Wednesday, September 27, 2023

Jack se démène comme un beau diable pour griller ses châtaignes à  la poêle. Nous sommes à  la résidence Balaÿ où il travaille huit heures par semaines et anime divers ateliers collectifs dont l'atelier Mémoire. Dans la grande salle, des personnes âgées, entourées de leurs proches, de Pascale Virard, adjointe au maire de Saint-Etienne et du personnel de l'EHPAD, se prêtent au jeu des dédicaces. Elles viennent de signer un petit carnet de 40 bonnes recettes, un projet chapeauté par Aurélie Brayet, une doctorante de l'Université Jean Monnet.

Sur quel thème porte votre doctorat ?

" Histoire, mémoire et patrimoines des Arts Ménagers en cuisine du XIXe siècle aux années 80", sous la direction de Jacqueline Bayon. La partie recherche est avancée; il me reste une partie de la rédaction à  achever.

Comment êtes-vous venue à  vous intéresser au patrimoine culinaire et aux objets ménagers ?

J'avais fait un Mémoire de maîtrise sur la guerre de 14-18, les gueules cassées..., quelque chose d'assez lourd et je souhaitais m'orienter vers un sujet plus léger en lien avec l'histoire des femmes. En discutant avec ma grand-mère qui était friande d'innovations, je me suis rendue compte qu'il y avait des objets qui avaient beaucoup marqué la société: le micro ondes, le frigo et puis la cocotte minute qu'elle présentait un peu à  l'époque aux gens de son quartier de Veauche. Elle faisait des démonstrations pour les rassurer. Je me suis dit que ce pourrait être intéressant de savoir pourquoi les gens avaient tant peur d'un objet. J'ai donc fait, en DEA, l'étude de la cocotte minute depuis le XVIIe siècle pour comprendre ces phases de rejet...


... Au XVIIe siècle la cocotte minute ?

L'idée vient de Denis Papin avec son "digesteur". On retrouve des projets au XVIIIe et XIXe siècles, et ensuite au XXe dans le catalogue Manufrance.

Comment est né ce projet avec les résidents de Balaÿ ?

Je souhaitais recueillir des témoignages dans l'ensemble des résidences. Après avoir contacté Pascale Virard, on a sélectionné cinq résidences et à  Balaÿ les résidents, au-delà  de l'usage qu'ils faisaient de leurs appareils de cuisine, autocuiseurs ou autres, ont commencé à  me livrer leurs recettes. Certaines me disaient: " C'est un petit truc à  moi" ou bien: "Il n'y a qu'à  vous que je l'ai donnée." Avec Eliane Allirol, la directrice, et avec l'aide de Jack, qui a recueilli des recettes des messieurs, l'idée est née de faire un petit livret à  l'occasion de la Fête du livre.

Ce sont des recettes de famille, sucrées ou salées, locales comme le matefaim ou la rapée, des recettes de viande en sauce: lapin, boeuf bourguignon... et quelques liqueurs.


Quel est le rapport de ces personnes à  la cuisine ?

C'est une cuisine où l'on prend le temps, qui n'est pas chronométrée. C'est un don de temps donc un don de soi. C'est vraiment pour cette génération l'idée de cuisiner le mieux possible pour prouver son amour à  ses proches. C'est prégnant dans chaque recette...

La résidence a également présenté une belle exposition, avec l'aide des familles. Les objets sont nombreux: du linge de table marqué, un attendrisseur de viandes en bois, une bouilloire, des moulins à  café, une jolie boîte à  café " Casino Guichard Perrachon", un beurrier en verre avec sa coupelle d'eau qui permettait de garder le beurre au frais, des verres à  absinthe avec leurs "pelles", remplis pour le coup de Get 27, une plaque émaillée des chocolats Escoffier... Il y a même un fourneau typiquement stéphanois, en forme de bahut et court sur pattes quand ceux de Nancy ont des pieds hauts. Quant à  ce gando, une petite cantinière, il rappelle, nous dit Aurélie que "la pratique du manger dehors était plus courante à  Saint-Etienne..."