Monday, December 04, 2023
Le canon va tonner en juin en Wallonie, sur le site de Waterloo, où, il y a 200 ans, l'Armée du Nord de Napoléon fut battue par les armées alliées - anglo-hollandaise, commandée par Wellington et comprenant aussi des unités nassauviennes, hanovriennes et brunswickoises, et prussienne, commandée par Blücher. 5000 figurants et 300 chevaux ont été mobilisés. 100 canons seront déployés. Il faut bien ça pour reconstituer, même en miniature, cette bataille extraordinaire, bain de sang et d'héroïsme qui enterra l'Aigle et n'en finit plus de faire couler l'encre. Napoléon fut pourtant tout près de la victoire. Alors, la faute à  qui ? Grouchy ! C'est bien connu:" Soudain, joyeux, il dit : Grouchy ! - C'était Blücher !" Il l'est moins que le maréchal bouc émissaire s'est éteint à  Saint-Etienne.
 
A Saint-Etienne
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Rue de la République, à  l'angle de la rue Brossard, sur la façade de l'ancien hôtel du Nord, une plaque rappelle qu'ici mourut, fin mai 1847, Emmanuel de Grouchy, marquis, maréchal, pair de France et grand'croix de l'ordre de la Légion d'honneur. La rue portait alors le nom de rue Royale. Un an plus tard, elle serait rebaptisée rue Nationale. Son nom actuel date de 1944. Emmanuel de Grouchy, malade, décéda ici, dans cet hôtel alors renommé, au cours d'un voyage. Il était né à  Paris, où il demeurait, en 1766. Il repose au Père-Lachaise. Autrefois une caserne de cavalerie, construite à  La Terrasse dans les années 1870, portait son nom. C'est toujours le cas d'une rue. La date inscrite sur la plaque est celle de l'acte de décès sur le registre de l'état civil. Grouchy est décédé le 29.

 
A Waterloo
 
Grouchy, fait maréchal de France un mois plus tôt, commande ce 18 juin 1815 un corps d'armée de plus de 30 000 hommes. La veille, Napoléon lui a confié la mission de poursuivre les Prussiens, battus à  Ligny le 16 juin et qui font retraite vers Wavre, tandis que l'empereur se porte au devant de l'armée anglo-hollandaise. Celle-ci a pris position sur le plateau de Mont-Saint-Jean. Les armées alliées sont pour l'heure séparées mais Blücher a l'intention de rallier ses forces pour rejoindre Wellington. Un premier corps d'armée prussien de 30 000 hommes - celui du général von Bülow qui n'a pas participé à  la bataille de Ligny - se profile à  l'horizon sur le flanc droit de l'armée de Napoléon. Pour le neutraliser, l'empereur fait marcher sur lui le général Mouton, comte de Lobau, à  la tête de quelque 10 000 soldats. Il escompte que Grouchy prenne le Prussien à  revers en détachant une partie de ses troupes, soit six à  sept mille hommes, gardant avec lui le reste pour contenir à  Wavre les trois autres corps d'armée de Blücher. Napoléon ne se faisait guère de soucis sur le rapport de force à  cet endroit, estimant, face à  Bülow, que "dix-sept à  dix-huit mille Français disposés et commandés ainsi, étaient d'une valeur bien supérieure à  trente mille Prussiens...", et à  Wavre, que "quarante mille ou quarante-cinq mille Prussiens, battus, découragés, ne pouvaient pas en imposer à  vingt-huit mille Français bien placés et victorieux".
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Mais rien se passa comme il l'aurait voulu, ou plutôt comme il écrivit l'avoir voulu dans ses Mémoires pour servir à  l'histoire de France en 1815 (1820). C'est un fait que Grouchy brilla par son absence tout du moins sur le théâtre de Waterloo, où se joua une grande pièce de l'histoire militaire, pour le meilleur et pour le pire. Grouchy, leurré, n'affronta finalement à  Wavre que l'arrière-garde prussienne, commandée par Thielmann, quand le gros des troupes ennemies marchait vers Napoléon.
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Waterloo, ce sont les assauts répétés, vainement, sur la ferme de Hougoumont, l'un des trois points d'appui du dispositif de Wellington. Ce sont les cavaliers anglais, irlandais et écossais qui déciment les fantassins français, avant qu'eux mêmes ne se fassent laminer par les cuirassiers et lanciers de l'Empereur. Ce sont les charges folles de la cavalerie de Ney, soutenu par les troupes de Kellermann, Lheritier et Guyot, soit près de 9000 cavaliers qui se ruent, encore et encore, sur les carrés anglais, qui ne cèdent pas. C'est Azincourt ! Et la ferme de la Haye-Sainte, prise de haute lutte sur les Germains de Wellington, ce qui met la victoire en balance.
Le lion (la butte, archives FI)
 
Là , les Anglais commencent à  fléchir. Il faut les enfoncer, et vite, car les Prussiens vont déferler en masse. Il faut éviter l'encerclement. Sur les arrières de l'armée française, le village de Plancenoit leur est âprement disputé. Il est perdu, repris, perdu et repris... Mais comment percer le centre anglais, avec quelles réserves ? Napoléon abat alors sa dernière carte, trop tardivement sans doute. Il fait donner la Garde mais aussi répandre dans les rangs le bruit que Grouchy arrive. Mais le "duc de fer" a pu renforcer son centre, rassuré par l'arrivée à  sa gauche d'un autre corps prussien d'environ 30 000 hommes. La Garde, "espoir suprême, et suprême pensée", a écrit Victor Hugo, entre alors dans la fournaise. Elle lutte admirablement, comme toujours, mais se fait hacher et finalement recule. Stupeur dans la troupe ! C'est le début de la fin. Les Anglais et les Prussiens passent à  l'attaque et un vent de panique, impossible à  réfreiner, souffle sur l'Armée du Nord. C'est la débandade. Ney tente encore de rallier à  lui quelques unités. Quelques carrés de la Garde ne se rendent pas.
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Taverne "Le Cambronne" et l'hôtel du musée, au début des années 2000 (archives FI). Ces bâtiments ont été détruits pour laisser place au mémorial ouvert il y a peu. Cambronne commandait le 2e bataillon du 1er chasseurs de la Vieille Garde, l'un des derniers carrés. Au fond, peu importe que lui ou un autre ait dit "merde", ou autre chose  de poétique. Aux Anglais qui demandaient la reddition, il fut certainement répondu d'aller se faire "f....."
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Et Grouchy alors ? Ses généraux avaient insisté pour qu'il marche au canon. Le maréchal s'y refusa, ne voulait pas fractionner ses forces. " Grouchy semble comme aveuglé par la parole de l'Empereur ordonnant de poursuivre Blücher, écrit Dimitri Casali. Il doit se rendre à  Wavre et n'en démord pas ! Ses subordonnés sont atterrés. La moindre inspiration paraît comme interdite au lieutenant de l'empereur. Brillant cavalier, s'étant distingué à  Eylau, à  Wagram ou à  Vauchamps, Grouchy n'a ni l'étoffe d'un commandant de corps d'armée, ni l'aura d'un Murat auprès de ses officiers. Que ses subalternes osent mettre en doute ses ordres, il ne peut le supporter. Et quand le général Gérard insiste une nouvelle fois pour qu'il l'autorise à  rejoindre l'empereur avec sa division, il en fait strictement une question de personne."
Napoléon à  Las Cases, dans Le Mémorial de Saint-Hélène (1822) : " Le maréchal Grouchy, avec trente-quatre mille hommes et cent huit pièces de canon, a trouvé le secret, qui paraissait introuvable, de n'être, dans la journée du 18, ni sur le champ de bataille de Mont-Saint-Jean, ni sur Wavres (sic). Mais le général anglais avait-il l'assurance de ce maréchal qu'il se fourvoierait d'une si étrange manière ? La conduite du maréchal Grouchy était aussi imprévoyable, que si, sur sa route, son armée eut éprouvée un tremblement de terre qui l'eut engloutie."
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Des mots terribles. Et Napoléon de réécrire l'histoire avec des "si", laissant le champ libre aux historiens. Et la bataille a été depuis mille fois décortiquée, rejouée, et le comportement de Grouchy maintes fois commenté, plus ou moins dédouané. Pas par Achille de Vaulabelle : " Avec plus de décision et d'activité, avec une intelligence plus haute de la guerre et de sa position de chef d'armée, le maréchal Grouchy pouvait transformer le désastre de Waterloo en un éclatant triomphe. Il dépendait de lui de le faire; il ne le fit pas; sa lenteur et son inaction furent la cause principale de la défaite: voilà  la faute, ou, si l'on aime mieux, voici le malheur dont nulle justification ne peut le relever et qui suivra éternellement sa mémoire."
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Mais si on peut reprocher à  Grouchy sa lenteur, Napoléon lui aurait donné trop tard, le 17, l'ordre de poursuivre Blücher, et lui-même débuté trop tard, le lendemain, l'attaque contre les Anglais. Le feld-maréchal prussien n'était pas en déroute et avait déjà  une avance considérable sur Grouchy. Quant aux Anglais, Napoléon les méprise malgré les avertissement de Soult, qui lui les a combattus en Espagne, et qui l'ont battu. Il n'avait plus, en outre, à  ses côtés ni Murat - un dieu de la cavalerie - ni Berthier pour chef d'état-major général. Avec Berthier (remplacé par Soult) les ordres auraient pu être transmis plus rapidement et plus clairement. Car le noeud de "l'énigme Grouchy" semble résider pour partie dans un défaut de communication. Beaucoup d'autres ont pointé aussi du doigt, tantôt ou ensemble: les charges inutiles de Ney, l'inefficacité de l'artillerie française, la trahison de Bourmont, la météo...
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Napoléon, s'il fut un dieu de la guerre (Clausewitz), son génie, qu'on ne saurait limiter au domaine militaire, était émoussé. Il était diminué physiquement. Pour Victor Hugo, bien sûr, pour qui "Waterloo n'était point une bataille" mais "le changement de front de l'univers"; "il gênait Dieu".
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Tout bêtement.
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Idées de lecture parmi d'autres. On estime à  plusieurs dizaines de milliers le nombre de livres écrits sur Napoléon.
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Stephen Clarke, Comment les Français ont gagné Waterloo (Albin Michel 2015)  L'auteur anglais, toujours sarcastique, cite notamment Dominique de Villepin, pour qui " cette défaite  brille d'une aura digne d'une victoire".
Les soldats de la Grande Armée de Jean-Claude Damamme (Perrin, collection Tempus, 2002)
Waterloo, acteurs, historiens, écrivains, textes choisis et annotés par Loris Chavanette (Folio classique 2015). Chateaubriand, Byron, Dumas, Soulié, Stendhal, Doyle, Scott... ont écrit sur cette bataille.
Dimitri Casali, Qui a gagné Waterloo ? (Flammarion 2015)