules du Val-Jésus prirent position contre la bulle Ungenitus qui déclarait les thèses jansénistes « hérétiques, schismatiques, impies, malsonnantes... ». D'abord, le père Pacôme Gillotin, prieur du Val-Jésus, qui fut rétrogradé simple religieux, puis fut exilé à l'île de la Chauvette où il s'éteignit en 1743, persévérant dans son appel de la bulle. Jérôme Grandjean ensuite, qui accepta d'abord la bulle en 1727 puis retira son consentement. Au Val-Jésus, les autres ermites lui refusèrent la confession et le laissaient à la porte de l'église pendant les offices. Il finit par révoquer son appel et accepta la bulle comme article de foi. Ce qui ne lui réussit pas, puisque devenu prieur de Bessey, il changea cette maison de solitude en maison de débauche, la transformant en cabaret pour les paysans des environs et servant lui-même les ivrognes pendant les fêtes de Pâques de 1743 !
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En 1726, « pour apaiser l'orage qui le menaçait », le collège de Montbrison supprima lui-même sa chaire de théologie. Les Oratoriens montbrisonnais, en novembre 1730, se virent néanmoins signifier par le Conseil ecclésiastique de Lyon l'interdiction de faire des catéchismes. La foudre ecclésiastique et royale toucha surtout Notre-Dame-de-Grâces. Celle-ci avait gardé des relations étroites avec Jean Soanen, un de ses anciens professeurs, évêque de Sénez exilé à La Chaise-Dieu pour n'avoir pas voulu signer, de même que 14 autres évêques, la bulle papale. Les Nouvelles ecclésiastiques, publication clandestine janséniste, précisent que « les pensionnaires du collège de Notre-Dame-de-Grâces, dans le Forez, sont chassés par lettre de cachet et on a fait défense aux pères de l'Oratoire de Montbrison d'en recevoir ». Le collège de Notre-Dame-de-Grâces ferma ses portes plus de trente années, de 1729 à 1760. Sans pour autant cesser de recueillir les réfractaires. Ainsi le père Pichard qui vint y mourir en 1740, et Honoré Mercadier, à qui l'archevêque d'Aix avait refusé la prêtrise et qui s'exila en Hollande avant de revenir y mourir en 1767. Après la réouverture du collège, en 1760, d'autres Jansénistes, bien connus des Stéphanois, y exercèrent dans les années 1780-1790 : Rocher, Poissy et Popin. Ils reposent au Crêt de Roch, dans le tombeau des Jansénistes.
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De cette fleur du Jansénisme et de sa doctrine « mortellement sérieuse » devaient germer durant tout le XVIIIe et le XIXe, à Lyon et en Forez surtout, certaines théories apocalyptiques et des pratiques convulsionnaires. Propagées par certains groupes mystiques (les « Bleus » de Marcilly, les Beguins de la région stéphanoise), elles donnèrent lieu à des comportements hors du commun : proclamation de la République de Jésus Christ dans le Pilat, crucifixions de Marcilly-le-Châtel, la venue de Digonnet, « petit bon Dieu des Beguins » à Saint-Etienne. La "Petite Eglise du Forez" existe encore de nos jours. A signaler enfin que la condamnation du Jansénisme eut pour conséquence aussi d'affermir le Gallicanisme dont Bossuet justement fut le défenseur. Cette doctrine religieuse et politique souhaitait une Eglise catholique de France largement autonome du pape, où le concile des évêques de France, concernant les affaires de l'Eglise, aurait la primauté sur Rome. Le dogme de l'infaillibilité pontificale en 1870 lui fut fatale. L'Eglise gallicane, cependant, existe encore en France, quoique marginale avec ses 50 prêtres. Bien implantée dans le Bordelais, il existe aussi une paroisse dans la Loire, à Valeille, ainsi qu'une mission paroissiale, à Montbrison.
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Chambles
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Après ce long laà¯us, dernière étape de notre escapade: le village de Chambles. Il est situé sur un promontoire granitique dominant la vallée ; son nom viendrait soit de Camulus, une obscure divinité gauloise, ou bien, et c'est plus plausible, du mot « calma » désignant une terre couverte de broussailles ou de chaumes. Une autre étymologie indique que le nom pourrait venir de « campus belli », le champ de la guerre. .

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Le village conserve une tour ronde très ancienne (du IXe siècle ?) construite sur le même modèle que celle de l'île de Grangent et celle d'Oriol, dans la vallée de la Semène. Il s'agit du donjon de l'ancien château-fort. Haute de dix-huit mètres pour une circonférence égale, avec des murs d'une épaisseur de 1 mètre 40, elle est devenue le symbole de la commune et reste accessible au public qui, après avoir gravi son escalier, jouit à son sommet d'une vue superbe sur la Loire, le Pilat et le Forez. On y entre par une porte au niveau du sol qui n'est pas d'origine. Sur ce type d'édifice en effet, à vocation défensive, la porte d'accès était située à plusieurs mètres de hauteur, à 8 mètres en l'occurence. Les soldats y parvenaient en montant une échelle qui était enlevée en cas de siège. La partie basse de la tour, en dessous du niveau d'accès et dans laquelle on descendait par une échelle intérieure, était sans doute réservée à l'entrepôt des armes et des vivres. L'accès à la plateforme supérieure se faisait (se fait) quant à elle par un orifice à peine large comme un homme. Une ultime défense supplémentaire pour canaliser le flot des assaillants et permettre aux assiégés de faire dans leurs rangs une hécatombe.
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Vue depuis Chambles: au premier plan, la presqu'île du Châtelet
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Le plus ancien seigneur des lieux connu est Guillaume de Chambles qui, en 1297, prêtait hommage au comte de Forez pour son « hôtel » (château) et des biens à Saint Maurice et à Chambles. On connaît aussi sa fille, Flore, qui, dans son testament (1311), demanda à être ensevelie dans le tombeau de ses ancêtres, dans le cimetière du prieuré de Saint-Rambert. Albert Boissier indique à son sujet (en reprenant Chambles de l'abbé Prajoux et/ou l'Histoire de Grangent de Signerin-Marthoud) qu'elle avait coutume de faire des offrandes dans l'église Notre-Dame-de-Grangent et à Sainte-Foy-du-Châtelet, deux lieux des environs sur lesquels nous reviendrons. Son frère, Falconnet de Chambles, fut porte-écusson du comte de Forez et plus tard, un autre Guillaume de Chambles devint prévôt de la Châtellenie royale de Saint-Victor. Défenseur du pays, il lutta contre les pillards anglo-gascons durant la guerre de Cent ans.
Au pied de la tour, l'église du bourg est placée sous le vocable de Saint Pierre. L'abside romane constitue la partie la plus ancienne de l'édifice qui garde notamment une très belle statue polychrome d'un personnage que nous pensons être Saint Isidore. Il est représenté coiffé d'un chapeau et tenant dans la main un petit attelage. Une gerbe de blé est à ses pieds et il tient une pelle dans sa main gauche. Bizarrement, cette statue n'est pas référencée dans La légende dorée forézienne d'Anne Carcel et de Robert Bouiller. S'agirait-il d'une �?uvre de facture récente ?
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Un prieuré a existé à Chambles. Il aurait été fondé par Saint Robert (de la Chaise-Dieu) vers 1040, en même temps que ceux de Firminy, Cornillon. Prieuré bénédictin, il dépendait, comme celui de Saint-Rambert, par exemple, de l'abbaye de L'Ile Barbe à Lyon. Au XIIème siècle, il fut d'ailleurs réuni à celui de Saint-Rambert dont le prieur conserva jusqu'à la Révolution le droit de nommer le prêtre desservant la paroisse de Chambles.
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Vue sur le château de Saint-Victor depuis le Châtelet
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Avant de gagner la presqu'île du Châtelet, sur la rive de la Loire, le promeneur est encore invité, dans le bourg, à aller voir la « porte Saint-Rambert », construction ogivale surmontée d'une tourelle en saillie sur mâchicoulis.
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Le Châtelet
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La presqu'île du Châtelet est située tout en contrebas de Chambles. On y accède à pied, en empruntant un chemin tortueux qui mène vers un petit pont de pierre qui donne à l'endroit une touche charmante. Une fois traversé le pont qui enjambe la Loire, il faut continuer sur quelques centaines de mètres, jusque vers une petite clairière. Ici se trouve la chapelle Sainte-Foy-du-Châtelet. Chapelle d'un prieuré elle aussi, son nom vient de la célèbre abbaye de Sainte-Foy de Conques dont elle dépendait. C'est un édifice assez simple, propriété du Syndicat mixte des Gorges de la Loire qui y a effectué d'importants travaux de restauration avec l'aide des Bâtiments de France. Elle se compose d'une nef unique et rectangulaire. Sa façade occidentale est ouverte d'un portail encadré de deux colonnes portant chacune un chapiteau sculpté. Un tympan sans décor surmonte le portail.
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Un des chapiteaux de la chapelle porte sculptés deux oiseaux s'abreuvant dans une même coupe. Un motif qu'on retrouve par exemple dans le prieuré de Saint-Romain-le-Puy, bien antérieur à la venue des Camaldules. A noter cependant que l'emblème des Camaldules représente justement deux colombes s'abreuvant à un même calice...