Tuesday, March 28, 2023
La Talaudière possède un parc magnifique, où se trouve sa Maison du Patrimoine et de la Mesure. Il en est un autre, tout aussi beau, où  un bâtiment à  clocheton, acheté en 1997, est devenu un lieu d'exposition et de sensibilisation à  la protection de l'environnement. C'est la Maison de la Nature, l'ancienne conciergerie du château de la Sablière. C'est là  que débute notre balade.


Le château de la Sablière avait été bâti vers 1860 par Alexandre Colcombet, industriel en soierie à  Saint-Etienne, pour en faire sa résidence de campagne. Propriété des Hospices civils de Saint-Etienne en 1929, il abrita un aérium pour enfants (maison de repos pour enfants atteints de troubles respiratoires) jusqu'en 1971. Menaçant ruines, il fut démoli en 1991 pour laisser la place au lotissement. Près de l'étang paysager (en fait un bassin de rétention des eaux collinaires) l'observatoire d'oiseaux était à  l'origine un transformateur électrique construit en 1894 par Colcombet. Il permet aujourd'hui d'avoir une vue sur les roselières et l'îlot de nidification. Le parc de trois hectares, réalisé en 2002, dont deux hectares de prairie, intègre également un jardin de plantes aromatiques et médicinales, un arboretum constitué d'une centaine d'arbres de notre région: tremble, orme, frêne... groupés en bosquets par espèces.



Le regard suit la ligne d'horizon, depuis le clocher de l'église jusqu'au crassier de l'Eparre, créé  par l'exploitation du puits Verpilleux 2 à  partir des années 1950. Les sites de La Chazotte et Verpilleux font partie de la même lentille (bassin houiller).  Au loin, les  contreforts du Pilat et l'antenne du col de l'oeillon. On distingue nettement au second plan, en direction de Saint-Jean-Bonnefonds, et dominant les lotissements aux noms bucoliques (les Pervenches, les Alisiers...) la forme conique d'un autre terril, celui du Fay élevé à  partir de 1930 sur l'emplacement de l'ancienne ferme Morel. On distingue d'autres terrils plus anciens, recolonisés par la végétation, et dont les déchets ont été réutilisés pour la construction des routes. On distingue enfin le toit du château de la Chazotte, entièrement reconstruit au début du XIXe siècle par Jovin des Hayes, directeur de la Manufacture d'Armes de Saint-Etienne, et qui passa ensuite à  la famille Sauzéa.

 

On revient sur nos pas par la rue Mirabeau pour rejoindre l'étonnant giratoire où roule sur elle-même un boule en granit rouge de l'Himalaya de 1,20 mètres de diamètre, élaborée en Allemagne et installée en 1996 par la Graniterie du Forez (Feurs). Le mécanisme a été fabriqué par les Etablissements Robifor (Saint-Etienne). Elle repose sur un socle de pierre. De l'eau sous pression se glisse entre le socle et la base de la sphère qui, par compression, s'élève de quelques centièmes de millimètres et flotte sur un film d'eau. Un jet d'eau excentré la fait tourner. La pression n'est que de 5 bars, soit le double de la pression au robinet. Et la boule pèse 2,4 tonnes ! En réalité, il y a deux jets qui, toutes les demi-heures, modifient le sens de rotation. L'eau qui déborde s'écoule dans une rigole et retourne au réservoir pour être filtrée et revenir faire tourner la sphère. Une machinerie relativement simple, installée sous le socle, assure la circulation continue de quelques centaines de litres d'eau, sans arrêt réutilisés.


 

Visuel/Ville de La Talaudière



Ici s'élevait une croix au pied de laquelle un bébé fut abandonné. C'était en 1795, quand le hameau faisait partie de Sorbiers. L'enfant reçut le nom de Fortuna Aventura.

On descend  ensuite la rue Evrard. Elle porte le nom de Maximilien Evrard, ingénieur des Mines qui, de 1852 à  1871, donna une forte impulsion aux Houillères de la Chazotte. Elle est bordée de plusieurs bâtiments intéressants: l'ancienne école qu'enjolivent des briques rouges, transformée en logements, des bâtiments construits en grès houiller (pierre du Montcel), des HLM des années 50 et 60, en cours de rénovation. Des tuiles noires et rouges offrent à  une maison des années 1900 une toiture polychrome. On s'engage dans la rue de la Chazotte pour arriver devant le dispensaire minier construit en béton en 1934. Un peu plus loin se trouve le bâtiment qui abritait la première caisse de secours et où se trouvent aujourd'hui des locaux syndicaux et associatifs. En face de l'ancien dispensaire, on remarquera un enclos métallique circulaire et la forme d'une statue blanche, tête couronnée, qui tourne le dos à  la route. Une adolescente de 14 ans, Blandine, affirma en 1982 que la Vierge lui apparut ici, dans le jardin familial. Le lieu accueille toujours quelques curieux et fidèles. Et des plaques de marbre ex-voto remercient "Notre-Dame de La Talaudière" pour les grâces reçues.



 

A côté de l'ancienne caisse de secours, coule l'Onzon. C'est en 1916, nous informe Louis Drevet, adjoint au maire et féru d'histoire, que des prisonniers de guerre allemands ont creusé ce canal latéral et l'ont bétonné avec du matériau de mauvaise qualité confectionné avec des scories. Ceci pour parer aux inondations de mine. Un demi-siècle plus tôt, du temps de M. Evrard, une inondation avait causé dans le secteur 150 jours d'interruption de l'extraction. Un petit retour en arrière s'impose. Il y avait vers 1880 cinq concessions: Chazotte, Montcel-Sorbiers, Calaminière, Beuclas et Sorbiers. Elles ont été créées peu après une ordonnance royale autorisant  d'exploiter le charbon de terre, signée par Charles X le 13 juillet 1825, et concédée à  Jovin-Deshayes, Tézenas, Descos, Bastide et Colcombet. Les deux plus importantes concessions étaient celles de la Chazotte et du Montcel. Les Houillères de la Chazotte furent rachetées en 1875 par la Compagnie PLM, laquelle racheta aussi au fil du temps toutes les autres concessions. La compagnie, rebaptisée Houillères de la Chazotte-PLM, possédait ainsi tous les puits de mine, une cinquantaine vers 1885, des communes de La Talaudière (créée en 1872), Sorbiers et Saint-Jean-Bonnefonds. Comme tous les charbonnages de France, la Chazotte fut nationalisée en 1946.

 

Nous poursuivons rue de la Chazotte, au coeur de la ZI du même nom, l'ancien plâtre ou étaient concentrées de nombreuses installations minières destinées à  préparer les charbons en provenance des puits des alentours. Des ateliers, garages, magasins, lavabos, lavoirs... il ne reste presque plus rien. Tout fut rasé en 1968. Les deux étangs artificiels furent vidés. C'est là  aussi que se trouvait une usine célèbre, l'usine à  boulets, des sortes de briquettes fabriquées avec les charbons fins et destinées aux chaudières domestiques, des locomotives et des bateaux. C'est Evrard, encore lui, qui eut cette idée et installa dès 1855 son atelier à  "saucissons" ou "boudins". L'usine fonctionna jusqu'en 1949. Elle se trouvait en lieu et place de l'entreprise Philibert pneus. A son niveau d'ailleurs, de l'autre côté de la rue Jean Rostand, à  la Pérolière où nous reviendrons, deux poutrelles métalliques, marquent toujours l'entrée (portail et portillon) des Houillères de la Chazotte.

Rue de la Chazotte, en continuant notre balade en direction d'un des ronds-points "folklos" de La Talau, on remarque à  droite les restes d'un crassier amputé des 4/5e. A ce niveau était située l'entrée, dès 1952, de la Grande fendue. A la même époque le Puits Lacroix tirait sur sa fin et Verpilleux, de construction récente, devait prendre le relai. Un plan incliné de plus de 1600 mètres fut alors creusé pour atteindre le charbon. L'idée géniale, très rentable, fit perdurer durant quinze ans l'extraction houillère à  La Talaudière.



C'est cette Grande fendue qu'évoque le premier des deux ronds-points sur le thème de la mine que l'automobiliste rencontre sur la rue Jean Rostand. Il donne aussi accès à  la rue Paul Roux qui n'est autre que l'ingénieur qui élabora le projet. Louis Drevet nous en apprend plus. Il a été aménagé par Saint-Etienne Métropole pendant le printemps 2000 pour mieux desservir le quartier proche de la Pérolière. Son implantation a nécessité  le transfert de 45 000 m3 de déblais enlevés à  la base d'un ancien crassier du XIXe siècle avec un remodelage des pentes. L'ensemble des surfaces a été engazonné et planté d'arbres. Le décor annexe est composé d'un train de bennes de type Chazotte (500 litres, en tôle d'acier) et d'un wagonnet porte-bois. Les grandes bennes de 3 000 litres portent la marque de Verpilleux, Charles et Pigeot, d'autres puits célèbres de la région stéphanoise.

 

En poursuivant rue Jean Rostand, on arrive à  un 2eme rond-point, aménagé lui aussi pendant le printemps 2000, au croisement de la rue Jules-Grévy et à  la jonction des trois Communes liées par cette histoire minière : La Talaudière, Sorbiers et Saint-Jean-Bonnefonds. Les frais ont été partagés entre les trois communes. Le décor évoque aussi l'entrée d'une fendue, galerie horizontale ou légèrement oblique permettant l'exploitation du charbon au début du XIXe siècle. Les trois bennes en bois ferré symbolisent les trois communes ; elles reproduisent celles utilisées au Puits Petin vers 1890 avec une contenance de 350 litres.

 

Mais nous rebroussons déjà  chemin en direction de Saint-Etienne pour gagner l'ancien plâtre du Puits Saint-Joseph, un des plus anciens puits de la Chazotte, foncé en 1837 à  50 mètres pour atteindre les 300 mètres à  l'aube des années 1910. Le chevalement fut rasé en 1968 mais il reste encore, notamment, de part et d'autre du château d'eau, le bâtiment des chaudières et les lavabos avec leurs cheminées d'aération. 



On remarquera aussi en face, de l'autre côté de la route, une allée de platanes qui conduit vers d'anciens logements de fonction pour ingénieur. Le promeneur a ensuite la possibilité de poursuivre par la rue de la Pierre Plantée en direction de Saint-Jean-Bonnefonds, sur les hauteurs.

 

 

Visuel/Saint-Jean-Bonnefonds

 

Nous continuons quant à  nous par la rue du Puits Lacroix. Celui-ci exista de 1855 à  1969 (démolition du chevalement). Mais son exploitation cessa en 1956.  Son nom viendrait d'un ouvrier mort accidentellement lors du fonçage. Et voici le crassier du Fay qui a grandi à  partir de 1930-1931. Plus d'un million de mètres cubes de déchets sont entassés là . Et de charbon, ce qui lui valut d'intéresser dans les années 80 les Charbonnages de France. Sans suite. On arrive ensuite au hameau du Fay. Le nom vient du patois Fayard (hêtre). S'y trouvait un château, connu dès le XIIIe siècle, appartenant à  Etienne Blanc, vassal du Comte de Forez. Son fils, Gaudemart de Ravoys (Reveu) céda le domaine à  son suzerain au XIVe siècle. Le puits du Fay se trouvait en bas du terrain de sport. Un bâtiment existe toujours. Il s'agit des anciens lavabos qui furent reconvertis en école où l'on préparait les jeunes au métier de mineur. A noter qu'il y avait dans le secteur d'autres puits: le Puits Baby, le Puits Jules, le Puits Petin dont les crassiers plus anciens que celui du Fay se confondent aujourd'hui avec la végétation.


 
On rejoint Le Fay pour voir un autre bâtiment, vestige d'un autre puits, le Puits Lucy. Ce bâtiment massif, carré, avec ses briques et ses fenêtres, dont certaines ont été murées, se trouve dans les prés, près de la Maison de quartier et du terrain de boules. D'après Maurice Bedoin, dans son guide sur le patrimoine minier stéphanois, il s'agissait du bâtiment de la machine. L'auteur raconte qu'en 1895, les chaudières ayant explosé, il fut décidé de produire la vapeur indispensable à  l'exploitation en amenant ici trois locomotives. Qu'on fit circuler de 100 mètres en 100 mètres sur des rails mobiles, depuis le Puits Saint-Joseph, terminus de la voie ferrée.

 

On redescend ensuite en direction de La Talaudière en empruntant la rue des Feuilles de lierre puis la rue du Château Chaize pour arriver vers la Pérolière. On remarque le terrain en pente. Un plan automoteur fonctionnait ici, comme à  la Calaminière. Un dispositif astucieux qui permettait la descente des wagonnets en provenance des puits situés sur les hauteurs et qui allaient livrer leur chargement au lavoir de la Chazotte. Le plan était alors bien plus incliné. C'est le bâti reconstitué d'un de ces plans automoteurs, avec la poulie de halage d'origine, celui de la Pinche, sur Saint-Jean-Bonnefonds, qu'on peut voir devant la Maison du Patrimoine et de la Mesure. Il servait quant à  lui à  évacuer le charbon de la couche dite de la Buissonnière, exploitée par les Mines du Montcel-Sorbiers vers 1860. En face de l'entrée de l'ancienne zone de la Chazotte, que symbolisent les poutrelles métalliques évoquées plus haut, l'ancien bar des mineurs, avec ses murs en grès houiller, briques et  "mortier d'hirondelle".




On retrouve la rue Rostand pour passer devant la plus ancienne maison de la commune, à  gauche, impasse du moulin Goutelle. Datée de la fin du XVIIIe, construite en pisé sur un soubassement en pierre, un enduit de cendre de chaudière lui donne cette teinte rosée.

 
Plus loin, se trouve le lavoir "Chez Celle", impasse Planchon, et la ferme Forissier, habitée depuis deux siècles et demi par la même famille. Louis Drevet nous explique l'histoire de ce bâtiment à  l'étude de son mur qui longe la rue de l'Etang.  La lecture se fait de gauche à  droite.

1 - Nous sommes vers 1750, un ancêtre de la famille s'installe comme paysan cloutier. Dans sa cave se trouvent la forge et la souche de pierre supportant les diverses enclumes (le pialou, l'étapou et la tranche) nécessaires à  la fabrication. Ces clous sont demandés par la fabrication des rambertes, ces grandes barques à  fond plat qui exportent le charbon du bassin au fil de la Loire, pour les constructions de la ville- champignon qu'est Saint-Etienne… L'habitation est un premier étage surélevé. Les murs sont en blocs grossiers de grès houiller ou de misaschistes maçonnés à  l'argile avec un peu de chaux ; seuls les angles sont en pierres de grès bien appareillées quant aux ouvertures, elles ont un encadrement en coeur de chêne.

 

2 - Nous sommes en 1800 environ, le bâtiment s'agrandit vers le nord avec un espace d'habitation et la grange à  l'étage alors que l'étable occupe le rez-de-chaussée. Les nouveaux murs ont la même configuration que les précédents. Un four à  pain est bâti dans la cour fournissant les deux ou trois générations qui cohabitent et le personnel de la ferme.

 

3 - Le temps a passé, la Révolution industrielle a éclaté dans la région stéphanoise avec une réaction en chaîne : le charbon peut être officiellement exploité grâce à  l'attribution des concessions par le roi dès 1825, la vapeur devient la principale source d'énergie et le charbon le combustible le plus utilisé. Nous sommes en 1850. Les sous-produits industriels sont utilisés dans la construction : la brique, encore rare et mal calibrée, qui provient de la briqueterie Froment installée à  quelques centaines de mètres, à  la Calaminière, mais aussi les cendres des machines à  vapeur utilisées comme sable dans le mortier à  la chaux pour lier les pierres et faire les enduits, gris ou roses selon la qualité des cendres utilisées. C'est le " mortier d'hirondelle ".

4 - En 1900, les hangars s'agrandissent car il faut loger le matériel roulant ;: le paysan cloutier est devenu mineur voiturier, il livre le charbon des clients de la mine et les bons de charbon des mineurs, une dotation en nature dont bénéficie chaque employé des houillères. Les chaînes d'angles sont bâties en briques bien régulières et bien alignées, toujours liées au " mortier d'hirondelle ". Les murs sont coffrées avec du béton de scories ou de mâchefer, les plus gros résidus des chaudières. Ce béton grossier à  base de chaux et de sous-produits industriels à  grosse granulométrie est économique car la matière première ne coûte pas cher et la mise en Å“uvre convient bien à  un travailleur manuel.

 

5 - En 1925, il faut encore agrandir les hangars et créer l'écurie des chevaux. Les murs sont toujours bâtis avec ce " mortier d'hirondelle ", on y trouve cependant un peu plus de chaux. 1925, c'est juste un peu trop tôt pour voir les chaînes d'angles bâties en moellon de béton de mâchefer à  la place des pierres bien appareillées ou des briques.

 

Notre promenade touche à  sa fin. Le visiteur, toutefois, ne manquera pas d'aller voir le Monument aux Morts de la place Gambetta. Il a été inauguré le 11 novembre 1923. On le doit au statuaire stéphanois Emile Tournaire. Il évoque "La Douleur" d'une mère et d'un fils apprenant le décès du père. En granit rose de Saône-et-Loire, il rappelle le sacrifice de 139 Talaudiérois durant la Grande Guerre, sur 750 mobilisés.